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Black mirror – une vérité qui dérange

Écrans noirs, omniprésents et omnipotents, rectangles multiformes, prolongements de nos mains, béquilles de nos cerveaux. Sans nous permettre de les maîtriser, de les rejeter, les voilà partout. Ils nous dopent à un confort factice qui masque le potentiel de violence psychologique. Parce que dès que l’écran se brise, seul le noir glacial reste, et laisse se dessiner les traits de notre visage léthargique, encore happé par ce fascinant monde virtuel.

“Une réflexion sur les rapports entre humains et nouvelles technologies”

L’anthologie de Charlie Brookers, Black Mirror, a bâtit un monde qui nous est familier puisque les technologies nous y accompagnent à chaque instant. Le fil conducteur est une réflexion sur les rapports entre humains et nouvelles technologies, et démontre que l’amoralité technologique s’oppose à la moralité intrinsèque humaine. Black Mirror, c’est aussi la mise en abîme du spectateur qui visionne la série, miroir grossissant de notre réalité.

Chaque saison aborde la question des nouvelles technologies sous un angle spécifique. Le rapport entre médias et perte de repères moraux est traité dans la saison 1. Elle s’ouvre sur une réflexion autour de la notion de « responsabilité » (épisode 1). La princesse Susannah est faite otage. Pour la libérer le premier ministre britannique doit diffuser publiquement une vidéo de lui entrain de copuler avec un porc. Cet épisode met en lumière l’idée que le sensationnalisme recherché par les médias retire aux informations un réalisme qui donnerait instinctivement à l’audimat l’envie de se révolter. Parce que dans un spectacle, peu importe la morale, l’intérêt est de se divertir. Mais ne sommes-nous pas responsables de cette passivité ? Partager pour faire le buzz, c’est participer et accepter, et donc, quelque part, être complice? Dans « The History of You » (épisode 3, image ci-dessous) c’est notre rapport à la mémoire qui est questionné. Un implant permet aux individus d’enregistrer leurs souvenirs. C’est ainsi qu’un homme découvre la vérité sur sa femme qu’il soupçonnait de l’avoir trompé. L’idée qui émerge immédiatement est celle de notre passion pour la vérité. Ira-t-elle jusqu’à la destruction du droit à l’oubli ? Les réseaux sociaux conservent chacune de nos discussions, photos, partagées spontanément, comme si l’échange était direct, en oubliant la plateforme médiatrice invisible.

Sont ensuite analysées les modifications des interactions sociales consécutives à l’apparition des nouvelles technologies (saison 2). Dans Nosedives les comportements sociaux sont dictés par l’évaluation dont chaque individu fait l’objet lorsqu’il entre en interaction avec autrui. Cette dictature des conventions sociales génère une stéréotypisation des individus. Le miroir reflète notre mise en scène quotidienne sur les réseaux sociaux. La bataille à laquelle nous nous livrons en cherchant sans fin des preuves de notre beauté, de notre humour, ou de notre goût pour l’aventure, dont la satisfaction éphémère ne sera atteinte que par la réception de « likes ».

L’évocation de ces quelques épisodes vise à s’interroger sur ce qui fait la réussite de la série. Quels sont les éléments qui donnent aux épisodes de Black Mirror une telle puissance ? Pourquoi d’autres ne parviennent-ils pas à susciter le même effet ? Il convient donc de se pencher sur les changements qui s’opèrent entre saisons, et entre épisodes.

Au nihilisme des conclusions s’est substitué le « happy endings».

Le rachat de Black Mirror par Netflix coïncide avec un virage de la série. Une teinte de pathos et un relent d’émotions sont venus enjoliver la sombre noirceur des deux premières saisons. Au nihilisme des conclusions s’est substitué le « happy endings».  On peut critiquer ce changement. L’idée n’est pas de contester la qualité du scénario, mais de s’interroger sur l’impact que ce choix peut avoir sur l’identité de la série. Car la qualité de Black Mirror c’est l’association du temps de l’épisode et du temps de la réflexion qui s’en suit. Évidemment, ce processus reste effectif dans quelques épisodes des saisons 3 et 4. Néanmoins, au milieu de cela, certains épisodes ne font figure que de distraction. Le spectateur regarde, passif, et sort du récit inchangé. Il s’émerveille devant des histoires d’amour, jusqu’à en oublier l’essence que sont les nouvelles technologies, celles-ci n’apparaissant plus qu’en filigrane. Quelle est donc l’utilité du lyrisme pour aborder cette question ? Les saisons un et deux nous ont assez démontré qu’il n’avaient pas de nécessité absolue.

Rompre avec le schéma traditionnel 

Polar, space-opera, romance, fable politique, drame familial, etc. on peut difficilement qualifier la série de linéaire. Mais changement ne signifie pas qualité.  Haine Virtuelle a bien une intrigue originale : des abeilles drones paramétrées pour butiner (et utilisées par les services secrets comme système de surveillance) sont détournées de leur fonction afin de tuer massivement les utilisateurs ayant pris part à un lynchage public sur les réseaux sociaux. Cependant, l’emploi du scénario classique devient lassant à force. Tout se passe bien mais l’utilisation technologique tourne à la dystopie. Ici, les événements s’enchaînent exactement comme le spectateur s’y attend. Banale enquête, des victimes qui se suivent, la découverte du responsable, interrogatoire des suspects, et enfin, jugement.  Il y a évidemment des épisodes parvenant à rompre avec le schéma traditionnel et à nous surprendre. Dans La Chasse, dont e thème de la lutte du mal par le mal s’inspire d’Orange Mécanique, une jeune femme coupable d’un crime est condamnée à revivre perpétuellement la même journée. Mais le spectateur est dupé puisqu’il reste avec la victime dans l’ignorance jusqu’au twist final.

Le fonctionnement des épisodes ne tient-il pas finalement à l’identification aux personnages ? Parce que sans celle-ci, comment le miroir pourrait-il prendre forme? Quelle réflexion peut-on engager si la reconnaissance est absente? La puissance n’est pas seulement inscrite dans une intrigue originale, mais dans des personnages qui parviennent à incarner à eux-seuls le message.