La Manufacture s’entretient aujourd’hui avec Tristan Tornes, étudiant à Bordeaux, à propos de la place du cinéma indépendant aujourd’hui. Il s’agit tout particulièrement de rendre compte de son rapport avec le cinéma grand public largement produit par une poignée de majors hollywoodiens. Ce dernier demeure la face la plus visible du cinéma américain et connaît aujourd’hui un grand succès. S’il est relativement facile d’évaluer la puissance et l’hégémonie de l’industrie hollywoodienne (500 films par an, 50 milliards de dollars), il est difficile d’en dire autant du cinéma indépendant : sa définition est très large, ses prétentions sont diverses, et la frontière qui le sépare d’Hollywood est très floue.
Qu’est-ce que le cinéma indépendant ?
D’abord, il convient de dire que le cinéma indépendant se définit aisément en opposition au cinéma Hollywoodien. Les films indépendants sont produits en dehors des majors et généralement, avec un budget nettement moindre. Il ne doit pas être confondu avec le cinéma d’exploitation ou le cinéma expérimental (sur ce point, la Manufacture vous conseille de vous intéresser aux travaux de Anne Hurault-Paupe et Céline Murillo). C’est un cinéma qui fait appel au sens critique des spectateurs, et à été projeté dans le temps dans un très grand nombre de salles.
Pour Janet Staiger spécialiste de la radio-télévision-film et professeure, le cinéma indépendant suppose une certaine pratique du cinéma. Caractérisé par des dialogues dits “intelligents” et des dialogues souvent intrigants ou excentriques, il fait son apparition dans les années 1960 aux Etats-Unis. A cette époque là, la décadence d’Hollywood est patente : les mentalités changent, c’est l’époque de la guerre du Vietnam, de la libération sexuelle, de la diffusion de la drogue. Bref, le cinéma comme bien d’autres domaines marquent un anticonformisme flagrant : K. Anger ou Andy Warhol deviennent ainsi des symboles d’un nouveau cinéma audacieux, à petit budget, ou la qualité artistique et les visuels prennent le pas sur la fiction. Shadows (John Cassavetes, 1961) est souvent considéré comme le premier film indépendant en tant que tel. En mettant l’esthétique visuelle au premier plan, il se transforme en oeuvre d’art, entraînant la suite du cinéma indépendant avec lui.
Yannis Tzioumakis dans son ouvrage de 2006, retrace l’histoire des producteurs indépendants et met en avant le fait que le film indépendant est très lié au film hollywoodien. Pour l’auteur, les années 1990 sont un excellent exemple : les majors, face au succès croissant du cinéma indépendant, “copient” l’idée, soit en formant leurs propres filiales (Sony Pictures Classics par exemple), soit en rachetant des indépendants à succès (ces rachats concernent fine Line ou miramax par exemple).
Depuis la fin des années 1990, la frontière entre cinéma indépendant et cinéma hollywoodien s’est encore considérablement amincie, notamment avec le gonflement des budgets alloués à la production de films indépendants.
“Ambivalent” voilà comment Tristan Tornes, étudiant en licence de cinéma à Bordeaux, qualifie le cinéma indépendant. “D’une année à l’autre, le cinéma indépendant se redéfinit lui-même et est redéfini par les gens de l’Académie” [qui gère les nominations aux Oscars, ndlr]. La possibilité des Oscars de représenter et de récompenser des films indépendants pendant la cérémonie (Call Me By Your Name, Lady Bird l’année dernière) corrompt le non-conformisme souvent attribué aux films indépendants. D’une année à l’autre, selon s’ils ont eu du succès auprès du grand public, certains films indépendants peuvent se retrouver sur un pieds d’égalité avec des films aux gros budgets lors de ces festivals prestigieux.
Finalement, d’une année à l’autre, le cinéma indépendant n’affiche pas la même image, et ne revendique pas sa place de la même façon.
Les Spirit Awards, symbole d’une ambivalence entre indépendance cinématographique et recherche de conformisme.
Il est curieux de voir comment le ciné indé cherche la distinction, une “distinction” à prendre dans tous les sens du terme.
