Passer au contenu

Retour sur conférence : Violences scolaires : vers la fin de l’omerta dans l’enseignement privé ?

Le 25 septembre 2025, les députés Violette Spillebout (groupe Renaissance, 9e circonscription du Nord) et Paul Vannier (groupe La France Insoumise, 5e circonscription Val-D’Oise) ont tenu une conférence commune organisée par l’association “L’Arène” au sein de Sciences po Lille. Ils reviennent sur leur rapport de la commission d’enquête parlementaire portant sur l’affaire Bétharram. Publié en juillet, ce travail rigoureux et transpartisan, met en lumière un sujet encore tabou : les violences scolaires dans les établissements privés, en particulier catholiques. Un rapport qui pourrait bien marquer un tournant dans le traitement politique et public de ces violences.

Bétharram : un scandale qui met en lumière un système défaillant

En février 2025, un premier signalement de cent plaintes concernant des faits de violences dans l’établissement de Bétharram a créé un véritable raz de marée. Aujourd’hui, plus de deux cent plaintes ont été enregistrées. Malgré des faits graves et reconnus par l’établissement, les responsables n’ont pas été sanctionnés. Illustration d’une impunité et d’un manquement dans les priorités de l’Etat. En ce sens, selon Paul Vannier, la réputation des établissements aurait primé sur la sécurité des enfants.

A cet effet, la commission d’enquête parlementaire a été lancée en février, à l’initiative de Paul Vannier, pour documenter les faits et proposer des solutions face à ce problème d’envergure. Elle s’est rapidement élargie pour inclure tous types d’établissements privés, qu’ils soient sous contrat de L’Etat ou non. 

 Un manque de contrôle de l’Etat sur l’enseignement privé

En France, deux millions d’élèves sont aujourd’hui scolarisés dans 7 500 établissements privés. Ces structures échappent-elles à un contrôle sérieux de l’État ? Paul Vannier souligne que les violences étaient connues dès les années 1980, mais que rien n’a été fait. Pour lui, toucher à l’enseignement privé, c’était raviver ce qu’il appelle le spectre de la “guerre scolaire”, une ligne rouge politique qu’il est en effet difficile de franchir. 

Cette guerre scolaire correspond en réalité aux différents conflits et débats autour de l’école : sa nature, ce qu’on y enseigne et comment, son financement, son contrôle, etc. Le terme renvoie surtout aux conflits violents ou intenses du passé entre les personnes qui favorisent un enseignement public laïque et les défenseurs d’un enseignement religieux ou plus généralement privé. Cette inaction est largement accentuée par le poids du Secrétariat général de l’enseignement catholique, qualifié de “lobby puissant” par Paul Vannier. Cet organe, qui n’a d’ailleurs aucune existence légale, est fréquemment reçu par les ministères, et s’est d’ailleurs fermement opposé à l’enquête parlementaire de M. Vannier et Mme Spillebout. 

Des contrôles à géométrie variable ?

En effet, si les contrôles sont rares dans les établissements privés cela ne semble pas être systématique. Le cas du lycée Averroès de Lille évoqué par les députés, un établissement musulman, est l’exemple parfait d’un deux poids deux mesures concernant les contrôles. Il a été inspecté 14 fois, quand certains établissements catholiques lourdement signalés ne l’ont jamais été. En 2025, deux établissements musulmans ont été fermés. À l’inverse, aucun établissement catholique n’a fermé, malgré les nombreux témoignages de violences. Les députés, indignés, soulignent la place prépondérante d’un racisme normalisé à la vue de ce genre de cas. Ils constatent que les contrôles en eux-mêmes ne posent pas de problèmes et qu’il est possible de les réaliser ; il y a un manque cruel de volonté ce qui rend le cas encore plus déplorable.

Selon un récent rapport de la Cour des comptes évoqué par les députés, 21 % des établissements privés ne sont plus couverts par un contrat d’association avec l’État, censé garantir un minimum de contrôle. Cela pose la question de l’égalité de traitement entre établissements, et de la responsabilité de l’État dans tout cela.

Des victimes enfin entendues, mais à quel prix ?

La commission a fait le choix de rencontrer de nombreuses victimes de violences, ce qui a profondément marqué les deux députés. Violette Spillebout raconte notamment sa rencontre avec une victime de l’établissement de Riaumont, ayant subi travaux forcés de nuit, violences sexuelles, isolement, dans un cadre quasi carcéral. Ces enfants n’avaient souvent aucun autre adulte référent que leurs éducateurs, ce qui les enfermait dans un cercle vicieux, les condamnant par la même occasion au silence, et à l’impossibilité de comprendre que cette situation n’est pas normale. 

Les chiffres sont les suivants : 5 millions de personnes déclarent avoir été victimes d’abus sexuels dans leur enfance, dont 300 000 dans des structures religieuses. Mais ces violences ne sont pas que sexuelles : elles sont aussi physiques et à l’évidence psychologiques. Et leurs conséquences durent toute une vie : troubles psychiatriques, maladies chroniques, instabilité professionnelle, voire suicides. Les victimes trouvent souvent un premier soutien dans des groupes qu’ils forment sur les réseaux sociaux, ce qui en dit long sur le manque de prise en charge institutionnelle de l’Etat, et à quel point les victimes sont livrées à elles-mêmes.

