Les îles celtes sont imprégnées d’un riche folklore qui fait rêver. Entre Banshee et Leprechaun, il y a de quoi retomber en enfance. Mais au-delà de créatures fantastiques, l’Irlande, l’Écosse ou encore le Pays de Galles sont des régions profondément marquées par un paganisme celtique riche et structuré. L’arrivée du christianisme n’a, contrairement à ce que l’on pourrait penser, pas effacé ces croyances, mais a plutôt créé une forme de syncrétisme.
Il s’agit d’un phénomène assez unique car le christianisme avait tendance à s’installer dans certaines régions par la force. On pense par exemple à la colonisation de l’Amérique latine lors de laquelle le christianisme a été imposé aux peuples autochtones. De nombreux textes, traditions et temples ont ainsi été détruits. Comment les anciennes croyances celtiques ont-elles alors pu survivre à la christianisation ?
Bien que la notion de paganisme celtique soit difficile à définir, on la comprend comme une forme de polythéisme attaché à un culte de la nature (forêts, pierres, sources, etc.). Le terme « paganisme » a longtemps été utilisé par les chrétiens pour désigner la religion de ceux qui ne sont ni chrétiens ni juifs. Il s’agit d’un terme pouvant être employé à titre péjoratif (ce qui n’est pas le cas ici), pour désigner les ignorants, les chrétiens peu investis dans leur foi ou jugés « mal convertis ».
Dans ce type de croyances, les cycles saisonniers ont une importance particulière, donnant naissance à des fêtes telles que Samhain (fin de l’été) ou Beltaine (fin de l’hiver). On y retrouve également de manière récurrente, la figure du druide qui endossait les rôles de juges, enseignants ou prêtres. Le paganisme celtique est un ensemble de croyances transmises par tradition ou poésie, majoritairement orales. Elles formaient un système spirituel complet et ne se résument pas à de simples superstitions. Aujourd’hui, certaines formes de paganisme persistent sous le nom de néo-paganisme. On y trouve des croyances comme le Wicca, le druidisme moderne ou la reconstruction d’anciennes religions comme l’hellénisme ou l’asatru.
La christianisation débute dès le IVe siècle, mais s’enracine à proprement parler qu’au Ve et VIe siècles grâce aux moines missionnaires comme Saint-Patrick en Irlande ou Colomban en Écosse. Au lieu d’imposer un rejet brutal des croyances celtes, l’Église a réutilisé les symboles païens pour les christianiser. Les anciennes déesses deviennent alors des saintes comme Birgid, déesse du feu et de la fertilité, est devenue sainte Brigitte, patronne de l’Irlande. Les lieux sacrés comme les sources ou les collines sont « baptisés » et deviennent des lieux de pèlerinage chrétiens. Les récits mythologiques, quant à eux, sont intégrés dans la vie des saints, avec des miracles très similaires aux anciennes légendes comme des évènements de guérison ou de visions. Cette adaptation a facilité l’acceptation du christianisme, tout en préservant une partie de la culture spirituelle celtique.
Ce qui différencie ce phénomène d’adaptation d’un cas d’appropriation culturelle est l’émergence d’un nouveau type de christianisme. Le christianisme celtique est une orthodoxie décentralisée du christianisme qui se découpe en deux branches : la brittonique et la gaélique. Il ne s’agit ici pas de dépouiller le paganisme celtique de ces croyances pour les appliquer au christianisme, mais de fusionner les deux systèmes pour en créer un nouveau. Le christianisme celtique se développe alors avec ses particularités. On compte parmi elles une certaine spiritualité liée à la nature ; Dieu est perçu comme très proche du monde des vivants ainsi que la présence de visions mystiques, des récits d’apparitions, d’animaux dotés de parole, … Le culte des saints est très local, remplaçant ainsi les anciennes divinités protectrices. La poésie et son symbolisme gardent leur importance, on retrouve notamment des croix celtiques, des triskèles ou des nœuds entrelacés. Certains moines comme ceux de Clonmacnoise ou Iona, vivent dans des lieux reclus, proches de la nature, faisant référence aux sanctuaires naturels celtiques. On observe également que les textes irlandais du Moyen Age comme le Livre d’Armagh ou les Vies de saints, conservent un mélange de foi chrétienne et païenne. Jacques le Goff offre une explication à ce syncrétisme entre les deux religions. Il cite trois causes dont la première est l’existence de structures mentales similaires entre la culture chrétienne et païenne. Il donne l’exemple de la croyance en des pouvoirs surnaturels ou la possibilité d’interventions divines. Il nomme ensuite le fait que l’évangélisation obligeait les prêtres à fournir un effort d’adaptation culturelle, notamment en parlant la langue du peuple, ce qu’illustre clairement l’usage du sermo rusticus dans les sermons. Finalement, la culture cléricale est entrée en contact avec la culture folklorique. Il donne ici l’exemple de l’institution des Rogations (cérémonies dont le but est d’attirer les bénédictions divines sur les travaux des champs). Cette forme de spiritualité hybride a donc marqué durablement l’identité culturelle des îles celtes, ce qui fait du christianisme celtique un cas emblématique de syncrétisme.
Le christianisme des îles celtes n’a effectivement pas effacé le paganisme, il l’a absorbé et a créé un modèle spirituel unique. Cette fusion a permis de conserver une identité culturelle forte que l’on peut retrouver aujourd’hui dans les traditions, les contes ou encore les fêtes.
Clémentine Grand-Perrin
crédit image: Midnightblueowl, 2019, Wheel of the Year, worldhistory.org