Les Spirit awards, fondés en 1984 sont dédiés aux réalisateurs indépendants. La cérémonie récompense chaque année la créativité cinématographique des producteurs, leur originalité et consacre plusieurs créations audacieuses et atypiques du cinéma indépendant.
Si 2018 a consacré un grand nombre de films et a fait parler de lui, on ne peut pas en dire autant de la 34e edition, qui se tenait la semaine dernière. En effet, l’événement est cette année passé presque inaperçu. Quelques articles seulement dans des Gossips relèvent le nom des gagnants. Rien sur l’audace artistique, rien sur le jeu des acteurs :pendant ce temps là, le grand public se préparait aux Oscars….
Pour Tristan, le cinéma indépendant est un milieu “ambivalent”, et ce, à plusieurs niveaux. “D’abord, par rapport à sa reconnaissance. Par exemple, l’année dernière, les Oscars ont présenté des films comme Call me by your name ou Lady Bird, qui ont eu un succès monstre mais qui ont été reconnus”. Tristan soulève ici l’idée que la frontière entre film indépendant et film de box-office est particulièrement mince, puisque leur exposition au grand public lors des cérémonies des Oscars dépend davantage du succès en salle que de leur valeur artistique. Cette année par exemple, le cinéma indépendant à beaucoup moins fait parler de lui. “L’année dernière, la sélection aux Spirit Awards –cérémonie consacrant le cinéma indépendant, ndlr- ressemblait beaucoup à celle des Oscars, et c’est assez inhabituel”. Cette année, la plupart des films nommés n’ont pas bénéficié d’une grande publicité, ne sont quasiment pas connus du grand public, et donc demeurent, “vraiment indépendants et inconnus pour la plupart”. Constat paradoxal, d’autant plus que Tristan souligne que Barry Jenkins, qui s’était pourtant distingué à la fois aux Spirit Awards et aux Oscars avec son film Moonlight, à eu beaucoup moins de succès avec son nouveau film “If Beale street could talk”
Cette année, les présentateurs des Spirit Awards se félicitent de ne pas avoir vu leur liste des “meilleurs films” “volée” par les Oscars. En revanche, l’année dernière, se félicitant d’avoir eu des films reconnus aux Oscars, les mêmes clamaient que le cinéma indépendant était “enfin reconnu.” Finalement, “le discours est hyper double sur ce point là.” Si nous parlions plus haut de la redéfinition perpétuelle de la discipline, nous avons là un parfait exemple.
Finalement, “quand un film indépendant est reconnu par exemple aux Oscars, ça ne tient pas de sa qualité, parce que je ne doute pas que tous ceux que le grand public ne connaît pas, et qui sont nommés cette année aux Spirit Awards sont géniaux. La différence, c’est que Call Me by your name, Lady Bir, Moonlight, ont attiré du monde en salle. Vu que ces films ont eu un uccès public, on s’autorise à les reconnaître à leur juste valeur aux Oscars. On en est presque à leur donner le statut de film d’Hollywood, ce n’est presque plus indépendant en fait.” Cette analyse critique renvoie à cette ambiguïté entretenue par le milieu indépendant, qui se dit “non-coforme” mais qui se réjouit d’accéder au préstige des Oscars.
Cinéma indépendant américain et français
Le cinéma indépendant américain est sûrement le plus influent aujourd’hui, en comparaison à d’autres pays, comme la France. Là, rassemblé sous le nom de “jeune cinéma français” il est opposé au cinéma du grand public. Des réalisateurs comme Bertrand Tavernier, Agnès Varda font un travail très proche du cinéma indépendant américain, même s’il ne faut pas oublier que le cinéma est par nature spécifique à chaque pays. Hollywood est le symbole du film mondialisé, mais le film indépendant peut prendre bien des couleurs en fonction du pays dans lequel il est conçu. De la même façon que le cinéma indépendant américain lutte contre Hollywood, en France c’est contre les grands majors que sont Gaumont ou Pathé que tentent de se distinguer les producteurs et réalisateurs indépendants.
