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Retour sur la conférence avec Jean-Pierre Filiu et la présentation de son dernier ouvrage

Le 27 septembre, l’association Maïdan organisait une conférence sur le conflit israélopalestinien avec comme invité l’historien Jean-Pierre Filiu. Nous vous en partageons ici un compte rendu originellement publié sur le blog de Maïdan que La Manufacture remercie pour sa collaboration.

Jean-Pierre Filiu est historien, ancien diplomate au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et professeur des universités en histoire à Sciences Po Paris. Il nous présentait son dernier livre : Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n’a pas gagné. Cet ouvrage a certes été publié en février 2024, cependant sa rédaction a débuté bien avant le 7 octobre 2023.

Jean-Pierre Filiu décrit son travail sur le sujet comme une “somme thématique” du conflit. Le conflit israélo-palestinien selon lui présente deux caractères hors-normes : tout d’abord c’est un conflit où il ne peut y avoir de victoire militaire mais aussi où il ne peut que y avoir “que des gagnants ou que des perdants”. Ainsi la seule solution plausible au conflit serait la solution à deux États, cette dernière serait “une victoire partagée”. Le conflit israélo-palestinien est un éternel recommencement qui a la particularité d’empirer à chaque renouvellement. “Si cette guerre ne débouche pas sur la paix, la prochaine sera pire” estime-t-il.

Par la suite l’auteur revient sur l’origine de la pensée sioniste et son développement. L’idéologie sioniste avant d’être juive a principalement été d’origine protestante. Elle s’est développée dans les cercles protestants des pays anglo-saxons comme en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Ce sionisme chrétien qualifié de nos jours d’évangélique s’inscrit dans une logique dans laquelle le fidèle ne peut parvenir au salut que si le peuple élu accomplit les prophéties de l’Ancien Testament, et donc s’installe en terre promise. Peu à peu va se construire une doctrine “restaurationniste” (restaurer le peuple d’Israël sur sa terre), qui va devenir extrêmement populaire aux États-Unis. Jean-Pierre Filiu cite par exemple Lord Shaftesbury qui à propos de la Palestine et des juifs parle en 1853 “d’une nation sans terre pour une terre sans nation”. Cette doctrine devient ensuite très populaire aux États-Unis. La plupart des juifs n’y adhèrent pourtant pas, et elle demeure avant tout protestante. Par exemple lors de la déclaration Balfour de 1917 qui promet la création d’un “foyer national juif en Palestine”, le seul ministre britannique à s’y opposer, Montagu, est juif.

Le problème central après l’effondrement de l’empire ottoman et le mandat britannique puis de la SDN est celui du statut donné aux deux peuples. Pour Jean-Pierre Filiu, “l’existence officiel d’un Peuple minoritaire et l’existence officieuse d’un peuple majoritaire, ne peut que déboucher sur un État binational ou alors deux États séparés”. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah, le mandat britannique de la Palestine devient onusien, ce qui débouche en 1948 à la partition du territoire palestinien en deux États. En revanche, la partie arabe va refuser ce plan profondément injuste où la population juive, qui ne représente qu’un tiers de la population, obtient la moitié du territoire.

Ce plan de partition va être soutenu par les États-Unis de Harry Truman, président profondément chrétien et sioniste. Il est convaincu qu’il est le nouveau Cyrus (il le dira d’ailleurs lui-même), roi perse qui dans la Bible a promu le retour des Juifs en terre promise après l’exil à Babylone. Les États-Unis reconnaîtront l’État d’Israël quelques heures après sa proclamation. La guerre civile en Palestine devient une guerre internationale qui va se conclure par un cessez-le-feu, pas une véritable paix. Progressivement, le mouvement sioniste chrétien va se structurer aux États-Unis pour faire pression sur les administrations successives pour soutenir Israël. La force de l’influence israélienne aux États-Unis est qu’elle est multiforme en termes d’orientation politique, les travaillistes au pouvoir lors des 20 premières années de l’État d’Israël étaient proches des démocrates, tandis que le Likoud lui a su se rapprocher des administrations républicaines. Ainsi le lobby chrétien évangélique, base très forte de l’électorat Républicain, est un lobby pro-Likoud, pro-occupation et même pro-colonisation. Ce mouvement va connaître une grande réussite lors de l’élection de Donald Trump et par la suite la reconnaissance officielle de Jérusalem comme capitale israélienne en y déplaçant l’ambassade américaine en 2017. Joe Biden n’est d’ailleurs pas revenu dessus. Selon Jean-Pierre Filiu, il est impossible que les États-Unis prennent le rôle de médiateur dans le conflit. La seconde force d’Israël est son fonctionnement interne, le sionisme fait consensus au sein des différentes fractions politiques ce qui permet un fonctionnement clair et unis des multiples gouvernements israéliens.

De l’autre côté, la Palestine est confrontée à deux faiblesses structurelles. La première faiblesse, c’est l’illusion arabe : la Palestine est trop arabe pour que les régimes arabes puissent ne pas s’en mêler mais son identité locale est trop forte pour que les arabes fassent ce qu’il faut pour défendre les Palestiniens. Les sionistes reconnaissent la dimension arabe des Palestiniens pour justifier leur déportation dans les pays arabes. Quand la guerre israélo-arabe de 1948 s’achève, l’Égypte administre militairement la bande de Gaza quand la Jordanie annexe la Cisjordanie. Ils auraient pu donner ces territoires aux Palestiniens, ils ne l’ont pas fait. Les 20 premières années de l’engagement de Yasser Arafat ont été un combat contre les Arabes : les Jordaniens, les Libanais, les Syriens, les Égyptiens. Les Palestiniens se sentent donc abandonnés : c’est la France de Mitterrand qui, en 1982, va obtenir un cessez-le-feu pour faire évacuer Yasser Arafat de Beyrouth alors encerclée par l’armée israélienne. Plus récemment les accords d’Abraham en 2021 ont encore démontré ce phénomène. La deuxième faiblesse de la Palestine, c’est la fragmentation des Palestiniens eux-mêmes. Au moment où l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) sous la pression de l’Intifada a débuté des pourparlers pour la solution à deux États, les Frères Musulmans, qui traitaient avec Israël en sous-main, se sont transformés en Hamas et ont annoncé qu’il entrerait en guerre si jamais l’OLP faisait la paix avec Israël. Or l’OLP de Yasser Arafat a toujours voulu éviter la guerre civile entre Palestiniens.

Ainsi la solution à deux États est aujourd’hui lointaine. Jean-Pierre Filiu interpelle et demande donc “aujourd’hui quelle est la voix des Palestiniens ? Qui parle légitimement en son nom ?”

Avant de conclure, le professeur revient sur la différence de traitement médiatique entre l’Ukraine et la Palestine, répondant à une question du public. “Imaginez si pour la guerre en Ukraine la couverture médiatique se ferait par des journalistes accrédités en Russie, depuis Moscou, accompagnés de troupes russes lors de leur couverture médiatique”.

In fine Jean-Pierre Filiu réaffirme que la réponse à la question palestinienne doit passer par la solution à deux États.

L’équipe Maïdan remercie chaleureusement Jean-Pierre Filiu pour son intervention à Sciences Po Lille et invite l’ensemble des personnes intéressées à se tourner vers ses ouvrages.

Oscar Ohnmacht.

Publié originellement sur le blog de Maïdan, association de promotion de la culture du Moyenorient : https://maidansciencespolille.blogspot.com/

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