A vouloir s’aligner sur tous les fronts et poursuivre le train des réformes, le chef de l’Etat prend le risque de voir se multiplier les foyers de contestation alors qu’il s’est déjà mis à dos une partie du corps social. Pourtant, du coté de l’Elysée, on l’assure, la méthode a changé. Cette rentrée difficile doit donner à l’exécutif l’occasion de le prouver.
La troisième rentrée du tandem Emmanuel Macron-Edouard Philippe ne sera donc pas la bonne. Après une chute spectaculaire de popularité du président à la rentrée 2017 et les remous de l’« Affaire Benalla » en 2018, le nouvel opus du retour des vacances de Macron ne se présente pas non plus sous les meilleurs auspices. Cette entrée en matière délicate s’explique autant par la volonté inébranlable du chef de l’exécutif de s’en tenir à un programme de réforme très dense que par la nature même des mesures annoncées. Ces dernières touchent en effet à des thématiques hautement inflammables que sont les retraites ou la bioéthique. S’ajoute à cet agenda présidentiel surchargé la question de l’immigration auquel Emmanuel Macron souhaite s’attaquer et dont les débats ont commencé ce lundi 7 octobre à l’Assemblée nationale.
Chantier immense, sur lequel plusieurs gouvernements antérieurs se sont cassés les dents, la réforme du système des retraites, dont les grandes orientations doivent être dessinées par Jean Paul Delevoye, n’a pas manqué de cristalliser les colères, au premier rang desquelles celle des agents RATP, en grève pendant 24 heures le 13 septembre dernier, avant peut-être une « grève illimitée » à partir du 5 décembre. Bien que la réforme en soit simplement au stade de projet, elle suscite déjà les inquiétudes et promet d’alimenter la contestation sociale. Dans un autre registre, la réforme de la bioéthique, qui étend le recours à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, approuvé en première lecture à l’Assemblée, a conduit quelques dizaines de milliers de français dans les rues parisiennes dimanche dernier.
“Avec les gilets jaunes, il a eu les jetons”
Si cette grogne sociale est pour l’instant émiettée et les syndicats marchent en ordre dispersé, le président n’en demeure pas moins préoccupé. D’autant que le chef de l’Etat traîne comme un boulet des conflits sociaux engagés bien avant la rentrée, à l’image de celui des gilets jaunes qui, de l’aveu de ses proches, l’a profondément marqué. « Avec les Gilets jaunes, il a eu les jetons », confie ainsi au Figaro l’un des récents interlocuteurs du président. L’exécutif garde donc un œil attentif aux manifestations qui ont encore lieu tous les samedis. Autre sujet de préoccupation, la crise des urgences, qui traîne également en longueur. En effet, le conflit s’enlise depuis le printemps dernier et les 70 millions promis par Agnès Buzin le 9 septembre n’ont pas calmé la gronde du personnel hospitalier. Certains services restent ainsi toujours en grève.
Le changement de méthode du gouvernement
Face au péril social qui le guette, le gouvernement joue la carte du changement de méthode à l’entame de la seconde moitié de son quinquennat. Fini le pouvoir vertical, place au dialogue avec les Français et les corps intermédiaires à en croire la rhétorique gouvernementale. « Pour changer les choses, il faut parfois changer nos habitudes », estimait Emmanuel Macron, fin août. Ainsi, après avoir participé durant plus de trois heures à un débat sur les retraites, jeudi 3 octobre à Rodez (Aveyron), le chef de l’Etat s’est invité le lendemain au Sommet de l’élevage, le plus grand salon européen du secteur, qui se déroule chaque année à Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme). Une visite qui n’était pas inscrite au programme présidentiel et lors de laquelle Emmanuel Macron a donné le sentiment de vouloir retrouver le sel de sa campagne présidentielle, ces bains de foule compacts, parfois rudes, dans lesquels il aime plonger et se rassurer sur sa popularité. Une manière de renouer avec les Français sans toutefois se départir de son activisme tous azimuts.
Mais à revenir dans la lumière, le locataire de l’Elysée prend également le risque de concentrer de nouveau les critiques. « En s’exposant ainsi, il peut cristalliser tous les mécontentements sur sa seule personne », estime un proche. Et « cela pose la question de l’hyperdépendance au président de tout l’édifice macroniste », juge un parlementaire LREM, selon des propos rapportés par Le Monde. Faire preuve de pédagogie et de proximité avec les Français afin de rompre avec l’image d’un président déconnecté et « jupitérien », sans pour autant absorber toute la lumière : il s’agit là de l’équation à résoudre pour l’ex ministre de l’économie, alors même qu’il arrive à un tournant de son quinquennat. Avec en ligne de mire les municipales de 2020 et les présidentielles de 2022, deux scrutins décisifs pour le destin futur de la macronie.
Christian Mouly