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PORTRAIT – Luka Modrić : la persévérance récompensée

En soulevant le ballon d’or pour la première fois de sa carrière, Luka Modrić est certes récompensé pour ses performances techniques et ses qualités de milieu offensif, mais aussi  – et surtout – pour son sens de la persévérance.

15 juillet 2018. Alors que la France s’empare du plus beau des trophées, le capitaine de l’équipe croate, Luka Modrić, le regard hagard semble décontenancé et éreinté après un match particulièrement intense. Immobile, sur le bord du terrain, aucune expression ne transparaît sur son visage. Il accuse le coup, en même temps qu’il reconnaît la défaite de son équipe, 4 buts à 2. Et, il va sans dire, que ce n’est pas le maigre trophée de meilleur joueur du tournoi qui vient le consoler. A la réception du titre, toujours aucun sourire. Cruelle défaite donc, pour ce joueur qui n’a pourtant pas manqué d’accumuler les trophées, mais qui n’a jamais réussi à conquérir le plus majestueux, en 3 compétitions mondiales couvertes avec sa sélection.

C’est peu de dire que Luka Modrić, revient de loin. Rien en effet ne le prédestinait à devenir joueur professionnel au regard des nombreux obstacles qu’il a rencontré durant son enfance. Il est pourtant devenu aujourd’hui indispensable à son équipe du Real de Madrid, et sans conteste l’un des meilleurs joueurs à son poste. A tel point qu’il faut souligner ici l’énorme imbroglio du mercato de l’été dernier : le joueur, courtisé par l’Inter Milan souhaitait mettre un terme à son contrat s’estimant ne pas être assez payé. Une augmentation de salaire (porté à 11 millions d’euros) le convainc de rester dans l’équipe de Florentino Pérez.

Persévérance

Né le 9 septembre 1985 à Zadar, dans l’ancienne Yougoslavie, Luka Modrić grandit pendant la guerre croate, opposant la Croatie à la Serbie. Sa famille fuit les bombes et les combats pour finalement trouver refuge dans un hôtel et dans une zone sécurisée et contrôlée par les forces croates. C’est sur le parking de l’hôtel que le jeune Luka apprend le football. Il jongle, dribble, tire avec les moyens qui sont les siens. Si il ne dispose pas d’infrastructures adaptées pour pratiquer comme il le souhaiterait le football, il se forge cependant un objectif clair : celui de devenir joueur professionnel. A l’âge de 11 ans il rejoint le club de sa ville natale, le FC Zadar. Mais force est de constater que personne ne croit en lui. Pas même son entraîneur, qui le trouve alors trop petit et trop mince pour pratiquer le football à un haut niveau. Pourtant, le gamin persévère, et le voilà leader d’une équipe régionale, le Hajduk Split, dont il est rapidement évincé. Encore une fois ses conditions physiques jouent contre lui. Peiné, Luka Modrić est à deux doigts de mettre un terme à ses rêves et de raccrocher les crampons.

Si il y a bien une caractéristique à retenir dans l’histoire de Luka Modrić, c’est sa persévérance. Et ça paye : il a à peine 18 ans lorsqu’il signe son premier contrat professionnel au Dinamo Zagreb. Mais la joie sera de très courte durée. Estimant une nouvelle fois le joueur pas assez performant, son entraîneur l’envoie directement en prêt dans un club bosniaque. Paradoxalement, cet épisode est véritablement fondateur dans l’esprit du joueur. Il reconnaîtra lui même que ce championnat fut certainement l’un des plus compliqué et qu’il lui aura forgé une “carapace” : il est désormais imperméable aux critiques taclant son physique. Il faut dire que ses performances en compétition bosniaque convainc le Dinamo de le réintégrer dans l’équipe. Il bénéficie par ailleurs d’excroissances alimentaires pour booster les capacités physiques de son corps, augmenter sa taille, améliorer sa puissance. Tout son potentiel, qui couvait depuis plusieurs années, est révélé au grand jour : le joueur fait alors la démonstration de ses prouesses techniques, de sa vision du jeu et de son altruisme dans la construction. A tel point que de grands clubs commencent à s’intéresser à ce petit joueur, au combien talentueux. Marseille, Arsenal, les demandes de transfert s’enchaînent, mais c’est finalement Tottenham qui décrochera le gros lot en signant un transfert de 21 millions d’euros, le plus cher de l’histoire du club, à cette époque. L’histoire de la vie de Modrić est également une suite de répétitions. Une nouvelle fois critiqué, le joueur lui, retient la leçon bosniaque du passé, et arrive à faire des nombreuses critiques qui lui sont adressées, une force. Il le raconte lui-même en interview : Les gens lui posaient des questions sur ses capacités réelles et sa motivation, lui souhaitais leur montrer que cela renforçait sa motivation. Il estimait qu’ils avaient tort. Et il a bien fait.

Montée en puissance

A partir de là, tout s’enchaîne à une allure fulgurante. Courtisé par Chelsea, c’est le Real Madrid de Carlo Ancelotti qui arrive à le recruter pour 30 millions d’euros. L’accomplissement sur le plan sportif est indéniable, sur le plan social également. Le joueur s’entend en effet parfaitement bien avec l’entraîneur italien ; deux hommes qui se vouent complicité et respect mutuel. En près de 300 matchs avec le Real, les stats de Modric impressionnent. Un trophée de supercoupe d’Espagne gagné seulement deux jours après son arrivée au club, 13 buts, mais surtout 4 ligues des Champions.

Altruiste, bonne vision du jeu, il est donc paradoxal de voir ce vice champion du monde soulever le trophée individuel du ballon d’or, et non pas la Coupe du monde qui aurait récompensé son sens du collectif. Néanmoins. Ce dernier trophée vient parachever la pente ascendante prise par le joueur, depuis sa montée en puissance au Dinamo Zagreb. Elle récompense un joueur et sa persévérance. Alors que lui reste-t-il à gagner ? La Coupe du monde dans 4 ans ? Pourquoi pas, mais à 37 ans pourra-t-il relever le défi ? Aujourd’hui, ce genre de questions ne se posent plus. Modrić a déjà réalisé bien plus de chose qu’il ne l’espérait, lorsqu’il jouait au foot entre les bombes, les grenades et les tanks sur un parking de la ville de Zadar. L’histoire de Modrić est donc celle d’une sacrée leçon de vie. En soulevant le trophée devant Griezmann et Mbappé, c’était pour lui une petite revanche. Et cette fois, il avait le sourire.

Baptiste COULON