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Interview de l’équipe du film l’Arche de Noé

À l’occasion du festival du film d’Arras qui s’est tenu du 3 au 12 novembre, La Manufacture a assisté à plusieurs avant-premières pour conseiller au mieux les élèves de Sciences Po Lille sur leurs prochaines sorties ciné. Nous avons notamment eu la chance de nous entretenir avec l’équipe du film l’Arche de Noé (Bryan Marciano, Elsa Guedj et Finnegan Oldfield), qui sort en salle le 22 novembre prochain.

 

La première question qui me vient est de savoir pourquoi le choix d’une thématique comme celle-ci ?

Bryan Marciano: « Alors en fait, j’avais vu un reportage il y a une dizaine d’années à la télé, sur un jeune homosexuel qui avait été mis à la rue en France dans les années 2010 par sa famille et qui s’est retrouvé dans une association d’aide. L’idée était tellement violente et incongrue pour moi que ça m’a trotté en tête et que ça m’a donné envie, plusieurs années plus tard, de pousser la porte d’une de ces associations et de rencontrer un jeune, puis un deuxième, puis en troisième, puis pendant un an, à travers toute la France, près d’une quarantaine de jeunes, de travailleurs sociaux et de bénévoles. L’urgence d’écrire ce film est donc née de ces rencontres-là, et de ces témoignages. J’étais dans une pièce, avec un iPhone, et ces rencontres et le temps que j’ai passé dans ces associations-là ont dessiné chez moi ce désir de faire ce film. »

 

Quant au choix des acteurs, comment avez-vous procédé ? Le film compte également des acteurs beaucoup plus jeunes, avec des rôles forts, donc quels ont été vos critères pour cette sélection? 

B.M : « Des castings évidemment ! Alors pour Elsa, on avait déjà tourné ensemble et je l’adore très très fort donc je lui ai demandé de venir nous rejoindre. Il y avait quatre acteurs confirmés dont un des jeunes qui est un acteur confirmé aussi. Il y avait une bande de jeunes à créer sur ce film-là, pour incarner les jeunes de l’association. Alors on a fait ce qu’on appelle vulgairement du « casting sauvage », c’est-à-dire que pour la plupart, c’ était la toute première fois. Il y en avait qui avaient des formations de comédiens et d’autres non, et on a fait beaucoup de répétitions en amont, un très long casting sur des longs mois. Il fallait que ça ait l’air vrai, il fallait que les interactions aient l’air suffisamment naturelles pour qu’on y croie. »

 

Et en tant qu’acteur, pourquoi avoir accepté ce rôle ? 

E.G : « Je ne sais pas trop, parce que le scénario était bien »

F.O : « C’est plus compliqué que ça. Ce n’est pas que j’ai accepté, c’est que je voulais jouer dans le film, et puis j’ai passé quand même un casting, et il fallait que je sois pris derrière… J’ai dû un moment un peu me battre quand même pour avoir le rôle et j’étais très content que Bryan me choisisse. En tout cas, ce qui m’a vraiment plu, c’est ce rôle avec cette part de mystère justement dans le personnage d’Alex. On ne sait pas qui c’est, on ne sait pas d’où il vient. Lui non plus, il n’a pas trop de foyer. Tout ça me touchait. En fait, les gens qui n’ont pas de foyers, pas d’endroits où se mettre, ça me touche. »

Donc je suppose que vous vous sentiez proche du personnage.

F.O : « Grave ! Un peu pommé, un peu comme ça. Et oui c’est une histoire sur les jeunes qu’on met à l’écart et ça, ça me touche aussi. Ces gens qu’on met dans une case, genre, tu ne rentres pas dans la société donc on va te mettre à l’écart. «  T’inquiètes y’a un centre pour toi ! ». Ça, ça me touche. »

 

Les témoignages de la scène d’ouverture étaient-ils authentiques ?

