Ministre des Transports jusqu’à la loi immigration lui valant un remerciement, malgré son engagement
auprès d’Emmanuel Macron dès 2016, Clément Beaune connaît un parcours politique témoignant de son
appétence pour les enjeux européens.
Conseiller spécial à l’Élysée entre 2017 et 2020 sur les questions européennes, avant de devenir Secrétaire
d’État chargé des Affaires européennes dans le gouvernement Castex puis Ministre délégué chargé de
l’Europe dans le gouvernement Borne, c’est tout naturellement que sa conférence à Sciences Po Lille du
21 novembre dernier 2024 se tourne vers les défis auxquels l’Europe est confrontée, à ce jour et à l’avenir.
Guerre en Ukraine, élection américaine, montée en puissance de la Chine ou encore tensions internes :
quelle stratégie, quelle attitude adoptée pour l’Union Européenne dans une vie politique internationale
sous tension et empreinte de bouleversements ? Sans évoquer les enjeux nationaux, la grève de la SNCF
ne pouvant le laisser indifférent…
Pour tenter d’y répondre, la Manufacture a interviewé Clément Beaune, avec l’aide/aux côtés de Sciences
Po Lille TV.
Tout d’abord, à quels défis l’Union européenne est elle confrontée dans les années à venir, que ce soit à
l’intérieur de l’Union européenne ou à l’extérieur ? Et que préconisez-vous pour y faire face ?
L’Union européenne est confrontée à beaucoup de défis, ce qui n’est pas nouveau parce qu’elle est
impliquée dans beaucoup de domaines d’action après plus de 70 ans de construction : l’agriculture,
l’écologie, l’industrie, etc. Je pense que c’est d’ailleurs un échelon pertinent, donc tant mieux qu’elle
s’implique dans beaucoup de ces sujets là.
Ce qui est probablement nouveau, c’est que beaucoup de ces grands défis sont des défis externes : les
questions du rapport aux Etats Unis d’Amérique, avec peut être des taxes commerciales qui vont être
imposées par Donald Trump ; la question de la sécurité et de la défense qui est devenue la question de
l’Ukraine ; la question du Proche-Orient, la question là-aussi de notre rapport aux États-Unis ; la question
du rapport à la Chine, qui est un sujet en soi qui est assez récent pour l’Europe ; qu’est ce qu’on a comme
partenariat ou comme rivalité ; les questions migratoires, les questions climatiques, les questions
numériques sont toutes et tous des défis qui se produisent à l’échelle internationale. Il n’y a pas de
politique efficace contre le changement climatique qui n’est pas globale et donc qui n’est pas au moins
européenne si on veut essayer de pousser des positions en commun.
Alors que l’Europe, au début, était plutôt confrontée à des discussions internes : faire un marché commun,
créer une monnaie commune… Là, il faut vraiment qu’on arrive à redevenir une puissance qui défend des
intérêts dans le monde.
Et quelles conséquences pensez vous que le siège de Viktor Orban au Conseil de l’Union européenne
pourrait avoir sur le fonctionnement de l’Union européenne, que ce soit dans l’Union européenne ou à
l’extérieur de l’UE ?
Alors, tous les pays ont le droit à la présidence. Donc la Hongrie, en tant que membre de l’Union
européenne a, quel que soit son gouvernement choisi, six mois de présidence tous les quatorze ou quinze
ans. On est en ce moment plutôt vers la fin – tant mieux. Il faut être lucide ; une présidence semestrielle, et
celle de Viktor Orban en particulier, ne change pas tant de choses que ça. Il y a une dimension symbolique
qui n’est pas bonne parce que c’est un pays qui a violé les règles de l’état de droit, parce que c’est un pays
qui est encore dans certaines procédures de sanctions européennes d’ailleurs, c’est un pays qui a bloqué
souvent le soutien de l’Union européenne à l’Ukraine ces derniers mois et qui aujourd’hui, on voit les
élections en Géorgie, soutient souvent le camp de la Russie ou en tout cas à mon sens, pas tout à fait les
intérêts de l’Union européenne.
