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Nelson Monfort, “la voix du sport” à l’Agora de l’EDHEC

Lundi 11 février 2019, L’Agora de l’EDHEC accueillait Nelson Monfort, journaliste et commentateur sportif, pour la promotion de son ouvrage, Les perles des journalistes sportifs, qui retrace 100 anecdotes les plus folles entendu par des journalistes sportifs, un livre “sans prétention” et “très amusant”. La voix sportive la plus connue de la télévision française est un homme qui pourrait être qualifié par “son sens de l’autodérision”, ce qu’il a pu démontrer tout au long de cette conférence, ne cessant jamais de faire rire l’assemblée, venue particulièrement nombreuse.

“Si je devais résumer ma carrière je dirai qu’elle tourne autour de l’idée de la passion. Il faut croire en une certaine forme de destin et de destinée, mais il faut aussi avoir une certaine dose de courage pour faire du journalisme.” 

 

Alors qu’un certain nombre d’événements sportifs arrivent en cette année 2019 (le championnat du monde de patinage à Tokyo, l’open de tennis de Monte-Carlo, Roland Garros, le Tour de France…), Nelson Monfort s’est exprimé sur sa relation avec le journalisme sportif, alors même que la société médiatique connaît un véritable changement, à l’heure des réseaux sociaux.

Spécialisé dans le patinage artistique, la natation, le tennis ou encore l’athlétisme, ce journaliste de France Télévision, ne considère pas ces sports comme moins populaires. Au contraire, pour lui, “il n’y a pas que le football pour donner cet enthousiasme.” (en rapport avec sa présence lors des Jeux Olympiques d’athlétisme en 2017).

 

Vous avez un rapport privilégié avec les sportifs, comment arrivez vous à créer ce lien si particulier avec les sportifs ?

“Je crois que les gens sentent quand on les aime, dès le premier regard. J’ai coutume de dire que l’interview peut être réussie ou ratée avant même la première question. Avec Pierre Ambroise Bosse, c’est un garçon attachant, dans la victoire, comme dans la défaite. L’athlétisme est à la fois masculin et féminin, ils nous ont tous valu de nombreuses médailles. J’adore ce sport, je crois qu’il faut une certaine complicité, que l’athlète soit en confiance, il sait qu’il ne va pas être trahi. Je suis un passeur d’émotions, mais il arrive aussi qu’il y ait de vraies détresses, de vraies désillusions. Pour nous qui suivons le sport, c’est un dérivatif de joie de vivre, mais pour eux, c’est leur vie et si ils ne sont pas sur le podium, c’est une véritable détresse. Il m’est arrivé plusieurs fois de voir un athlète arriver en larmes, et quand je vois que ces larmes ne vont pas sécher, je m’abstiens de faire l’interview. Ça m’est arrivé plus d’une fois. Car si on tend le micro à quelqu’un qui est en larmes, vous allez passer aux yeux du public pour une sorte de voyeur, presque de croque-mort. Et ça c’est terrible. Quand on est journaliste, il faut aussi savoir s’abstenir et c’est aussi ce qui fait que le sportif se sent en confiance.”

Quelle relation entretenez vous avec ces sportifs avec lesquels vous avez développé une certaine complicité ?

“Je ne pense pas qu’il faille aller plus loin que cette complicité, cette confiance… l’amitié c’est autre chose. Eux ils ont leur vie, moi j’ai la mienne, je ne passe pas mes soirées avec Pierre Ambroise Bosse. Je n’ai pas de souvenirs de sportifs avec lesquels j’ai passé des soirées. Ils sont tellement concentrés sur leur performance, qu’après ils vont donner de leur meilleur sur le terrain. Aller faire la fête avec une équipe de France de tennis victorieuse, je l’ai fait une ou deux fois et j’ai rapidement compris que ma place n’était pas là. Plus vous admirez quelqu’un, plus il faut garder cette distance. Cela n’empêche pas que lorsque l’on se voit, on se tombe dans les bras. La complicité est le mot, l’amitié c’est autre chose.”

Votre interview de Carl Lewis a véritablement lancé votre carrière, est ce que vous pouvez revenir sur ce grand moment ?

