A chaque fois que les deux géants de la géopolitique moderne, la Chine et les États-Unis, s’affrontent sur les plans diplomatiques et économiques, le reste de la communauté internationale retient son souffle et scrute le déroulement des événements. C’est ainsi qu’après un an de fortes tensions entre Pékin et Washington on attendait impatiemment la réunion entre les présidents américain Joe Biden et chinois Xi Jinping le 15 novembre 2023 à San Francisco. Que se sont dit les deux dirigeants et quelles décisions ont été prises ? Quel avenir se profile quant aux relations mutuelles entre ces deux puissances ?
Une route sinueuse
Certes, le lien Washington-Pékin n’avait jamais été amical, de nombreux contentieux imprégnant cette relation, mais la dégradation progressive des rapports sino-américains depuis l’année dernière a découlé de la visite controversée de la présidente de la Chambre des représentants américaine Nancy Pelosi à Taïwan en août 2022. Son arrivée à l’île, considérée par les Chinois comme la province insoumise de leur État et revendiquée depuis 1949, a été perçue à Pékin comme une provocation majeure visant à miner son autorité et d’une intrusion dans ses affaires domestiques. Suite à la visite, la Chine a imposé des sanctions économiques sur Taïwan, a lancé de grandes manœuvres militaires aux alentours de l’île et a coupé les canaux de communication militaire de haut niveau avec Washington. Afin de réchauffer les relations, Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés à Bali en marge du G20 en novembre 2022 mais après le rapprochement de trois mois elles se sont aggravées de nouveau à cause du ballon chinois “espion” qui a survolé l’espace aérien des États-Unis en février 2023. Cet incident a entraîné l’annulation de l’arrivée en Chine du chef de la diplomatie américaine Antony Blinken qui aurait pu être un événement marquant pour les deux puissances. Depuis cette complication plusieurs entretiens entre les fonctionnaires américains et chinois ont eu lieu, dont l’un des objectifs était toujours d’atténuer les tensions et de créer un climat adéquat pour la rencontre Biden-Xi, même si cette volonté était plus apparente du côté américain, comme peuvent montrer certains communiqués officiels.
A l’affiche du sommet
Enfin, la volonté politique pour accentuer le dialogue et débattre des crises touchant le monde était prononcée par l’annonce d’une réunion entre Joe Biden et Xi Jinping dans le cadre du sommet de l’Apec (Asia Pacific Economic Cooperation – plateforme de discussion sur les sujets économiques dans l’Asie-Pacifique). En conséquence, les deux chefs d’État ont passé quatre heures dans une résidence cossue située à 40 km de San Francisco le 15 novembre 2023. Joe Biden a qualifié la discussion de constructive et productive. Parmi les questions abordées se sont trouvées, entres autres, le fentanyl, l’IA, Taïwan et les crises actuelles:
- Le fentanyl demeure au cœur du problème du narcotrafic aux États-Unis. C’est un fort opiacé de synthèse dont les overdoses se classent comme la première cause de décès chez les 18-49 ans sur le territoire américain chaque année – ce qui le rend pertinent dans ce contexte, c’est qu’il est confectionné avec des substances chimiques dont une quantité substantielle provient de la Chine. Dans le but d’atténuer cette affaire, le président chinois a promis d’implémenter “un certain nombre de mesures conséquentes pour réduire considérablement les approvisionnements” des composés du fentanyl. Biden et Xi ont également décidé de reprendre la coopération bilatérale afin de lutter contre la fabrication et le trafic mondial de drogues illicites.
- Taïwan constitue un autre sujet délicat et divergent entre la Chine et les États-Unis. Les deux parties souhaitent sauvegarder leurs intérêts ou parvenir aux objectifs stratégiques. Pendant que Washington veut endiguer l’expansion chinoise dans la région et préserver l’architecture de sécurité existante ainsi que protéger la démocratie taïwanaise, Pékin cherche à unifier “l’île rebelle” avec la Chine continentale et ériger sa position de puissance dominante dans l’Indo-Pacifique. D’ailleurs, à la lumière des élections présidentielles taïwanaises Joe Biden a exhorté Xi Jinping à “respecter le processus électoral” – c’est-à-dire notamment ne pas propager la désinformation et lancer les cyberattaques. Il a aussi réaffirmé que Washington se conforme à sa politique d’une seule Chine et s’oppose à chaque tentative du changement unilatéral au statu quo de l’île. Cependant, son homologue chinois a demandé à Joe Biden d’arrêter la livraison d’armes à Taïwan en disant que la réunification reste inéluctable.
