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Le système de santé sous la crise du coronavirus : analyse et enseignements

Je vous propose ici de vous apporter des éléments pour réfléchir à la crise du coronavirus sous l’aspect des capacités hospitalières, l’aspect de la crise qui nécessite le moins de recul car les dés y sont déjà joués. Des capacités insuffisantes ? Une destruction de l’hôpital par l’État ? Regardons cela de plus près.

Vous avez probablement déjà vu ce graphique, présenté plusieurs fois par notre ministre de la santé, Olivier Véran, qui montre une courbe qu’il faut aplatir. L’urgence est effectivement dans l’aplatissement de cette courbe, mais nous oublions souvent que la courbe n’est pas la seule variable qui peut être modifiée : le seuil que l’on essaie de ne pas dépasser est aussi une variable sur le long terme. Les capacités du système de santé ne sont pas fixes, elles sont définies par nos choix politiques.

Le ministre de la Santé dessine en direct la courbe que sa politique vise à aplatir

Le problème n’est pas nouveau

Depuis déjà quelques années, les mouvements intellectuels d’Altruisme Efficace et leurs équivalents anglophones (Open Philantropy) considèrent la biosécurité, dans laquelle on compte le risque d’épidémie, comme l’un des risques les plus importants à venir contre l’Humanité. 1 2

Parmi les coupables envisagés et souvent cités : de nouveaux pathogènes liés à la fonte du permafrost avec le réchauffement climatique, ou encore les pathogènes que l’on renforce en laboratoire pour leur étude, qui pourraient devenir des armes biologiques. Finalement, c’est un virus plus « conventionnel » qui nous est tombé dessus. Quelles que soient les prédictions sur les causes, le constat avait déjà était fait sur la nécessité de renforcer notre système de santé et penser notre fonctionnement, spécifiquement pour éviter ce genre de risques. Après tout, la santé reste notre plus grand bien, et être en bonne santé devrait être le minimum que la société doit garantir à tous·te·s.

Notre système de santé était-il prêt ?

La réponse courte est relativement simple : cela dépend, mais dans la majorité des situations, le système n’était pas prêt.

Pour donner une idée de l’état des institutions sanitaires, et de ce qui devait nous attendre en cas de Covid-19, on peut s’intéresser à une étude scientifique française 3, produite conjointement par les universités de Rouen et de Rennes. Cette étude passe en revue les capacités du système de santé français en termes de lits de réanimation, et les possibles évolutions des patients, pour en tirer des conclusions sur la capacité du système à gérer une telle crise.

Première observation importante : en moyenne, les lits de réanimation, qui sont 4934 sur le territoire de la métropole, sont utilisés à 80 %. Avec un tel taux d’occupation, d’autres patients en plus de ceux concernés par le Covid-19 sont rapidement mis en danger.

L’étude propose ensuite, à l’aide d’un système de simulations informatiques, trois scénarios concernant le Covid-19, en fonction du « R0 », c’est à dire le nombre moyen de personnes que chaque contaminé.e contamine à son tour :

– Le scénario avec un R0 égal à 1,5 donne à long terme le nombre de 1582 patients qu’il faudra mettre en soins intensifs. Une telle crise serait « plus aisément » gérable, même si elle poserait des problèmes de conflits avec les patients déjà en soins intensifs. Malheureusement, nous savons aujourd’hui que le R0 du virus SARS-Cov2 est au minimum supérieur à 2, ce n’est donc pas ce qui nous attend.

– Le scénario avec un R0 égal à 2,25, le plus probable, donne le nombre de 6304 lits nécessaires. C’est déjà bien au-dessus des capacités, et ce, en imaginant que les lits soient tous libres.

– Enfin, le scénario avec un R0 égal à 3, qui reste plausible, nous demanderait 22420 lits pour pouvoir traiter tous les patients. Ce nombre est absolument considérable, et dépasse de quatre fois nos capacités en lits au total.

Notons également que les disparités sont grandes entre régions : la Corse ne possède que 18 lits alors que le scénario le plus favorable (pourtant improbable) demanderait 37 places.

Il est nécessaire, pour comprendre l’ampleur de la question, de bien comprendre qu’il n’existe pas de seuil magique, seulement des « inconnues connues » : nous savons que nous ne connaissons ni le R0 du virus, ni la réalité du nombre de contaminés à venir, ni réellement à quoi nous voulons nous préparer collectivement.

Toutefois, si nous sommes attaché.e.s à la vie, nous pouvons faire un constat net : nous négligeons le système de santé. Même si nous ne connaissons pas réellement le R0 du virus, nous avons une vision suffisamment claire du passé pour se rendre compte qu’un tel virus ne fait pas partie des plus dangereux auxquels nous pourrions être confronté.e.s en tant qu’Humanité. 4

Si l’on prend le vieux cousin du Covid-19, le SARS, qui avait déjà causé une épidémie en Chine en 2002, le taux de mortalité était trois fois plus grand, avec un R0 qui tirait plus vers le 3 que le 2. En d’autres termes, notre système de santé serait tombé à terre bien plus rapidement, malgré un virus à peine plus contagieux.

Il nous faudra prendre les enseignements de la crise

Au retour de cette crise, il faudra s’assurer de soutenir les hôpitaux de la même manière qu’ils ont soutenu nos vies. Les soignant·e·s sont déjà en grève depuis mars dernier, et n’ont toujours pas vu leurs revendications satisfaites. 5

Parmi les revendications portées durant ce mouvement social : une augmentation immédiate de 300 euros net mensuels de tous les salaires, l’arrêt des fermetures de lits d’hospitalisation et l’abandon du système de tarification majoritaire à l’activité. 6

Si des questions très complexes peuvent se poser sur le mode de tarification, la nécessité d’une augmentation large des financements et de la fin des logiques de coupes budgétaires apparaît incontestable… à moins d’attribuer une faible valeur à la vie.

Edouard Philippe a annoncé vouloir monter à 14000 le nombre de lits de réanimation en France. 7

A titre personnel, je poserais la limite minimale à une capacité faite pour gérer un virus à R0 = 3, c’est-à-dire au minimum 23 000 lits en reprenant les estimations pour une situation similaire au Covid-19. Cela donnerait 17 % d’occupation des lits en moyenne. Les provinces d’outre-mer et les zones insulaires de France devraient également recevoir des financements bien plus importants, puisqu’elles sont délaissées, comme nous avons pu le voir avec la Corse. Tout cela causerait des pertes financières, sûrement, mais pour combien de vies sauvées ?

Si cela vous intéresse, chèr·e·s lecteur·ice·s, je reviendrai vers vous lorsque nous atteindrons la fin du (premier ?) confinement : non seulement nous devrons analyser la gestion de crise actuelle, mais aussi les mesures « d’exception » qui nous attendent, et qui risquent, comme nous l’a démontré l’Histoire avec presque toutes les exceptions, de devenir la règle, au moins en partie. Nous aurons, et c’est un euphémisme, bien plus de matière à étudier.

Notez tout ce qu’iels disent, prenez garde aux surprises politiques, et prenez soin de vous.

Stanislas Corvisier