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Le PEI Mayotte, retour d’expérience d’étudiantes

Durant l’année scolaire 2021-2022, Moe-Léna Lefebvre et moi même, alors étudiantes en deuxième année, accompagnées et soutenues par Laetitia Poisson, chargée de gestion administrative et de pilotage de projet PIA3, avons eu l’opportunité de tutorer des élèves de collège et lycée à Mayotte participant au Programme d’Etudes Intégrées (PEI) de Sciences Po Lille. Cette expérience nous a permis de faire la rencontre de collégiens, lycéens, professeurs, chefs d’établissement, parents d’élèves et membres du SAIO (service académique d’information et d’orientation) du rectorat de Mayotte. Nous avons pu échanger avec eux et comprendre leurs préoccupations sur les études supérieures, mais également découvrir la culture mahoraise, enjeu fondamental pour les élèves. L’engagement dans le tutorat PEI d’élèves en département d’outre-mer peut vous sembler complexe, mais n’ayez pas peur de saisir cette expérience extraordinaire.

L’ouverture sociale à Mayotte.

Le programme d’études intégrées (PEI), labellisé Cordées de la Réussite, de Sciences Po Lille est une fierté de l’IEP. Créé en 2007 à l’initiative de Pierre Mathiot, ce programme de démocratisation souhaite favoriser la diversité sociale au sein des IEP en permettant à des élèves de condition modeste de se préparer au concours commun du réseau ScPo pour le PEI premières et terminales, mais aussi d’ouvrir les horizons de jeunes curieux et motivés pour le PEI collège et seconde. Les élèves sont accompagnés par leurs professeurs référents qui gardent le lien avec Sciences Po Lille, mais également par des étudiantes tutrices ou étudiants tuteurs volontaires de l’IEP.

Bien que le Programme d’Études Intégrées de Sciences Po Lille concerne les élèves des Hauts-de-France, chaque IEP constituant le réseau ScPo dispose d’un partenariat avec un territoire ultramarin. Pour Sciences Po Lille, l’IEP coopère notamment avec Mayotte dans le cadre des PEI collège et secondes. Tout comme les élèves de l’hexagone, les Mahorais doivent réaliser des projets qu’ils présentent à un jury de Sciences Po en fin d’année, et sont accompagnés d’une étudiante tutrice ou d’un étudiant tuteur.

Cependant, établir une réelle relation de proximité avec des élèves qui se situent à 9 000 kilomètres de Lille s’avère être une tâche difficile, d’autant plus que les préoccupations des élèves Mahorais sont différentes de celles des élèves des Hauts-de-France. C’est pour cette raison que Laetitia Poisson a entrepris de personnaliser le partenariat avec les collèges de Mayotte afin que les collégiens et professeurs se l’approprient en réalisant des projets mettant en valeur le territoire de Mayotte. Cette adaptation pour l’archipel a donc permis aux quatre collèges encordés de s’impliquer dans une réalisation touchant directement les élèves du territoire, ce-dernier regorgeant de richesses culturelles, environnementales et humaines. En ce qui concerne le lycée, le thème de la soutenance orale est le même que pour les élèves de seconde des Hauts-de-France : « les grandes puissances internationales ».

Des élèves, des étudiantes et des échanges riches en émotion.

C’est dans ce cadre que Laetitia Poisson nous a rattachées au projet, Moe-Léna et moi, afin d’aiguiller les élèves sur la méthodologie de l’article. L’objectif était de leur montrer les multiples manières de valoriser un lieu, mais aussi de répondre à leurs questions sur Sciences Po Lille afin de leur ouvrir les portes des études supérieures.

En avril, nous avons eu l’opportunité grâce à l’aide du rectorat de Mayotte de nous déplacer sur l’île afin de nous rendre au plus proche des élèves et de les rencontrer. Un tel voyage ne pourra malheureusement pas se faire chaque année. Néanmoins, il a été une réelle prise de conscience pour nous de l’importance du PEI à Mayotte et du dévouement inébranlable des professeurs, sans qui rien ne serait possible.

Nous avons accompagné des élèves de 4e et 3e du collège de Bouéni, du collège Ylang-Ylang de Kani Kéli, du collège Bakari Kusu de Dzoumogné et du collège Marcel Henri de Tsimkoura. Les projets étaient propres à chaque établissement, singuliers selon les envies et préoccupations des élèves. Chaque rencontre a été une source d’enrichissement inestimable, pour eux, comme pour nous. Nous ne connaissions pas grand chose au patrimoine culturel et historique mahorais et chaque projet nous a réservé son lot de surprises. Elèves comme professeurs étaient très impliqués dans leur réalisation, et tous nous ont impressionnées par leur immense volonté, leur ambition et leur curiosité inépuisable vis-à-vis de leur territoire. Que ce soit pour nous faire découvrir « les merveilles de la culture de Mayotte » par les fêtes mahoraises, les constructions traditionnelles et l’identité des femmes mahoraises, un exposé sur l’écosystème à Mayotte, la présentation du jeu vidéo MayAventures entièrement créé par les élèves dont l’objectif est de valoriser le patrimoine culturel de Mayotte en montrant les gestes protecteurs de la nature, des articles qui se veulent positifs afin de mettre en avant la diversité culturelle de Mayotte, ou encore des articles visant à éclairer et comprendre les menaces qui pèsent sur l’ « île Hippocampe », en français, anglais et en shimahorais, nous avons à chaque fois eu l’impression que les élèves en face de nous avaient plus à nous apprendre que nous.

