Les politistes Félicien Faury et Pierre Wadlow ont présenté leurs travaux sur le vote RN dans le Sud-Est de la France et le Bassin Minier ce 21 janvier dans le tiers-lieu du Passage à Niveau de Béthune. Une perspective comparative appréciée par la cinquantaine de militants de gauche présents à la recherche de solutions pour « alerter sur le danger de l’extrême droite, sans stigmatiser ses électeurs».
Pendant la deuxième moitié du XXème siècle, la gauche était hégémonique dans le bassin minier et a désormais cédé la place à l’extrême droite [Le RN a remporté dix des douze circonscriptions du Pas-de-Calais lors des dernières élections législatives de 2024]. Un jeu de vase communicants entre les électeurs de gauche et de l’extrême droite, voilà le postulat de la thèse du « gaucho-lepénisme ». Argument massue des commentateurs politiques pour expliquer le vote RN, qui ne résiste toutefois pas longtemps à l’enquête de terrain : « D’abord, il y a toujours eu un électorat ouvrier plus conservateur. Le RN a conquis cette fraction, dans un territoire marqué par l’absence d’une alternative de droite traditionnelle (ce qui est moins vrai dans le béthunois où vivait le patronat du temps des Houillères). Et puis la gauche reste quand même la deuxième force politique dans le Bassin Minier » explique Pierre Wadlow. Une force en perte de vitesse, minée par la division par exemple lors de l’élection municipale à Bruay-la-Buissière en 2020. Mais il y a aussi un effet générationnel : « Marine Le Pen réalise ses meilleurs scores chez les 18-35 ans. Eux n’ont pas connu le FN version Jean-Marie le Pen ni l’âge d’or des syndicats au temps des mines, certains d’entre eux m’ont dit : “la gauche on en a seulement entendu parler par nos grands-parents”. Paradoxalement, l’héritage minier est omniprésent. Mais la patrimonialisation de cette histoire a aussi amené à la déconflictualiser. Dans les musées de la mine, j’ai été frappé de voir qu’on évoque finalement assez peu les conflits sociaux et les grèves. »
Quid des prochaines municipales ?
Les 2 mairies RN du Bassin Minier sont vues comme « le paradis par les électeurs RN n’habitant pas Hénin-Beaumont ou Bruay-la-Buissière. L’une de mes enquêtée lensoise me racontait souvent son admiration pour la gestion de Steeve Briois, qui lui disait toujours “Quand est-ce que tu viens habiter à Hénin ?” ». La normalisation sociale des mairies RN s’est donc faite sans encombre. Le parti aurait même prospéré sur une apathie des équipes municipales sortantes : « Il y a en tout cas cette idée – qui a trouvé de l’écho – d’une technocratisation des mairies de gauche dans le bassin minier. Gauche ou droite, on ne faisait plus la différence, c’est la tendance dégagiste de l’UMPS lancée par Jean-Marie le Pen en son temps. » Un constat suscitant l’inquiétude dans le public : « A Bruay, des mythes se sont instaurés, comme le qualificatif d’extrême-gauche qu’on utilise à tout-va pour discréditer l’adversaire »
Fred vient d’Angres (Pas-de-Calais) et dénonce « un député parachuté dans la 12ème circonscription après s’être occupé de la communication à la mairie d’Hénin-Beaumont. Résultat, on ne le voit jamais». Un constat observé par Pierre Wadlow même si « les difficultés du RN à faire émerger des élites locales ont diminué. A Lens, avec l’arrivée de Bruno Clavet, on avait encore beaucoup de turn-over d’une équipe à l’autre. Mais leur ancrage local se développe, étant réélus, ils s’installent dans leur permanence. » Ludovic Pajot, maire de Bruay-la-Buissière depuis 2020, pourrait-il être reconduit dans moins d’un an ? Il ne semble pas avoir trop de soucis à se faire à en croire Pierre Wadlow : « A Hénin-Beaumont, la majorité a été reconduite en 2020 dès le 1er tour. Dès lors que le RN arrive dans les exécutifs municipaux, il parvient ensuite à transformer l’essai ».