La bonne nouvelle de tout ça, c’est que c’est bientôt fini. Et donc au 1er janvier, le tour change et c’est la
Pologne qui va prendre pour six mois la présidence du Conseil de l’Union européenne, avec un agenda
très différent et pro-européen. Heureusement, l’Europe ne change pas de direction tous les six mois et
donc elle a quand même réussi, même pendant la présidence hongroise, à défendre ses intérêts, par
exemple en décidant de sanctions commerciales contre la Chine sur les voitures électriques ou en
continuant son soutien à l’Ukraine.
Donc derrière l’aspect symbolique et négatif, il y a une vie européenne qui continue et qui heureusement
n’est pas décidée par un seul pays ou par un seul leader, même pas par Viktor Orban.
Ensuite, vous le savez, Donald Trump a été élu à la présidence États-unienne il y a deux semaines dans
une tribune que vous avez écrite, publiée dans Le Monde, vous parlez d’un potentiel duel entre le bloc
américain et le bloc européen. Qu’en dites vous et quelles stratégies préconisez vous que l’Union
européenne mène face à l’élection de Donald Trump ?
Je ne sais pas si c’est un duel parce qu’on restera une question de sécurité, j’espère de soutien à l’Ukraine –
c’est moins sûr, évidemment -, des alliés ou des pays qui, au delà d’un mandat de quatre ans, aussi négatif
ou brutal soit-il, on va le découvrir malheureusement, devront rester liés.
La question, c’est plutôt est-ce que l’Europe renforce son autonomie ? Ça aurait été nécessaire, quel que
soit le résultat des élections américaines, mais c’est encore plus nécessaire vis à vis de M. Trump, en
termes de défense, en termes de soutien à l’Ukraine, en termes commerciaux, en termes de climat. Il est
possible que Donald Trump remette en cause, comme il l’avait fait dans son premier mandat, l’accord de
Paris ou la participation des États-Unis à l’Accord de Paris. Il faudra qu’on évite que d’autres pays fassent
de même et qu’on continue notre ambition climatique, y compris avec des États américains qui ne pensent
pas exactement comme leur président. Donc ça, ça plaide pour une autonomie, une indépendance, une
souveraineté, des propositions européennes beaucoup plus fortes.
Ce que je dis aussi, c’est qu’il ne faut pas être naïf. La réaction européenne, le sursaut européen face à
cette crise ou cette tension ne va pas être spontané.
On ne va pas tous se réunir et penser tous la même chose tout de suite sur les taxes sur la Chine, sur la
défense, sur l’Ukraine. Donc il faut que la France, notamment, je crois que c’est notre rôle, prenne
l’initiative pour qu’on ait une réponse européenne d’abord coordonnée pour défendre nos intérêts en
matière commerciale par exemple ; mais qu’on ait une ambition d’accélération de notre investissement
dans la défense, dans la transition écologique pour prendre ces grands défis, entre autres. Ça ne sera pas
naturel, ça ne sera pas automatique. À nous de le construire, de trouver les alliés et d’avancer.
Ensuite, question d’un tout autre registre, quel a été le moment de la rupture entre vous et le gouvernement
? Quand est-ce que vous avez décidé que ça suffisait pour vous et que vous vouliez quitter le
gouvernement d’Emmanuel Macron ?
Alors si je suis honnête, c’est plutôt le gouvernement qui a rompu avec moi. Moi, j’étais ministre des
Transports et j’ai exprimé, on le sait, un désaccord sur la loi immigration. Je n’ai pas quitté le
gouvernement, je ne rentre pas dans ce débat. Certains ont dit que j’aurais dû le faire. J’ai exprimé ce
désaccord politique dans un domaine qui n’était pas le mien et il y avait des politiques publiques que je
menais en matière d’écologie et de transports qui me paraissaient importantes et que j’arrivais à faire
avancer. Il y a eu un choix politique qui a été fait, qui était de ne pas me garder, ce qui donnait un signal
dans ce gouvernement. C’est comme ça, c’est la vie politique.
Moi, ce qui m’intéresse, c’est de poursuivre mes combats ou ces convictions là. Après, où on est efficace ?
Ce sont les électeurs ou les gens qui jugent. Mais moi, je n’ai pas changé de convictions. Je pense que sur
l’immigration, on doit avoir une ligne qui assume que c’est une chance, mais qu’il faut effectivement un
certain nombre de contrôles, mais ne pas avoir un discours qui rejoint à mon avis un discours trop radical
de fermeture ou de stigmatisation. Je pense que sur l’écologie, il faut bien sûr accompagner les industries,
les emplois, les agriculteurs pour la transition, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts, mais il faut
continuer à investir et je suis inquiet sur les décisions qui sont prises en ce moment dans nos transports,
dans nos réseaux de transports publics, dans le vélo qui est un plan que j’avais monté et qui est aujourd’hui
à l’abandon. Voilà.