“C’était aux JO de Barcelone de 1992. Il me répondait de manière franche et sympa. C’est devenu une forme de porte-bonheur pour moi. En athlétisme, j’ai ensuite eu la chance d’accompagner la carrière d’Usain. J’ai accompagné toute sa carrière et je trouve ça formidable. Je ressens ça comme un immense privilège, que d’accompagner la carrière du plus grand sprinteur de l’histoire”.

Est ce qu’il y a un sportif que vous admirez particulièrement ?

“Vous aurez compris que j’aime particulièrement Raphaël Nadal. J’ai aussi beaucoup d’estime pour la natation. c’est un sport assez dur. Les conditions d’entraînement font qu’il y a beaucoup d’entraînement pour très peu de lumière. Des épreuves de natation, il n’y en a pas tant que ça. J’ai beaucoup d’admiration pour les nageurs, dont un en particulier, Yannick Agnel. C’est un garçon, malgré la différence d’âge, dont je me sens très proche. Il y a aussi, et évidemment, Philippe Candeloro, cela va de soi. Il est devenu quelqu’un que je considère un peu comme un petit frère. Je sais que la réciproque est vraie. C’est un garçon d’une grande tendresse. Durant l’été, nous allons partir ensemble 10 jours au Japon, et je m’en réjouis grandement.”

Quel est l’événement le plus marquant de votre carrière ?

“Les JO de Londres en 2012 étaient vraiment extraordinaires. Je pense que l’on a du mal à se rendre compte de la foi, de la ferveur et de l’amour du public britannique pour le sport, y compris pour les jeux paralympiques. Ce n’est pas pour rien, je pense qu’ils ont inventé et mis au point un grand nombre de sport (y compris le ski alpin !). Les stades pour les JO paralympiques étaient pleins également. Ça a beaucoup consolé le fait que Paris ait perdu contre Londres. Quand vous avez près de 2 millions de personnes dans les rues de Londres pour le marathon olympique, ce qui représente 10 rangs de spectateurs. Nous sommes, je pense, très loin de la culture sportive anglaise, qui à l’origine, naît dans les écoles, tous les après-midi.”

Ça fait 30 ans que vous côtoyez le monde du sport, quels événements vous marquent le plus ?

“Très certainement l’arrivée des réseaux sociaux, que j’appelle parfois les ‘fléaux sociaux’. Aujourd’hui tout, le monde est sur ses gardes. Il y a aujourd’hui une forme de contrôle, d’auto-contrôle pour ne pas dire d’auto-censure, qui fait que ce métier à considérablement évolué, dans le domaine du sport mais aussi de la politique. Selon moi, la société a évolué de manière extrêmement négative, je pense que nous sommes face à une hydre et que nous en sommes qu’au début. Il est évident qu’aujourd’hui le journalisme a connu une évolution qui est faite d’autocensure, de contrôle et désormais il faut tourner sa langue au moins 20 fois dans sa bouche avant de proférer le moindre mot.”

 

Journaliste sur une chaine de télévision publique, Nelson Monfort continue de croire en l’avenir des chaines non payantes, puisque “si l’on en croit les organisateurs des événements sportifs, ils souhaitent que le plus grand terrain de sport reste toujours France Télévision.”.

Est ce que vous pensez que les enjeux économiques liés au sport peuvent nuire à la compétition ?

“C’est une très bonne question. Par exemple, à un moment donné, TF1 s’était beaucoup intéressé au Tour de France cycliste. Ils avaient juste demandé une chose, c’était que l’arrivée des étapes ne soit plus à 16h mais à 20h. Et ça, ça aurait considérablement nuit aux organismes. Ils voulaient 20h car mathématiquement, surtout en été, l’audience est bien meilleure à cette heure là, plus qu’à 16h. Les organisateurs ont refusé pour maintenir les organismes des coureurs. D’un autre côté je pense qu’il y a un vrai danger.”

Hormis l’exemple que vous venez de citer, quelle(s) autre(s) menace(s) représente le sport business ?