B.M : « Ce sont de vrais témoignages ! J’ai recueilli beaucoup de témoignages de jeunes, j’avais toute cette matière et j’ai décidé d’ouvrir le film avec ça. Ça me paraissait donner une certaine forme de réalité à tout ça. Pendant toute la fabrication du film, j’ai dû recontacter les gens que j’avais pu enregistrer pour leur demander leur accord, et c’était marrant parce que je me suis retrouvé dans le même trouble que ce qui est décrit dans le film, c’est-à-dire qu’il y en avait un grand nombre à avoir décroché. J’avais les mails, j’avais les téléphones, mais en fait, ils ont un petit peu disparu dans la nature. Ils ne voulaient plus entendre parler de tout ça, donc c’était assez troublant parce que c’est émouvant de savoir que j’avais de témoignages et une partie de leur vie en enregistrement et que je ne les reverrais peut-être jamais. »

 

Ce qui est également assez frappant dans le film, c’est la diversité des profils de ces jeunes : ils viennent de milieux sociaux différents, d’origines et de religions différentes, et ont aussi des aspirations pour le futur très diverses. Est-ce quelque chose que vous avez observé pendant vos recherches ? 

B.M : « Oui et c’est une des choses qui m’a le plus attiré au départ ! C’est-à-dire que j’ai vu des lieux où des gens cohabitent alors qu’ils n’étaient pas censés se croiser, qu’ils n’ont rien à voir ensemble. Je trouve que c’est un terrain de jeu formidable pour un film parce qu’il y a ce côté huis-clos et que ce rejet-là, malheureusement, n’épargne personne. Moi, j’aime les personnages, j’aime les gens qui ont des caractéristiques hautes en couleur et je trouve que c’est formidable de voir tous ces gens s’entrechoquer dans un petit espace comme ça. »

F.O : « C’était chouette, on était tous unis. On n’était pas égaux, mais on était tous unis pendant un été »

 

Le personnage interprété par Elsa Guedj ne semble pas toujours très compatissant. Est-ce que c’était un rôle compliqué à interpréter ? 

E.G: « Oh non, franchement ce n’était pas dur. Après, oui, c’était un peu des questions d’être un personnage antipathique, raide, cliché, enfin des trucs dont on a parlé ensemble avant le tournage et pendant. Non, je ne peux pas dire que c’était dur à interpréter. »

B.M: « Son personnage pose la question, mais comme pour tous les aidants dans ce film, de la bonne distance à avoir, et la place qu’on veut prendre dans la vie des gens. Est-ce qu’il faut les considérer comme ses enfants, est ce qu’il faut les protéger ou est ce qu’il faut être très dur ? Des fois, il y a une forme de détachement, mais c’est la question du travail social de manière générale et de l’aide. Il faut une forme d’auto-protection, et c’est ce que dit le personnage de Valérie Lemercier : ça reste des vocations. Les travailleurs sociaux, ce sont des gens pour qui c’est le métier, ils sont formés. »

 

Le thème de l’homosexualité / transidentité étant central dans le film, on entend plusieurs fois les personnages se plaindre de la trop grande importance de cette thématique dans leur vie. Aviez-vous la volonté de traiter ces rôles davantage comme des jeunes plutôt qu’à travers le prisme de leur homosexualité / transidentité?

B.M : « Ce sont des gens qui ont été rejetés pour qui ils sont, donc forcément, ils sont dans un moment de leur vie où ils sont à la recherche de soi. Leur famille et ceux qu’ils ont de plus chers ont arrêté de les aimer, pour ce qu’ils sont. Ça engendre donc tout un tas de violence à l’intérieur d’eux-mêmes, et parfois de violence dirigée vers eux mêmes ou vers leurs semblables. Je crois que ce que j’essaie de raconter dans le film, c’est que ce sont avant tout des jeunes et que la société ou leurs parents les ont pointés du doigt pour cette homosexualité ou transidentité. Eux ce qu’ils veulent, en tout cas dans le film, c’est juste avoir une vie paisible. Ce que j’ai observé et ce qui m’a donné envie de faire ce film, c’est que c’était assez rafraîchissant de voir des jeunes comme ça, tenir un discours qui n’était pas politisé de ce point de vue là, parce que c’est lié à leur précarité à ce moment-là de leur vie. Mais j’ai vu avant tout des jeunes et je trouve ça cool de pouvoir aussi, sans effacer  leur singularité, dire ok, oui il y a ce rejet qu’ils ont vécu, mais en fait eux, ce dont ils parlent quand ils bouffent, c’est : “pourquoi moi j’ai cet iPhone et toi t’as celui-là ?”, et “qu’est ce qu’on fait ce soir ?”, et “regarde mes faux ongles”, et ils se charrient. »

F.O : « Ils sont peut-être déplacés, pas bien vus.»