50 propositions concrètes pour briser le silence

Face à ce constat, le rapport parlementaire propose 50 mesures. L’une des principales : réformer la loi Debré (1959), qui organise le financement public des établissements privés sous contrat. Jamais révisée depuis 65 ans, cette loi est aujourd’hui dépassée, et surtout au vu des événements récents 

Les députés souhaitent également redonner aux recteurs la responsabilité des contrôles, à la place des préfets, qui sont eux jugés trop éloignés du terrain. Les recteurs pourraient de cette manière déclencher des inspections en cas de suspicion sur l’hygiène, la sécurité, la pédagogie ou la santé des élèves.

Autre proposition évoquée par Violette Spillebout suite à la question d’un étudiant : la création d’un outil numérique centralisé, permettant aux élèves, parents et personnels de signaler les violences de manière anonyme et sécurisée.

Enfin, les députés recommandent la suppression du rôle de la DAF et de la DGESCO dans l’attribution des subventions, pour éviter les financements à l’aveugle. Un sujet de haute importance quand on sait que l’enseignement privé reçoit chaque année aux alentours de 15 milliards d’euros d’argent public ( 13.8 milliards en 2022), ce qui est une somme considérable. 

L’audition de François Bayrou

Le 14 mai, François Bayrou, alors Premier Ministre, a été auditionné pendant 5h30. Pour rappel, ce dernier est également maire de Pau et était parent d’élève à Bétharram au moment des faits. Son épouse, Elisabeth Bayrou, enseignait le catéchisme au sein de l’établissement. Sa responsabilité dans une potentielle invisibilisation des faits est questionnée par l’opinion publique. Cet échange, tendu, a largement été médiatisé, occultant malheureusement le fond du rapport. Les députés se trouvent attristés de constater que les français ne limitent leur travail qu’à cette audition qui ne représente qu’une infime partie des efforts déployés. 

Selon Paul Vannier, Bayrou aurait par ailleurs menti sous serment et également minimisé les violences en les qualifiant de « tapes non violentes », faisant référence aux coups reçus par les victimes, provoquant chez ces dernières un profond sentiment d’illégitimité. Pire, d’après les dires du député, il aurait intimidé les victimes et les lanceurs d’alerte. Pourtant, aucune procédure judiciaire n’a été ouverte à ce jour contre lui. 

Une volonté d’entente politique entravée par des blocages institutionnels

Il faut en effet noter que, comme rappelé plus tôt, malgré leurs divergences politiques, Spillebout et Vannier ont mené un travail commun solide basé sur une profonde confiance. Violette Spillebout a même assumé son abstention au vote de confiance, signe d’une prise de distance vis-à-vis de certaines positions de son camp, ce qui, dit-elle sur le ton de l’humour, n’a pas été une partie de plaisir. 

De son côté, Paul Vannier a déposé une motion de censure en raison du comportement de Bayrou et du silence de l’exécutif sur le rapport. Il déplore que ni le gouvernement ni les ministères n’aient réagi aux propositions, malgré la promesse d’un fonds national pour les victimes, à ce jour toujours non tenue.

Tous deux s’accordent sur la nécessité de poursuivre ce travail, avec d’autres députés issus de divers partis. Une proposition de loi serait en cours de préparation pour reconnaître officiellement les victimes et mettre en œuvre certaines mesures du rapport.

 

Conclusion : la fin d’un tabou, ou une parenthèse sans suite ?

Pour la première fois depuis longtemps, des députés osent remettre en cause les liens entre l’État et l’enseignement privé, en particulier catholique. Le rapport Spillebout-Vannier, appuyé par des témoignages profondément touchants, pointe du doigt un système longtemps verrouillé par le silence et la peur.

Reste à savoir si ce rapport ne sera qu’un énième document sans lendemain, ou le début d’une véritable réforme structurelle, plaçant la sécurité et la dignité des élèves avant les intérêts.

 

Sources complémentaires à la conférence : 

 

⇒ UNICEF, Violences et agressions sexuelles des enfants https://www.unicef.fr/convention-droits-enfants/protection/violences-et-agressions-sexuelles/

⇒ Cour des comptes, les établissements privés sous contrat , ( le 1er juin 2023) https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lenseignement-prive-sous-contrat

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2023-10/20230601-synthese-enseignement-prive-sous-contrat.pdf 

⇒ TOULEMONDE, Bernard Entre enseignement public et privé, « la guerre scolaire a changé de nature », Le Monde  (le 10 septembre 2024)

https://www.lemonde.fr/education/article/2024/09/10/entre-enseignement-public-et-prive-la-guerre-scolaire-a-change-de-nature_6310251_1473685.html

⇒  ASSEMBLEE NATIONALE, Affaire Bétharram : audition de François Bayrou en intégralité – 14/05/2025, (Le 15 mai 2025) 

https://www.youtube.com/watch?v=co3o4CV8YoA

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.