En plus de visiter les collèges « encordés », nous avons également eu l’occasion d’échanger avec les neuf élèves en « Seconde-parcours » encordés avec PEI, du lycée Tani Malandi de Chirongui. De la même façon que les élèves des Hauts-De-France, les élèves de Chirongui doivent traiter le thème « les grandes puissances internationales » en choisissant un aspect qui les intéresse particulièrement. Répartis en quatre groupes, les élèves ont choisi d’aborder le thème « Les réseaux sociaux au cœur des rivalités entre superpuissances : comment les réseaux sociaux peuvent-ils constituer des outils au service des rivalités entre superpuissances ? ». Ce fut alors l’occasion pour nous de contribuer à la progression de leur travail en leur montrant ce que Sciences Po nous apprend à faire : réaliser un diaporama clair et synthétique accompagnant le fil d’un exposé organisé.Neuf élèves du lycée de Chirongui à la rencontre des étudiantes de deuxième année, le 11 avril 2022. Crédit photo: Mathieu Janvier pour le Journal de Mayotte

Ces échanges avec ces lycéens, lycéennes, collégiens et collégiennes, nous ont révélé à quel point le partenariat entre les établissements à Mayotte et PEI ainsi que les temps d’échanges et de recherches mis en place par les professeurs dans le cadre des « Cordées de la Réussite » sont essentiels à Mayotte afin que les élèves puissent se révéler et prendre confiance en eux en se prouvant à eux-mêmes qu’ils sont capables du meilleur. Nous avons pu suivre les élèves jusqu’au bout et faire partie du jury lors des soutenances orales restituant les projets en juin. Nous avons nous-mêmes pu constater les progrès des élèves et leur prise de confiance en seulement quelques mois. Les élèves ressortent de cette expérience fiers d’eux et ils le méritent. Ainsi, au delà de l’ouverture d’esprit sur le monde, le programme PEI permet également aux élèves de développer leurs compétences et de prendre confiance en eux. C’est pour cela qu’il est essentiel de faire perpétuer le Programme d’Etudes Intégrées de Sciences Po Lille à Mayotte, ainsi que dans les autres départements d’outre-mer, en vous engageant.

Mayotte, un enjeu d’avenir.

Les rencontres avec les élèves, les professeurs, les chefs d’établissement, les parents d’élèves et des membres du rectorat et du centre d’information et d’orientation de Mayotte nous ont également permis de comprendre certains enjeux qui entourent l’éducation à Mayotte et d’observer la résilience dont font preuve les élèves et tout le personnel de l’Education nationale. Ce que nous retenons de tous ces témoignages, c’est que la question de l’avenir à Mayotte est dans l’esprit de toutes et tous. Les professeurs craignent un nombre trop élevé d’élèves dans chaque classe risquant de compliquer le bon déroulement de leur travail pédagogique. Ils regrettent également le manque de moyens matériels et technologiques. Les élèves sont inquiets des violences qu’ils vivent au quotidien : beaucoup sont préoccupés par les caillassages réguliers de bus scolaires, tous sont préoccupés par le changement climatique et l’augmentation des déchets à Mayotte qui détériore le lagon, la faune et la flore. Malgré cela, tous réfléchissent ensemble pour remédier à ces enjeux et penser l’avenir à Mayotte, aussi incertain qu’il soit. Par la mise en place de leur projet, chaque élève (tous faisant preuve d’une grande maturité), chaque encadrant, ont témoigné d’une réelle envie de s’investir dans la vie de ce territoire ultra-marin qui regorge de possibilités et de joyaux. Tout comme nous.

C’est pourquoi, au nom des valeurs promues par Sciences Po Lille et le programme de démocratisation, il est primordial de le perpétuer en proposant des projets adaptés aux conditions d’éducations locales dans les établissement encordés d’outre-mer. Nous vous demandons de ne pas écarter les élèves de départements d’outre-mer qui ont besoin de satisfaire leur curiosité et de s’enrichir, au moins autant que ceux des Hauts-De-France. Vous non plus, vous ne ressortirez pas indemne de cette expérience.

Marienka Verriest