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Moi, Capitaine, qu’est ce qu’on en pense?

À l’occasion du festival de film d’Arras qui s’est tenu du 3 au 12 novembre dernier, nous avons non seulement eu la chance de découvrir son nouveau film en avant-première, mais également de rencontrer son réalisateur Matteo Garrone (invité d’honneur de cette année) pour nous parler de Moi, Capitaine : l’occasion de vous dire ce qu’on en a pensé.

Voilà déjà plusieurs années que le cinéma italien n’avait pas fait autant de bruit. En effet, la sortie du nouveau film de Matteo Garrone, Moi, Capitaine a non seulement secoué les spectateurs, mais aussi les médias, ne pouvant s’empêcher de faire le lien avec l’actualité. Garrone fait partie de ces quelques résistants, tels que Paolo Sorrentino ou Marco Bellocchio, qui persistent encore à porter l’héritage d’un cinéma d’influence, même si beaucoup préfèrent s’incliner devant les attentes des studios hollywoodiens. Ici, à contre-courant des tendances actuelles, il cherche une nouvelle fois à porter sur grand écran son pays : non pas l’Italie de la « Dolce Vita » mais celle de la mafia, de la pauvreté, de l’immigration, mais aussi celle marquée d’un héritage culturel fort. On lui donne ainsi, souvent à tort selon lui, le tire de cinéaste social, pour remercier la démarche humaniste qui empreigne ses films.Son dernier film en salle depuis le 8 janvier, ne le désapprouve pas dans sa quête de montrer la vraie Italie, celle confrontée à la question migratoire.

Près d’un an après l’investiture d’une première ministre se réclamant ouvertement d’extrême droite, Moi, Capitaine est pour la première fois montré au grand public : l’occasion de mettre en avant le sort des grands oubliés des récentes lois sur l’immigration. Si on s’attendait à une certaine déconsidération du public, c’est bien au contraire l’inverse qui s’est produit. Loin de susciter l’enthousiasme général, ce film a tout de même été plus d’une fois salué par la critique, et diffusé dans de nombreuses écoles italiennes pendant six mois. Si certains y ont vu une forme de propagande, le réalisateur s’est exprimé en disant qu’il cherchait uniquement à retranscrire l’expérience de ses exilés. Loin de la spéculation à travers l’image, c’est au contraire vers une moindre violence par rapport à la réalité qu’il s’est tourné. Au croisement de Gomorra (2008) et Pinocchio (2019), Garrone a cherché à dénoncer les injustices exercées par son pays au moyen d’une fable noire dont les monstres ne sont finalement pas ceux pressentis.

Cette Odyssée du désert n’est pas celle du glorieux Ulysse, mais celle de Seydou et son cousin Moussa non pas moins courageux que le héros mythologique, mais dont la bravoure demeure négligée. Tous deux n’ont qu’un seul rêve : celui de quitter leur village de Somalie pour rejoindre l’Europe et devenir de célèbres rappeurs. Ils regroupent ainsi leurs quelques économies et partent lorsque que leur mère dort encore pour ne pas l’affoler, elle qui aurait naturellement refusé une telle folie. Les vingt premières minutes du film nous plongent dans un climat d’espoir et d’euphorie à l’idée d’un tel voyage, où le réalisateur ne se prive pas d’un peu d’humour, qui contraste avec le thème général du film. En effet, c’est avant tout l’histoire de deux adolescents de quinze ans, avec les mêmes centres d’intérêts que tous autres adolescents du même âge. Et pourtant leur origine fait qu’ils ne sont pas destinés à vivre une adolescence commune. Très vite, ce qui semblait être une épopée formidable à travers le désert se transforme en un parcours interminable passant des dunes, aux salles de tortures, jusqu’aux bidonvilles libyens, sans oublier les prisons clandestines. Bien que la maxime « marche ou crève » soit de mise, l’inhumanité sidérante de certains n’empêche pas pour autant les élans de solidarité dont d’autres sont épris. 

Moi, Capitaine veut éveiller les consciences sur ce qu’on se refuse d’imaginer. Ici l’impensable devient concret, et va même parfois jusqu’à dépasser tout ce qui est évoqué dans les médias. Que ce soit les scènes de tortures ou simplement l’histoire bouleversante de ces deux jeunes, Garrone nourrit notre imaginaire et permet d’illustrer des textes de lois et opinions sur la question de l’immigration (trop souvent dissociés de la réalité). Le réalisateur explique que ce film n’est non pas tiré de son imagination ou de ce qu’il pense être le parcours d’un migrant, mais l’histoire vraie d’un jeune de 15 ans avec lequel il s’est entretenu au centre d’accueil des mineurs à Catane en Italie. Il n’extrapole pas, ni ne sous-estime pas les événements, ils les montrent seulement tels qu’ils sont, même si la vérité peut parfois être crue à regarder. Le réalisateur s’imprègne ainsi de l’héritage culturel italien avec un film qui s’encre une nouvelle fois dans le mouvement néo-réalisme initié par R. Rossellini, suivi de près par F. Fellini et PP. Pasolini. 

Pour conclure, nous pourrions nous accorder sur les quelques mots de Mamadou Kouassi, qui a été consultant sur le scénario, pour qui ce film est surtout « une grande opportunité de porter une voix, pas seulement ma voix, mais celle de beaucoup de personnes que nous avons vu périr dans le désert, dans les prisons et pendant la traversée de la mer ». 

 

 

 

Juliette Gauvin

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