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La Disparition de Stephanie Mailer de Joël Dicker : l’art du faux suspense

Six ans après la parution de La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, Joël Dicker publie La Disparition de Stephanie Mailer. Un nouveau roman très attendu qui fonctionne sans coup d’éclat.

« Ecrire est un art mineur », clame le critique Meta Ostrovski dans La Disparition de Stephanie Mailer, le nouveau livre de Joël Dicker et le premier publié après la mort de son éditeur Bernard de Fallois. Depuis huit ans, l’auteur suisse a su donner tort à son personnage en devenant l’une des grandes plumes de sa génération. En janvier dernier, il annonçait la publication prochaine de son nouveau roman sur les réseaux sociaux. Un résumé de l’intrigue sur Facebook, une photo de la couverture sur Instagram, ou l’art subtil d’entretenir un suspense qui donne aux lecteurs l’envie d’acheter son livre, un roman policier une fois de plus.

Vingt ans après le meurtre du maire d’Orphea, commune côtière du Nord-Est des Etats-Unis, Stephanie Mailer, une jeune journaliste, vient annoncer à Derek Scott et Jesse Rosenberg, les deux policiers en charge de l’affaire, qu’ils se sont trompés de coupable. Incrédules, ils ne la croient pas jusqu’à ce qu’elle disparaisse subitement et que son appartement soit incendié. Une double enquête démarre : qu’est-il arrivé à Stephanie Mailer et a-t-elle vu juste sur l’assassinat du maire Gordon ?

Une mécanique bien rodée

L’auteur suisse réutilise les codes qui ont fait son succès : des flash-backs réguliers, une multitude de personnages, des formules à suspense qui concluent chaque chapitre, une petite ville américaine en trame de fond. Pourtant, si la mécanique était bien huilée dans La Vérité sur l’affaire Harry Quebert, elle commence à rouiller dans ce nouveau roman. Comme dans un film dont les effets spéciaux sont trop visibles, les ficelles de l’intrigue sont ici un peu grosses. Les effets de cliffhanger ne provoquent pas le suspense désiré, les flash-backs sont attendus et convenus, et les personnages parfois caricaturaux.

Au centre de ce nouveau roman, Joël Dicker a de nouveau eu à cœur de parler de littérature, de journalisme et même de théâtre. La Vérité offrait une mise en abyme où le personnage principal, Marcus Goldman, écrivait un livre sur l’enquête policière. Ici, les personnages sont rassemblés autour d’un festival de théâtre donnant l’impression de lire une tragédie classique où les morts et les destins brisés s’accumulent. En trame de fond se dessine une réflexion sur l’écriture, l’art et la critique.

Un goût d’inachevé

L’intrigue pâtit d’une écriture gauche et parfois lourde. L’utilisation excessive du passé simple n’y est pas étrangère. Surtout – et étonnamment pour un livre si attendu – ce nouveau roman manque clairement d’une dernière relecture. Certaines phrases nécessitent une triple lecture en raison de l’absence ou de l’ajout d’un mot. Sans compter des noms de personnages inversés – jusqu’aux aveux finaux – qui finissent par rendre la lecture difficile et opaque.

L’auteur reconnaît écrire sans avoir de plan en tête, en se laissant porter par l’histoire. A trop tirer sur la corde de l’écriture automatique, Joël Dicker finit parfois par perdre le lecteur. Si la diversité des personnages est une force, elle est aussi une faiblesse. Leurs destins entremêlés rendent l’intrigue plus floue qu’elle ne l’est, étoffant une trame de fond déjà riche de détails parfois superflus. Au moment de tourner la dernière page, la conclusion du roman laisse sur sa faim et ne convainc pas. Lorsque l’auteur du quadruple meurtre passe aux aveux, l’effet de surprise tombe à plat. Rien ne le laissait présager, à tel point que n’importe quel personnage aurait pu faire l’affaire.

Grâce à une mécanique bien rodée, Joël Dicker arrive à tenir le lecteur en haleine jusqu’à la dernière page de La Disparition de Stephanie Mailer. Trop peut-être.

Damien Cottin