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Survol du mois de mars au Théâtre du Nord : le spectacle est toujours politique

Grâce à son partenariat avec le Théâtre du Nord, La Manu a pu assister à plusieurs spectacles : Grand-Peur et Misère du IIIe Reich, Kaldûn et Black Label. Revenons sur ces représentations !

Ces trois spectacles abordent des thématiques centrales et hautement politiques, dans les grandes lignes : le racisme, la colonisation, ou la répression. Mais il semble quelquefois que les femmes soient les grandes oubliées de ces spectacles… 

 

Grand-Peur et Misère du IIIe Reich, écrit par Bertolt Brecht et Marguerite Steffin, et mis en scène par Julie Duclos.

En préparant le concours, je me souviens avoir étudié le texte de Brecht et Steffin pour approfondir le thème de la peur d’un point de vue littéraire. Ayant beaucoup aimé lire la pièce, j’étais heureuse de pouvoir voir la mise en scène de Grand-Peur et Misère du IIIe Reich par Julie Duclos. Ceci dit, ce que le Théâtre du Nord ne mentionne pas, c’est la collaboration de Margarete Steffin à l’écriture de différentes scènes. Les femmes sont-elles condamnées à l’oubli ?

Cette mise en scène fait se juxtaposer l’essence d’un texte paru en 1938 avec des procédés modernes, tels que la projection d’images, emprunt des codes du cinéma. Cette nouvelle conceptualisation de la pièce semble vouloir permettre la réflexion entre la marche vers le totalitarisme hitlérien et les trajectoires de nos sociétés actuelles, sans pour autant comparer l’incomparable.

Les vingt-quatre scènes de Brecht et Steffin, qui n’ont pour lien que le contexte de montée du nazisme, ne sont pas toutes jouées. Mais de scène en scène, on voit défiler toute la société allemande de l’époque : la justice, la bourgeoisie, la science, la religion, l’agriculture ou l’enfance. Ce qui revient à chaque fois, c’est la peur : la peur de la délation, la peur de la déportation, la peur des représailles, de mourir ou de se faire arrêter, la peur d’en dire trop… C’est un climat de suspicion et de crainte qui a envahi l’Allemagne de 1938. Et la mise en scène de Duclos met bien en avant ce sentiment de peur, parfois de paranoïa, qui touche toute la société, et qui monte au fil de chaque scène. 

 

Kaldûn, écrit et mis en scène par Abdelwaheb Sefsaf

Après un long trajet en métro et un petit bout de marche, j’ai pu assister à la représentation de Kaldun au théâtre L’Idéal de Tourcoing. Le fait que ce vieux théâtre existe toujours est pour moi le symbole d’une très belle volonté de la part du Théâtre du Nord : celle de populariser l’accès au théâtre, qui ne doit pas être le seul repère des catégories sociales supérieures. 

Ce spectacle mêle histoire, politique, slam, danse et musique pour livrer une formidable fresque. Historiquement, ce spectacle est une richesse : le narrateur (Abdelwaheb Sefsaf lui-même) l’explique, tout ce qu’il y est dit et tout ce qu’il y est montré est historique. 

Le nom de la pièce, Kaldûn, est le nom arabe de la Nouvelle-Calédonie, qui n’a pas été que le lieu de la déportation des communards mais aussi de celle de nombreux kabyles de la révolte d’Alger qui a eu lieu la même année (1871), une révolte que les manuels et les cours d’histoire semblent avoir oublié. Ainsi les deux groupes se sont retrouvés ensemble au Fort de Quélern dans le Finistère puis sur les mêmes bâteaux en direction de la Nouvelle-Calédonie, le pouvoir français espérant faire de ces terres une colonie de peuplement.

Par ses dialogues et sa narration, Abdelwaheb Sefsaf exprime les liens qui unissent les deux groupes : la haine contre un pouvoir en place qui s’est d’un côté vendu à la Prusse et a réprimé la révolte de Paris de manière sanglante, et de l’autre, a réprimé la révolte de Mokrani. Ainsi, nous suivons à travers de nombreux tableaux les trajectoires et les croisements de Louise Michel, Aziz El Haddad ou Boumezrag el Mokrani, le leader de l’insurrection algérienne, ou encore du chef Kanak Ataï qui, lui aussi, essaye de lutter contre la domination d’un régime qui essaye de coloniser ses terres. Un même ennemi : un pays prédateur, menteur et violent.