Donc la politique, c’est des convictions générales, c’est des politiques particulières qu’on mène. Moi, j’ai
assumé ces désaccords là, ça arrive, j’en ai payé le prix, ça arrive aussi. Mais l’important c’est d’être en
accord avec soi même et puis de continuer le combat. Après, j’ai perdu aux élections législatives et puis je
me présenterai peut être demain, après-demain à d’autres élections. Mais j’essaierai de dire toujours à peu
près la même chose. C’est comme ça qu’on est, je pense, fidèle à ses valeurs, à ses valeurs et ses
convictions.
Ensuite, vous le savez aussi, aujourd’hui a lieu une grève de la SNCF. Les syndicats dénoncent le démembrement de fret SNCF qui était la principale filiale de transport de marchandises par rail de la SNCF. Et dans un article du Monde, les syndicats dénoncent un funeste plan de dumping social. Qu’est-ce que vous en pensez, vous, sachant que ce qui est surtout dénoncée, c’est la scission de Fret SNCF que vous auriez choisie en 2023, lorsque vous étiez encore au ministère des Transports ?
Sur la grève elle même : moi je respecte la grève. Je n’ai jamais considéré que c’était une mauvaise
manière, une prise d’otage ou quoi que ce soit. C’est un droit constitutionnel et on exprime une
revendication.
Sur le fond, je l’assume, j’ai pris cette décision en effet, comme ministre des Transports. J’aurais préféré ne
pas avoir à prendre une décision aussi difficile. Ça vient d’une procédure européenne en matière de
concurrence qui, pour faire court, imposait de rembourser plus de 5 milliards d’euros à l’entreprise et qui
aurait, je le crois, tué l’entreprise. On aurait pu attendre, gagner un peu de temps, etc. J’ai assumé de
prendre une décision rapide avec des lignes rouges, protéger l’emploi. On parle de 500 emplois
supprimés ; ils sont supprimés de fret SNCF ou de la nouvelle société mais il reste un groupe SNCF et
personne ne perd son job et personne ne perd son salaire. Ce n’est pas des gens qui vont être au chômage,
ce n’est pas un plan social, c’est quand même très important de le rappeler.
On va aussi avoir un plan d’investissement que j’avais décidé et je souhaite que le gouvernement
maintienne le réinvestissement dans le fret pour la nouvelle entreprise et puis pour les opérateurs aussi de
fret, j’assume qu’il y ait de la concurrence et différents opérateurs en matière de fret, même s’il faut garder
une entreprise publique. Donc j’avais pris cette décision, ça arrive qui était un moindre mal, parce que je
pense qu’entre une décision difficile mais encadrée aujourd’hui, une décision de remboursement de 5
milliards d’euros demain ou après-demain qui aurait tué à coup sûr l’entreprise et tous ces emplois, il valait
mieux prendre cette décision, l’accompagner et réinvestir.
Donc moi, je ne m’en suis pas caché, j’ai eu des discussions difficiles et douloureuses avec les syndicats et
la direction de l’entreprise, mais j’assume d’avoir fait ce choix parce qu’en politique, il faut prendre ses
responsabilités. J’aurais pu attendre, vous voyez, j’ai quitté le ministère entre temps, et laissé à un
successeur l’arbitrage sur ce sujet. Donc, je sais aujourd’hui qu’on me reproche parfois ce plan. Et ce qu’on
me reproche en fait, c’est de prendre le risque d’abîmer le fret.
Moi, j’ai au contraire remis de l’argent dans le fret ferroviaire. La part a beaucoup baissé en France. Elle
est en train de remonter un petit peu, elle se fera par l’investissement dans les infrastructures, dans les
gares de fret et dans le soutien d’une nouvelle entreprise publique de fret ferroviaire qu’il faut garder
évidemment.
Je pense qu’on peut conclure. Merci, Monsieur le ministre d’avoir accordé ce temps.
Merci à vous.
Interview : MELHEM Lina et SPLTV
Retranscription : JOLY Valentin