“La menace des paris en ligne évidemment. Récemment, une affaire de paris truqués impliquant des jeunes joueurs français est sortie. Même si je ne peux pas imaginer qu’il y ait que des joueurs français dans cette affaire… C’est quand même hallucinant de se dire qu’au fin fond de la Chine, on puisse parier sur un résultat d’un tournoi de tennis qui se déroule à la Roche-sur-Yon ! (sic). Je pense que malheureusement on en est qu’au début. Il y a un réel danger.”

Parmi les autres dérives du sport, on peur noter aussi le cas de dopage. La lutte contre le dopage est-elle une peine perdue ?

“J’aurai presque tendance à vous répondre que oui. Je ne suis pas un spécialiste pharmaceutique, mais de ce que l’on me dit, c’est que tous les produits qui masquent le dopage ont toujours un cran d’avance sur le dopage lui-même. A partir de là, je ne veux pas dire que c’est peine perdue, mais c’est un très difficile hélas. En revanche, ce que je trouve très injuste c’est que le cyclisme soit particulièrement visé. Je doute que les cyclistes soient les seuls sportifs dopés. A partir du moment où l’on dit dopage, on dit cyclisme. Et je trouve ça complètement injuste.”

La lutte anti-dopage est parfois rendue compliquée par l’implication directe de certains gouvernements. Est-ce dès lors un révélateur des enjeux politiques ?

“Ça l’était déjà avant la fin du mur de Berlin et la dislocation du Pacte de Varsovie. On a toute une série de témoignages qui sont sortis là dessus et qui démontrent que tous les sportifs russes et ceux de l’Allemagne de l’Est étaient dopés et leurs pays étaient de véritables laboratoires. Les enjeux à l’époque étaient liés à la GF. Pour certains pays, la performance sportive est très importante et elle dépasse le cadre purement émotionnel, elle est partie intégrante du rayonnement des pays sur la scène internationale.”

 

A la fin de la conférence, l’assemblée a pu poser ses questions à cette voix du sport, qui s’est fait un plaisir d’y répondre. Il a notamment rappelé qu’il était un véritable “avocat du sport”, et qu’il était entièrement favorable à sa pratique dans les écoles. Nelson Monfort s’est également exprimé sur Michael Phelps, grand nageur américain, pour qui il avait dit lors des JO de 2016, avoir une très faible estime.

“Phelps semblait avoir signé un contrat d’exclusivité avec la chaîne qui retransmettait les JO (NBC je crois). Mais exclusivité veut dire « s’adresser en premier à », et ce que je trouvais navrant c’est qu’il boycotte toutes les autres chaînes. Y compris le pays organisateur qui est le Brésil. Nos confrères US ont parfois une forme d’arrogance dans les retransmissions qui n’est pas du tout la nôtre. Ça ne correspond pas à l’idée que je me fais de ce métier : l’idée de confraternité. Même le dernier jour, il n’a pas dit un mot à quelque autre chaîne que ce soit, j’ai trouvé ça navrant.”

Enfin, il a été mentionné la question du handisport dans les médias et des femmes dans le journalisme sportif. Il est évident qu’on ne peut pas reprocher à France Télévision de ne pas retransmettre les Jeux Paralympiques, ils possèdent la quasi exclusivité de la retransmission. Cependant, Nelson Monfort regrette le paradoxe qui se crée autour du handisport.

“Le paradoxe est que l’on nous accuse parfois de ne pas en faire assez sur le handisport, mais d’un autre côté, ces Jeux sont peu suivis. Je ne comprends pas trop…”

Enfin selon le journaliste, la place des femmes est de plus en plus importante dans le monde du journalisme sportif. Elles seraient 40 à 45% de présentatrices. Cependant ne restent-elles pas dans des sports très peu médiatisés.

“Je pense que la place des femmes ira crescendo, idem pour les journalistes féminines de sport, c’est une évolution qui est extrêmement favorable. Le temps n’est plus du tout à ces journalistes d’antan, un peu macho, autour d’une table, qui faisaient des plaisanteries un peu potaches. Ça, c’est terminé et l’évolution est plutôt positive, donc c’est une très bonne chose.”

La Manufacture remercie l’Agora de l’EDHEC pour la confiance qu’ils nous accordent, lors de chacune de ses conférences.

Baptiste COULON et Coline FOURNIER