Julie Assouly est néanmoins assez confiante quant à l’avenir du cinéma indépendant. Elle prend l’exemple des frères Coen : tous deux ont su conserver une “indépendance scénaristique”. Pour J. Assouly, ce qui compte c’est le “contrôle total” qu’ils exercent “sur leur texte quel que soit le scénario”. En effet, en gardant une maîtrise très impressionnante sur le scénario, la mise en scène, la réalisation, les frères Coen gardent, malgré leur succès, une pratique cinématographique très similaire aux films indépendants. Il ne faudrait donc pas dramatiser la chute éventuelle du cinéma indépendant qui est, pour rappel, naturellement dans l’ombre du box office car cherchant à atteindre un autre type de public. Claire Molloy, dans son article “Christopher Nolan and Indie Sensibilities” est loin d’être aussi positive face à l’avenir du cinéma indépendant. En effet, elle prend l’exemple de Christopher Nolan qui, comme bien d’autre, n’a pas su résister à la tentation hollywoodienne. Pour elle, la touche si particulière et propre au réalisateur s’est perdue dans un système néolibéral cherchant à vendre un grand nombre de places. Nolan ne participerait donc qu’à une entreprise commerciale qui n’a rien à voir avec de l’art.
D’autres auteurs mettent quant à eux en exergue le péril que représentent télévision, sites de visionnages et de streaming, accusés de vendre à tour de bras le cinéma grand public, commercial, et délaissant le cinéma indépendant (particulièrement celui bénéficiant d’un budget limité). Il est possible de craindre la fin du cinéma indépendant face au financement massif de cinéma par les chaînes de télévision comme c’est particulièrement le cas en France. De plus, les grandes plate-forme de VOD ou de visionnage comme Netflix par exemple sont un risque pour l’avenir du cinéma indépendant.
Cinéma indépendant “écrasé” par la concurrence hollywoodienne : doit-on avoir peur pour la diversité culturelle et cinématographique ?
Le cinéma hollywoodien répond à un certain nombre de standards et visent un public très large. De ce fait, il est possible de penser qu’il nuit, d’une certaine façon, au pluralisme artistique. L’idée de films “toujours pareils” est à la mode : des films comme Divergente, The Giver ou Hunger Games, tous sortis ces dernières années, rendent les spécialistes très sceptiques quant à l’imagination, la liberté et l’audace artistique dont font preuve les réalisateurs hollywoodiens. Importance de préserver à tout prix la diversité culturelle et cinématographique, mis en brèche (?) ajd ntm avec Netflix etc… De plus, les salles indépendantes, qui diffusent dans le monde des films qui se veulent décalés et qui luttent contre la nouvelle “norme” des films du box office, subissent une crise de fréquentation.
CCL : c’est probablement à la jeune génération de s’ouvrir au cinéma indépendant, car il est impératif qu’il perdure. Nombreux doivent être ceux qui sans relâche se battront contre l’idée qu’Hollywood détient le monopole du bon goût artistique. Hollywood veut vendre, voilà tout. Et avec le temps, nous voilà habitués à des films parfois mous et trop habituels : osons nous tourner vers le cinéma indépendant, osons re-découvrir le cinéma au-delà des Oscars.
Initiatives pour soutenir le cinéma indépendant
L’association du Cinéma indépendant pour sa diffusion (ACID) permet un à certains films par d‘autres cinéastes. Ce sont des actions en région, mais surtout en Île de France et à Canne. Des films sont proposés à des adhérents et lorsqu’un grand nombre de cinéastes se mobilisent, un soutien est accordé au film.
L’association du Cinéma indépendant parisien (1992) souhaite la diffusion du cinéma indépendant auprès du jeune public et mène un programme autour du rapport cinéma/pédagogie particulièrement intéressant car il réunit des hommes et femmes du milieu scolaire et cinématographiques. Des actions plus “terre à terre” sont menées comme la mise à disposition des salles, chaque année, pour encourager jeunes à s’intéresser à cette facette du cinéma (1 400 séances et 80 000 enfants accueillis à chaque année).