Passer au contenu

Mondiaux de Doha : polémiques en pagaille et coup de chaud pour les Français

Les mondiaux d’athlétisme se sont conclus ce week-end à Doha (27 septembre – 6 octobre). Cette compétition a été émaillée de nombreuses polémiques (dopage, corruption, conditions climatiques). Malgré tout, ces facteurs ne sauraient expliquer seuls la contre-performance des athlètes français repartis du Qatar avec seulement deux breloques. Analyse.

Des conditions extrêmes

Les craintes émises par les observateurs avant ces Championnats ont été vérifiées. Au premier chef : la chaleur étouffante qui a joué un rôle clef dans le déroulement des épreuves. Dès l’ouverture, le marathon féminin qui se déroulait sur la corniche de la ville, entre les grattes-ciels futuristes et le Golfe persique, a vu 28 de ses participantes abandonner, meurtries par la chaleur nocturne. L’IAAF (Association Internationale des Fédérations d’Athlétisme) a sans aucun doute joué avec la santé des sportifs.

De plus, les critiques furent nombreuses contre l’hérésie environnementale consistant à climatiser un stade sans toit de 40 000 places pour y accueillir les épreuves. Le Khalifa Stadium, bijou technologique où la température est restée pendant 10 jours à un niveau idéal pour les athlètes (25°C environ), a sonné vide durant la première partie des mondiaux, avant de tout de même se remplir en fin de programme, sans atteindre les chiffres fournis par les organisateurs locaux. Des travailleurs étrangers (Ougandais, Kényans, Ethiopiens, Indiens) sont notamment venus garnir les gradins, « invités » par l’organisation. A noter par exemple que seuls 2 800 spectateurs ont assisté à la finale du 100m femmes à Doha, une des épreuves phares de ces Mondiaux.

Une organisation qui pose question

Ces mondiaux d’un excellent niveau sportif ont été touchés par de nombreuses affaires et accompagnés de scandales. En toile de fond de ces championnats, les soupçons sur l’attribution de la compétition par l’IAAF ont pesé, au point que le parquet a ouvert une information judiciaire en 2016 pour « corruption » et « blanchiment aggravé ». Sebastian Coe, président de l’IAAF, assure pourtant contre toute évidence que ces Mondiaux sont un succès, une position qui étonne quand on sait qu’il fut athlète de haut niveau.

Et comme si cela ne suffisait pas, la compétition a aussi été marquée par le scandale lié à la suspension de quatre ans de l’entraîneur américain Alberto Salazar, pour « incitation à une pratique dopante » annoncée en plein Mondiaux par l’agence antidopage américaine. Il a aussitôt été privé d’accréditation et « ses » athlètes médaillés ont dû faire face à une très lourde suspicion. De quoi alléger l’ambiance pesante qui régnait sur ces Championnats.

Un niveau de performance cependant très élevé

Malgré tous ces déboires, il convient de souligner que le niveau global de la compétition a été très élevé. En plus des deux records du monde battus – l’Américaine Dalilah Muhammad sur le 400m haies (52’’16) et les Américains sur 4x400m mixte (3’9’’34) – une douzaine de meilleures performances mondiales de l’année ont marqué ces Championnats.

L’éternelle Allyson Felix est repartie de Doha avec deux médailles d’or (4 x 400m et 4 x 400m mixte), seulement 10 mois après avoir donné naissance à sa fille, portant son total à 13; record absolu, hommes et femmes confondus. A noter aussi, le 4ème titre mondial sur 100m de Shelly-Ann Fraser-Pryce, la plaçant parmi les plus grandes sprinteuses de l’histoire, ou encore un concours de lancer de poids, remporté par l’Américain Joe Kovacs, rentré également dans l’histoire.

Le fiasco français

Le moins que l’on puisse dire, c’est que la délégation française n’a pas relevé le niveau de la compétition.

Les mots d’André Giraud, le président de la Fédération Française d’athlétisme, sont durs mais réalistes et expliquent la déroute de la délégation française au Qatar.

« On n’a pas su s’adapter aux particularités de ces championnats. Il y avait des paramètres à maîtriser, comme le calendrier, le lieu. Ces conditions ont été maîtrisées par d’autres pays, il faut dire la vérité. On ne les a pas préparés comme on aurait dû ».

Il suffit de jeter un œil au bilan français pour comprendre cette déroute :

  • 15% de finalistes sur les 60 athlètes engagés. L’échec à Doha succède à un championnat d’Europe berlinois avec un bilan déjà en net recul (10 podiums). Le plus mauvais total, à égalité avec Helsinki en 1983, quand l’athlétisme français ne disposait pas d’un potentiel comparable.
  • Au tableau des médailles, avec l’argent de Quentin Bigot (marteau) et le bronze de Pascal Martinot-Lagarde (110 mètres haies), les Bleus se placent en 24ème position, bien loin de Londres en 2017 (4ème).
  • Trois athlètes seulement ont battu leur record personnel (Bedrani sur 3000m steeple, Mayer sur 100m lors du décathlon et Ndama au javelot durant l’heptathlon).
  • Preuve de l’incapacité des Français d’élever leur niveau le jour J, aucun record de France n’a été battu sur ces Mondiaux.

Une colère des athlètes français

« On nous prend pour des cons […]. On est pris pour des cobayes […]. Ça me fait chier, et je regrette d’être là. » Deux jours après cette déclaration et après 16km parcouru sur le 50km marche, le champion français Yohann Diniz enlevait son maillot tricolore.
D’un autre côté, on apprenait que l’anglais Callum Hawkins s’était préparé sur un tapis roulant, dans un cabanon avec radiateurs électriques, et il a terminé 4
ème du marathon. Le jeu en valait-il la chandelle ? Yohann Diniz, pourtant numéro 1 mondial dans sa discipline, semble avoir donné des éléments de réponse, mais c’est un choix facile à faire quand on connait son palmarès, déjà long comme le bras.
Les jeunes athlètes, eux, n’ont pas ce choix et doivent prouver qu’ils ont leur place dans des compétitions où le niveau est toujours plus élevé et où la pression des résultats les pousse à réaliser des sacrifices inconsidérés.

La jeune athlète française Clémence Beretta, elle aussi spécialiste de la marche, a dénoncé ce lundi, dans un post Facebook partagé près de 6 000 fois, le manque de moyens donnés à la pratique du sport et aux jeunes sportifs en France.

« Quelques sections sportives survivent, quelques heures d’EPS sont imposées aux écoliers mais qu’en est-il réellement de ceux qui veulent s’investir ? Leur donne-t-on les moyens ? […] La réalité en France est qu’on nous oblige à choisir entre le sport ou les études. On nous fait comprendre que si l’on veut être diplômé, le sport est une perte de temps. »

Ainsi, même si les conditions difficiles dans lesquelles ont eu lieu ces Championnats du monde ne sont pas négligeables, elles sont les mêmes pour tous les athlètes; c’est donc la formation française qui est remise en question. Alors que la génération dorée des Championnats d’Europe de Barcelone 2010 (18 médailles, 8 en or, 1ère au classement) est sur le déclin, l’athlétisme français cherche un second souffle en vue des Jeux Olympiques 2024 à domicile. Le cru Doha 2019 montre qu’il y a encore du travail !

Hugo Perez