B.M : « Ils ont des défauts comme tout le monde et je trouve que c’est aussi une manière de décaler le curseur un petit peu, de ne pas faire de l’entre-soi et d’ouvrir ça aux gens. »

 

Vous faites également plusieurs allusions à la question religieuse : dans le titre de votre film, mais aussi lors de la scène de Noël, quand un débat sur la religion survient.

B.M : « Déjà, je trouvais ça intéressant qu’il y ait une certaine spiritualité dans le film et puis je trouve que c’est difficile pour des personnes LGBTQ+ qui sont croyantes, ce sentiment qu’ils ont parfois d’être empêchés de croire, et ça m’importait aussi de pouvoir porter cette voix-là, d’essayer de réconcilier des choses qui ne paraissent pas réconciliables. Vous faites allusion à une scène de Noël, donc j’avais surtout envie d’un repas avec une famille, d’un regroupement de gens qui sont sous le même toit, et qui forment une famille de fortune alors qu’ils n’en ont plus. Je trouvais ça amusant aussi d’avoir une référence biblique sur un film qui parle d’homosexualité, parce que ça m’amuse de ne pas être si sérieux avec tout ça. »

 

Vous aviez participé à la réalisation de la série Vingt-cinq en 2018, pourquoi s’être tourné vers le long-métrage ?

F.O : « Tous les matins, c’était vital pour Bryan, sincèrement et ça, c’était beau à voir ! Il n’a rien lâché pendant tout le tournage, il n’a laissé personne tranquille, et c’était bien parce que pendant un tournage, en France, on peut s’endormir »

B.M : « Je rêvais de faire un film. »

 

Y avait-il une volonté d’éduquer d’une certaine façon les esprits sur ce sujet avec ce film? 

B.M : « Il y a plein de réalisateurs qui ont cette ambition-là, mais pas moi honnêtement. L’acte de faire ce film-là est politique, maintenant ce n’est pas mon intention de changer les choses. Je n’ai pas envie d’injecter de la morale là-dedans. J’aime l’idée de faire un film qui peut émouvoir, ou faire rire, faire ressentir quelque chose et qu’il en reste quelque chose après quand on sort de la salle. J’ai des témoignages qui me touchent beaucoup dans ce sens-là, dans les avant-premières. Ces témoignages me touchent et me disent que les regards des gens changent, et j’en suis très heureux, mais je ne me suis pas réveillé un matin en me disant que je vais changer les choses. Ce n’est pas qui je suis, ce n’est pas une mauvaise chose, mais ce n’est pas qui je suis. »

 

Vous avez eu cette habileté dans le film de passer du drame à la comédie en permanence.

F.O : « On est entre le drame et la comédie, moi j’ai du mal à dire qu’il n’est pas drôle ce film.»

B.M : « Moi je dis que c’est un drame drôle plutôt qu’une comédie dramatique. Un drame dans lequel on rit parce qu’il y a de la vie »

F.O : « C’est une machine à laver émotionnelle. Tu ressors du film, tu es chamboulé. Au moment où tu pleures, trois secondes après tu te marres. Je ne sais pas s’il fera changer les choses mais même un sur cent. Il y a une réplique dans ce film, qui est assez juste : « même 1 sur 100 ». Même quand tu passes de la musique dans un bar, ou que tu es DJ, si il y a une seule personne sur cent personnes qui dansent sur ton dance floor, bah c’est gagné en fait. »

B.M : « Moi s’il y a un spectateur en France qui y va, le mec qui est dépressif au dernier degré, alors c’est bon ! »

 

Enfin, que diriez-vous aux étudiants pour leur donner envie d’aller au cinéma?

B.M : « Le Pass culture ! Entre 18 et 20 ans, vous avez 300€. Pourquoi faut-il aller plus au cinéma ? De toute façon, tout le monde retourne au cinéma en ce moment, c’est redevenu la mode donc soyez à la mode bordel ! Je trouve qu’il n’y a rien de mieux que se mettre dans une salle dans le noir pour aller voir un film. »

 

 

Juliette Gauvin-Pontais

 

crédit photo : L’arche de Noé © 2022 ELIPH PRODUCTIONS – ADNP – UGC IMAGES – TF1 STUDIO