Quand l’Occitanie se mobilise contre le projet autoroutier de l’A69, les Hauts-de-France se mobilisent contre le projet d’une autoroute aquatique, le Canal Seine-Nord Europe. Ce dernier projet rencontre beaucoup moins d’écho, alors qu’ il soulève les mêmes problématiques : menaces pour l’environnement, magouilles économiques et violences policières. Un projet daté qui n’est plus du tout en concordance avec les problématiques contemporaines.
Jeudi 20 février, une soirée de soutien à la lutte contre le Canal Seine Nord Europe fut organisée au Centre Culturel Libertaire lillois : dans la joie s’organise la lutte. Les fonds récoltés permettront d’aider à payer les frais de justice des militant.es arrêté.es après une action symbolique qui a eu lieu à Compiègne à la fin janvier. En écho aux écureuils de la lutte contre l’A69, les militant.es avaient organisé l’action symbolique d’occuper des arbres dans cette ville située sur le tracé du canal. La CNAMO, une unité «spécialisée dans le dégagement d’obstacles complexes» assez unique en son genre, qui a pour mission de mettre un terme aux accrochages complexes de manifestants, a été envoyée sur les lieux. Un dispositif disproportionné et violent a ainsi été mis en place pour réprimer cette action symbolique. Après Sainte-Soline et alors que la lutte contre l’A69 continue, l’Etat n’a de cesse de s’attaquer aux Soulèvements de la terre et aux autres organisations militantes.
Mais quel est l’objectif de ce projet dont personne n’entend parler ?
L’idée est d’améliorer le réseau fluvial du nord de la France, pour mieux relier la Seine aux ports du nord de l’Europe grâce à un méga-canal de 107 km de long et 54 m de large qui relierait l’Oise au Canal Dunkerque-Escaut. Son coût avoisinerait les 7 milliards d’euros, et il sera bien évidemment financé par l’argent public.
Carte du projet du canal Seine-Nord Europe
L’un des principaux arguments avancés est la réduction du transport de marchandises par camions. Le canal permettrait de désengorger l’autoroute A1. Mais seule une part assez marginale des marchandises sillonnant l’A1 sont « fluvialisables », et les péniches emprunteraient alors essentiellement leurs marchandises au rail. D’autant plus qu’un canal existe déjà sur le tracé du CSNE, le Canal du Nord, qu’il convient de moderniser, mais dont le coût de modernisation est minime par rapport au projet du CSNE. Par ailleurs, le réseau ferré est très dense dans la région, et permet déjà le transport de beaucoup de marchandises : le moderniser semble être une alternative bien meilleure, dans la mesure où le fret est bien moins émetteur de GES que les canaux et la route. Mais l’environnement passe toujours en dernier.
Un désastre environnemental :
Par un arrêté préfectoral de l’Oise, le CSNE a bénéficié de dérogations quant à l’interdiction de détruire ou enlever et perturber intentionnellement des spécimens d’espèces animales protégées, mettant alors en danger de destruction d’habitats plus de cinquante espèces protégées. Ainsi la loi peut être modulée selon des volontés de retombées économiques (mal fondées), sans aucun regard pour la démocratie. Le CSNE, c’est aussi la destruction de milliers d’hectares de terres agricoles, avec près de 80 millions de m³ de terrassement. Des zones Natura 2000 seraient détruites. À nouveau, l’environnement est pris en étau par la brutalité.
Ce sont aussi les questions autour de l’eau qui sont l’enjeu majeur du projet : une retenue d’eau équivalente à 22 fois le volume de celle de Sainte-Soline est prévue, 14 millions de m³, selon le Comité de liaison pour des alternatives aux canaux interbassins (CLAC). Cette retenue est présentée comme une alternative au pompage de l’Oise en période de sécheresse (pompage très énergivore qui empêche toute comparaison digne avec le fret de ce point de vue). 21 millions de m³ d’eau seront nécessaires pour le canal lui-même. En tout, ce sont donc 35 millions de m³ d’eau qui sont nécessaires, ce qui pose de grands problèmes d’accaparement des ressources en eau, particulièrement dans un contexte de dérèglement climatique où l’eau pourrait se raréfier.
Un gouffre économique ?
Selon le Comité de liaison pour des alternatives aux canaux interbassins, les calculs de rentabilité du CSNE sont basés sur un taux de croissance du PIB trop ancien et que les économistes ne considèrent plus comme possible, et que le dérèglement climatique interdit. De plus, les prévisions de trafic auraient été surestimées en comparaison à la réalité d’autres canaux similaires. Ainsi le Rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable et de l’Inspection générale des finances (IGF) explique que « Les prévisions de trafic réalisées par VNF ont continué à s’appuyer sur un scénario macroéconomique datant de 2005 », et donc « Les prévisions de trafic et donc de recettes tirées de l’exploitation du canal doivent être revues à la baisse ».
N’oublions pas que c’est l’argent public qui, dans un contexte de déficit budgétaire et de crise économique, doit financer cet ubuesque projet. Selon l’IGF, au moins 7 milliards d’euros seront nécessaires au projet.
Mais à qui ce projet bénéficierait-il ? Des élu.es locales et locaux poussent ce projet, comme Xavier Bertrand, Président des Hauts-de-France ou Martine Aubry, mairesse de Lille. Les promoteurs du BTP et les chambres de commerce se font les ardents défenseurs du projet.
Le silence est trop grand sur cet aberrant projet. Dans les papiers depuis des années, prévu pour 2030, le projet est pourtant écocidaire et inutile en tous points. La mobilisation continue et doit continuer. Tout le long du tracé, des collectifs environnementaux organisent des réunions publiques, des tractages, des actions symboliques. La mobilisation doit continuer, et la lumière doit être mise sur ce carnage couvé par les pouvoirs publics. L’environnement ne doit plus être pris en étau.
Lou Landgren