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Le génocide des “vaquitas”, menacés d’extinction

La planète souffre, ses habitants aussi. Ils souffrent mais ne sont pas au bout de leurs peines ; la communauté scientifique alerte sur la probabilité d’une sixième extinction, 66 millions d’années après celle qui avait anéanti les dinosaures. Mais cette fois, nul besoin de regarder vers le ciel pour apercevoir la météorite, elle est déjà sur Terre et a un nom : l’Homme. Pour vous en convaincre, les envolées lyriques ne sont pas nécessaires, les chiffres suffisent. En prenant en compte les données fossiles, pour les mammifères, nous ne devrions constater la disparition d’une seule espèce par millénaire en temps normal. Mais les temps ne sont pas à la normalité, c’est l’Anthropocène, l’ « âge de l’Homme ». Plus d’un quart des espèces évaluées par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) sont menacées d’extinction. Il est question de la disparition d’être vivants, de la fin d’existences. Notre cerveau est incapable de concevoir cela. C’est ce que Günther Anders nommait « l’insuffisance de notre sentir », l’explication de nombreux désastres. Si imaginer un million d’espèces menacées d’extinction (chiffre des Nations Unies) est un exercice voué à l’échec, peut-être faut-il s’attacher à un animal.

Le marsouin du golfe du Californie


La planète risque de pleurer un petit marsouin vivant dans le golfe de Californie. Il est en danger critique d’extinction selon l’UICN. Surnommé « vaquita » ( petite vache) par les pêcheurs de crevettes mexicains, ce marsouin est le plus petit cétacé du monde avec une taille variant de 1,45 à 1,55 mètre pour environ 50 kilogrammes. Il a le museau court et de petits anneaux noirs autour des yeux. En plus d’être petit, ce marsouin est discret, il ne saute pas en dehors de l’eau, ses fugitives ventilations (retour à la surface pour respirer) et sa crainte de l’Homme le rendent presque invisible. C’est pourquoi, il ne fut découvert qu’en 1958 par Ken Norris (un spécialiste américain des cétacés). Le phocoena sinus est un solitaire, il est rare de l’observer dans un groupe de plus de 2 individus. Son espérance de vie n’est évaluée qu’à une vingtaine d’années. Il se nourrit de mollusques, de poissons et n’est pas au sommet de la chaîne alimentaire (avec la présence de requins marteaux et de grands blancs). La « vaquita » est une espèce endémique, avec la plus petite aire de distribution de tous les cétacés (2235 km2 d’eaux peu profondes).

Le marsouin du Golfe de Californie est une espèce fragile : son isolement génétique, géographique et la taille réduite de sa population sont autant d’éléments qui l’exposent au moindre bouleversement. C’est donc un candidat de premier choix à l’extinction. De 567 individus en 1997, la population est passée à moins de 19 individus en 2018. C’est une tragédie qui, si les mesures les plus drastiques ne sont pas prises, touchera bientôt à sa fin.

Une espèce en danger en cache souvent une autre

Si la pollution du fleuve Colorado (se déversant dans le golfe) et la consanguinité au sein de l’espèce expliquent en partie cette situation, les filets maillants sont les principaux responsables (filets lestés retenus à la surface par des flotteurs, formant ainsi un mur sous l’eau). En 2014, entre 39 et 84 marsouins sont morts dans ces filets. Ces derniers font l’objet d’une interdiction temporaire dans le golfe, sanctuarisé en 2005. Pourtant, les filets maillants sont toujours présents dans la zone, la faute au trafic de la « cocaïne de la mer » par les cartels mexicains. C’est le surnom donné à un poisson géant présents dans ces eaux : le totoaba (aussi menacé d’extinction malgré une protection datant depuis 1975). Sa vessie natatoire (un organe rempli de gaz permettant au poisson de se mouvoir à la profondeur voulue sans effort musculaire) posséderait des vertus médicinales selon la médecine traditionnelle chinoise et se vend jusqu’à 8500 $ sur le marché chinois. Il est inutile de préciser qu’il n’existe aucune preuve scientifique de ces croyances. Les cartels, en voulant capturer les totoabas pour alimenter le marché noir, prennent de nombreuses « vaquitas » dans leurs filets. L’insuffisance de la lutte contre ces réseaux criminels tue le marsouin du golfe de Californie.

Une réaction tardive

Les tentatives de sauvetage ont commencé quand il était (presque) trop tard. Le plan de conservation nord-américain (PANAC) a inauguré une suite d’initiatives pour tenter de sauver le petit cétacé. Les chercheurs ont ensuite tenté de protéger le marsouin en captivité avec le programme VaquitaCPR en 2017 : l’objectif était de transférer la moitié des marsouins dans des bassins jusqu’à ce que leur sécurité puisse être garantie dans leur milieu naturel. Ce fut un échec après la tentative de capture de deux femelles (le stress était trop important, l’une d’elles en est morte).

Les enjeux

Comme une ironie pour le plus petit cétacé du monde, les enjeux liés à sa disparition sont colossaux. Le golfe de Californie est un paradis de biodiversité. Cette dernière repose sur un écosystème, sur un équilibre. Toute disparition mettrait en péril cette harmonie et pourrait déclencher un désastre (“Un seul être vous manque et tout est dépeuplé”). Le tourisme (4,8 millions de touristes en 2018) et la pêche (50% de la production de la pêche au Mexique dépend du golfe) sont tributaires de la bonne santé de l’environnement.

Et au-delà des conséquences économiques, l’humanité est-elle consciente de ce que représente la mort d’une espèce ? Sur la seule planète porteuse d’une vie intelligente dans notre système solaire, un mammifère bipède s’attache à piller ce trésor, l’impact philosophique de ces extinctions n’est pas envisageable.

Les solutions

La fin est proche pour le marsouin du golfe de Californie, mais pas inéluctable. Sea Shepherd traque les trafiquants et les filets maillants dans ces eaux. La communauté scientifique et les ONG comme WWF font pression sur le gouvernement mexicain pour que ce dernier prenne ses responsabilités. La corruption doit être combattue pour que les organisations criminelles tremblent enfin. La collaboration avec la Chine n’est pas suffisante (le totoaba est vendu librement sur le marché chinois) et demande à être intensifié pour espérer sauvegarder les dernières « vaquitas ». Si le gouvernement mexicain continue à se couvrir de honte par son inaction, ce sont les instances internationales et les communautés locales qui vont devoir endosser le rôle de protecteur. Sauver le marsouin du golfe de Californie n’est pas une possibilité, c’est un devoir. Le plus petit cétacé du monde n’a pas à payer pour les agissements génocidaires de l’humanité.

Benjamin Magot