- Étant donné le développement rapide de l’intelligence artificielle et les risques liés à cette technologie, les délégations chinois et américain se sont également accordées sur la fondation d’une équipe d’experts dont le rôle sera d’analyser et soulager ces risques.
- Xi Jinping et Joe Biden ont également délibéré de la crise au Moyen-Orient, le premier appelant son homologue à engager les discussions avec l’Iran et tentant de le convaincre de s’abstenir de quelconques provocations.
Un accord sans perdant ?
Le sommet s’est avéré décisif pour la communication militaire entre les États-Unis et la Chine, débouchant aussi bien à la réactivation des canaux de communication militaire qu’au rétablissement des négociations sur la coordination de la politique de défense entre Washington et Pékin. De plus, les lignes téléphoniques ont été relancées entre les forces armées américaines et chinoises au niveau des théâtres d’opérations. Ces décisions sont particulièrement importantes, surtout que les États-Unis ont demandé à la Chine d’ouvrir la communication militaire à plusieurs reprises depuis quelques mois. Les deux puissances sont désormais munies d’un instrument de la communication directe et rapide, si indispensable dans la région indopacifique étant l’une des moins stables et sûres. En effet, en cas d’un malentendu ou d’un incident militaire ces voies de dialogues pourraient permettre de résoudre la situation instantanément et d’éviter une escalade inutile. Joe Biden et Xi Jinping ont bénéficié de l’entretien pour aborder leurs politiques domestiques respectives. Le président américain a déjà présenté sa candidature pour les présidentielles de novembre 2023. Comme il est régulièrement dénoncé par les républicains pour une lutte insuffisante contre le narcotrafic, il peut utiliser les résultats du sommet concernant le fentanyl pour renforcer sa position en tant que leader américain. Xi Jinping est probablement rentré à Pékin assez satisfait lui aussi. Il est primordial de se souvenir que l’économie chinoise avait été ralentie par la pandémie covid et qu’à présent les indicateurs économiques, y compris la baisse des investissements étrangers, génèrent l’inquiétude parmi le Parti communiste chinois dont la légitimité repose en grande partie sur l’essor économique. Par conséquent, le président chinois s’est rendu à San Francisco pour dissuader l’administration américaine d’introduire de nouvelles sanctions à l’industrie technologique chinoise et fluidifier l’afflux des investissements étrangers vers la Chine en affichant la stabilité et l’avenir calme entre la Chine et les États-Unis.
Quel futur?
Bien que le président chinois ait affirmé que la Chine n’avait pas l’intention de démarrer une quelconque action militaire contre Taiwan dans les années à venir, il a souligné qu’à un moment donné des mesures pour avancer vers une résolution plus générale devraient être prises. Cet exemple fait preuve que certains dossiers nécessitent quelque chose de plus qu’une seule réunion de quatre heures. Le sommet n’éradique pas la grande rivalité entre Washington et Pékin qui demeurent les deux plus grands adversaires stratégiques du monde et dont la plupart des intérêts sont contradictoires. En fait, les États-Unis constituent l’obstacle majeur pour l’expansion chinoise et son ambition d’être la plus grande puissance mondiale. Pourtant, force est de constater que la rencontre à San Francisco démontre une volonté politique chinoise et américaine de rester en contact sur les défis auxquels la communauté internationale doit faire face et à gérer la compétition d’une manière responsable. C’est le début prometteur des relations améliorées entre les deux géants, et Xi Jinping et Joe Biden devraient faire attention à ne pas détériorer le lien de nouveau. Le dialogue reste essentiel, pour notre salut à tous.
Jakub Witczak
Sources :
Experts react: What did Biden and Xi’s ‘candid’ meeting accomplish?
https://www.cfr.org/blog/meeting-low-expectations-analyzing-president-bidens-summit-chinese-president-xi-jinpinghttps://www.france24.com/fr/info-en-continu/20231116-biden-et-xi-veulent-%C3%A9viter-que-leur-rivalit%C3%A9-ne-d%C3%A9g%C3%A9n%C3%A8re?source=email
https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/apres-ballon-chinois-espion-strategie-de-joe-biden-renouer-pekin-devient
https://www.ifri.org/fr/publications/editoriaux-de-lifri/lettre-centre-asie/rencontre-biden-xi-san-francisco-avancees
https://www.reuters.com/world/asia-pacific/what-chinas-xi-gained-his-biden-meeting-2023-11-17/
https://www.reuters.com/world/takeaways-biden-xi-meeting-taiwan-iran-fentanyl-ai-2023-11-16/
https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/11/15/readout-of-president-joe-bidens-meeting-with-president-xi-jinping-of-the-peoples-republic-of-china-2/