Accompagnés du danseur et slameur Simanë Wenethem, cinq interprètes et neuf musiciens font vivre ces tableaux, ces trois révoltes que sont la Commune de Paris, la révolte de Mokrani en Algérie de 1871 et le soulèvement kanak en Nouvelle-Calédonie de 1878. Il s’agit d’une forte dénonciation de l’oppression, de la domination sociale et coloniale, et mettant en avant la force de l’union des dominé.es contre un même dominant. Ainsi, les différents opprimé.es d’un même pouvoir s’unissent. Cette idée trouve un bel écho dans la France d’aujourd’hui où les querelles politiques semblent toujours l’emporter sur des objectifs pourtant souvent semblables. 

Il est aussi intéressant, après les récentes révoltes kanaks, de revenir sur l’histoire violente de la colonisation de la Kanaky. C’est d’ailleurs un saut dans le temps qui est fait dans le spectacle avec la narration et la projection d’images d’archives des moments qui ont suivi la fusillade de Hienghène de 1984. Dix militants indépendantistes du FLNKS sont tués par des Caldoches dans une embuscade. La justice française rend son verdict : acquittement. Elle semble alors injuste et partiale,  les tueurs ayant pourtant reconnu leur crime, mais s’en sortent honteusement pour “légitime défense”. Le ressentiment kanak n’en est que renforcé.

D’un oeil féministe, on note la volonté d’Abdelwaheb Sefsaf de dénoncer l’effacement des femmes dans les récits historiques. D’un point de vue scénique, les femmes occupent une place importante. Elles doivent être réintégrées dans l’histoire, et leur place dans la transmission du savoir et de la culture ne doit plus être négligée. 

 

Black Label, conceptualisé et mis en scène par David Bobée et JoeyStarr

JoeyStarr s’est invité au Théâtre du Nord pour jouer le spectacle qu’il a lui-même conceptualisé et mis en scène avec le directeur du Théâtre du Nord, David Bobée. Devant les portes, des militantes du collectif NousToutes expliquaient leur mécontentement : inviter Joey Starr, c’est mettre sur le devant de la scène un homme violent, condamné en ce sens à de nombreuses reprises : violences volontaires sur un singe domestique, agression d’une hôtesse de l’air, ou encore violences conjugales pour n’en citer qu’une partie. 

Arrivée dans la salle de théâtre, derrière moi, un homme explique à son ami qu’il a interpellé les militantes pour leur dire que leur action manquait d’intersectionnalité puisqu’elle se faisait en amont d’un spectacle anti-raciste. Soyez donc rassuré.es, il semblerait que vous puissiez toutes et tous être problématique si en parallèle vous luttez pour une cause noble !

Sur scène, JoeyStarr reprend des écrits fondateurs de l’antiracisme écrits par les plus grand.es, tels que Aimé Césaire ou Eva Doumbia, sans oublier Malcolm X ou Langston Hughes. L’ancien chanteur du groupe NTM est accompagné de la chanteuse jazz Noëmi Saint-Aimé, du chanteur et danseur Nicolas Moumbounou, du signeur Jules Turlet et du musicien Wilbur Thompson.

On peut noter qu’une seule femme est présente sur scène : Noëmi Saint-Aimé. Par ailleurs, elle n’est jamais au centre de l’estrade, comme si une femme ne pouvait que se trouver sur les côtés, reléguée sans cesse aux marges. Même lorsqu’elle obtient enfin un solo de chant, elle se retrouve à chanter sur le côté, quand Nicolas Moumbounou conserve sa place au centre de la scène, alors qu’il ne fait et ne dit rien. Tous les autres interprètes ont eut droit à leur moment de solo au centre de la scène, sous les projecteurs. A un autre moment du spectacle, tous les artistes sont assis sur des tabourets, quand Noëmi Saint-Aimé reste debout, en retrait derrière le musicien Thompson, une main sur son épaule, geste qui n’a aucune pertinence dans la mise en scène. Toujours, elle est condamnée à une position géographiquement marginale.

David Bobée, en tant que directeur du Théâtre du Nord, s’est efforcé et s’efforce de rendre ses salles accessibles à touste, tant socialement que physiquement. On retrouve cette volonté par la présence de Jules Turlet qui, plus que de “traduire” les textes en langue des signes, les interprète, et semble les danser, voire même les chanter. 

Musique, danse, chanson, slam et lecture se suivent, se superposent et se conjuguent pour exprimer toute l’ampleur de ce problème systémique et encore trop d’actualité, mais mettant aussi en avant toute sa profondeur historique.

Lou Landgren

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