Au sortir du Majestic par une douce pluie de printemps, l’agréable atmosphère alentour ne m’empêchait pas d’être circonspect. En cause : Boy Erased, le second film de Joel Edgerton. En effet, Boy Erased est l’un de ces films qui, selon moi, vivent à travers leur sujet : le traitement d’un sujet d’intérêt (souvent sociétal ou politique) se suffirait en lui-même.
Une portée politique intéressante
Du point de vue de ce fameux sujet polémique donc, rien à redire. Le film traite la question des thérapies de conversion (ces centres de « thérapie » religieuse dans lesquels sont envoyés les jeunes homosexuel.les américains pour être « guéris »), toujours légales dans 36 Etats américains, comme le film le montre lui-même par une annonce post-générique.
Évidemment, le film entend dénoncer ces centres et les pratiques qui les habitent. Et sur ce point, le film est un succès. Les paroles crûment homophobes des responsables du centre, les scènes d’humiliation publique voire de violence morale sont particulièrement marquantes, et n’ont pas manqué de déclencher chez moi quelques exclamations consternées. Le film montre aussi de la difficulté de sortir de ces centres, une fois qu’on est pris dans le système.
Au-delà de ça, le film traite aussi de l’acceptation, tant par soi-même que par la famille. Il est assez déboussolant de se rendre compte que le film présente les personnes présentes comme volontaires : poussées par leur famille, elles souhaitaient et pensaient vraiment pouvoir changer à leur arrivée dans le centre de thérapie. Évidemment, le film montre que cela n’est pas possible (au contraire de ce qu’affirme le directeur du centre de thérapie de conversion, on ne devient pas gay), ce qui amène le personnage principal à s’accepter, et pose aussi la question de l’opinion de sa famille.
Si un tel sujet est évidemment louable, et que la dénonciation est indéniablement présente, l’aspect social film est desservi par des manquements en termes de qualité cinématographique.
Des acteurs inexpressifs
S’il y a un point sur lequel je ne m’attendais pas à être déçu en allant voir Boy Erased, c’était bien les acteurs ! Un casting fort porté par Russel Crowe, Lucas Hedges (3 Billbords, Lady Bird), Nicole Kidman ou Joel Edgerton lui-même est plein de promesses. Et pourtant….
Le jeu d’acteur est au mieux correct. Impossible de dire si cela résulte de la mauvaise volonté de ceux-ci, ou d’une mauvaise direction (ce qui est plus probable). Russel Crowe ne montre aucune émotion du film. Même dans la scène censée constituer le Climax du film, sa voix et son visage ne trahissent aucune émotion. Dans un film qui est censé touché les spectateurs, un tel choix est dommageable : peu d’émotion à l’écran en crée peu devant l’écran. La critique est encore plus criante dans le cas de Nicole Kidman : son expression faciale ne change pas de tout le film ! Dans une scène de dialogue durant laquelle elle pleure, son expression faciale ne change pas de toute la scène, sauf à l’ultime fin. Même les autres patients du centre semblent très peu expressifs : Lucas Hedges est le seul à montrer ce qu’il ressent. Si c’est un choix artistique, il ne me paraît pas bon car, comme cela a déjà été mentionné, sans émotion affichée à l’écran, le spectateur ne peut pas vraiment connecter émotionnellement avec le film.
Un manque criant d’originalité
Si ce n’est son sujet, le film manque malheureusement énormément d’originalité. Il est lisse et ne fait aucune tentative, qu’elle soit narrative, visuelle ou technique. Le personnage du directeur du centre en est la parfaite illustration : on complexifie son personnage au moyen d’une annonce post-générique, sans prendre le temps de réellement le caractériser pendant le film, ou d’amener un réel questionnement à son sujet. Pourtant, le paradoxe que souligne ce personnage est très riche et aurait énormément apporté à être traité et développé dans l’intrigue (SPOILER : Il se révèle être gay, prouvant bien qu’il est impossible à quiconque de guérir l’homosexualité). La réalisation est générique. Elle n’est pas mauvaise, mais elle n’est pas bonne non plus, à l’exception de quelques plans séquences au début du film, lors de l’entrée du héros dans la salle commune du centre. La musique n’est pas non plus particulièrement marquante. Enfin, c’est la narration qui est la plus banale. Pour éviter une narration linéaire, Eddgerton a recours aux flash-backs. Malheureusement, ce recours est encore une fois criant de banalité : Les flashs-backs sont amenés très grossièrement, et sont très prévisibles. Le rythme n’est même pas spécialement bien choisi, car ils interviennent certes au moment où le personnage se pose une question ; mais avant que le spectateur se pose la même question. Le but habituel du flash-back est de répondre aux questions que le spectateur se pose, or ici il ne s’en pose pas. Le concept même de flash-back dans ce film peut sembler futile, puisque on sait pertinemment qui si ce jeune homme est envoyé dans un centre de thérapie de conversion, c’est qu’il a eu une relation homosexuelle, à un moment où un autre. Les flash-back ne participent donc ici qu’à digresser du sujet du film, mais surtout essaient de caractériser au mieux les personnages, avec un manque de finesse presque inédit.
En conclusion, je ne dirais pas que Boy Erased est un mauvais film. C’est un film engagé, qui traite d’un sujet dramatique sur lequel il est bon de mettre une lumière, et qu’il est nécessaire de dénoncer. Et cette dénonciation est bonne, elle est efficace : personnellement elle m’a touché. Simplement, l’engagement est la seule chose qui caractérise ce film : ça n’en fait pas un bon film. Un bon sujet, bien traité, ne suffit pas à faire un bon film. Je ne conseille donc pas d’aller voir ce film pour ses qualités cinématographiques, mais plutôt pour en apprendre plus sur ce système inhumain de centre de thérapie de conversion.
Grégory De Andrade-Béziel