L’image de l’année de mobilité qu’on a tous en tête est celle de « la meilleure année de ta vie », mais la réalité est toute autre quand on pose le pied dans le pays étranger qui nous accueillera pour un semestre ou une année. Le mal du pays est fréquent et nous sommes tous de potentiels sujets à ce mal-être. Il est donc essentiel de poser des mots sur cette situation trop peu évoquée avant le départ.
La troisième année (3A) ou la deuxième année (2A) pour les FIFA / FIFB, est un moment attendu par la plupart des nouveaux étudiants à Sciences Po Lille. Cette année est synonyme de découvertes, d’aventures, un plongeon dans l’inconnu ou encore une opportunité professionnelle. C’est l’occasion de voyager à l’autre bout du monde et de profiter de visiter mille et un pays pour alimenter à foison son Instagram de clichés parfaits. Pourtant cette image de vie de rêve n’est pas une réalité pour tout le monde : « C’est survendu par tout le monde, surtout les 4A. Généralement ceux qui n’ont pas aimé leur 3A n’en parlent pas. Du coup le seul avis qu’il reste c’est celui de ceux qui ont kiffé leur année et qui nous assurent que ce sera “la meilleure année de notre vie” » explique Sofiane Belmokadem étudiant en 4ème année en filière franco-espagnole à Salamanque, Espagne.
Pour Pierre Lechat, actuellement à l’université au Canada, il est dur de faire face à cette croyance générale que tout va forcément être bien : « Les réseaux sociaux participent à la diffusion de cette pensée dominante que tout est parfait. C’est le plus insupportable et les personnes pour qui ça se passe bien ne s’en rendent pas compte ». Une partie non négligeable de cette fameuse 3A est souvent occultée par les étudiants.
Une année source d’angoisses
En effet, cette année si particulière peut être pour beaucoup une source de stress, d’anxiété et générer des craintes. Il n’est pas facile de faire face à tout l’administratif nécessaire et aux nombreuses questions qu’on peut se poser : Où partir ? Comment trouver un logement, un stage ? Comment vais-je payer ? Ai-je besoin d’une assurance ? Quand partir ? Revenir ? Vais-je réussir à communiquer ? Au delà du stress généré par le classement et l’attribution des destinations lors du mois de février, certains subissent une pression sociale lorsqu’ils choisissent des destinations qui seraient moins prestigieuses, parce que dans des pays moins connus, ou trop proches. « J’étais le profil moqué en 2ème année. C’était le mec qui va Bruxelles, la destination réservée pour les bas de classement, un peu celle des nuls, celle où il n’y a rien à faire » confie Maxime Tellier, actuellement en 3ème année à l’Université Libre de Bruxelles. Cela sous-entendrait que selon la destination l’expérience serait différente, que pour vivre la “meilleure année de sa vie” il faudrait viser le prestige universitaire ou s’expatrier dans un pays lointain. Ce jugement Pierre Lechat le connait :
« Ça m’arrivait de comparer dans ma tête les différentes 3A, pourtant on ne devrait pas et il ne faudrait pas voir ça comme une honte » .
Finalement chaque expérience est unique et vécue différemment. Il serait dommage alors de ne pas montrer la diversité des possibilités. « Le mythe de la 3A dépend absolument de ta psychologie et du contexte du pays où tu es. Aller au Chili a pu être une expérience extraordinaire pendant longtemps mais cette année avec la crise ça peut être un cauchemar » explique encore Maxime Tellier.
« On nous parle de papiers, d’université mais pas de sentiments » – Coline Massing
Pour lui tout dépend du tempérament de la personne : si pour certains partir un an à l’étranger peut apparaître comme une évidence, pour d’autres l’année de mobilité se révèle être une épreuve toute particulière, voire insurmontable. Cela a été le cas de Coline Massing qui a effectué sa mobilité mixte en Espagne l’année dernière. Elle raconte qu’elle s’est senti lâchée dans cette année sans y être réellement préparée par l’école. « On nous parle de papiers, d’université mais pas de sentiments » nous confie -t-elle. Le manque de sa mère, avec qui elle entretient une relation fusionnelle, n’a pas été anticipé par la jeune femme ce qui a rendu difficile son expérience à l’étranger.
Nombreux sont ceux qui, comme elle, ont choisi une destination en Europe, ou géographiquement proche de chez eux afin d’avoir les moyens de rentrer fréquemment, mais également par souci financier. Si en 2018/2019, 46% des étudiants de 3ème année ont choisi une destination Erasmus, en 2019/2020 ce nombre est bien supérieur et atteint les 54%, selon les statistiques du service de relations internationales de Sciences Po Lille.
Une année imposée
Cette année de mobilité étant imposée, il est parfois difficile d’imaginer que certains d’entre nous auraient préféré rester. C’est le cas chaque année d’une partie de la promotion : « J’ai parlé longuement avec les relations internationales en leur disant que je n’avais aucune envie de partir. Ils m’ont dit que je n’étais pas le seul, qu’il y avait certains étudiants qui avaient le mal du pays et pour qui la troisième année était un calvaire », explique Maxime Tellier alors en France pour la période de congés universitaires.
« Monsieur Duseigneur m’a conseillé que si j’avais besoin d’un appui familial et amical, il valait mieux pour moi que je choisisse une destination où je serai capable de rentrer régulièrement ». Pour éviter une rupture avec le quotidien, Maxime a choisi la proximité en allant étudier de l’autre côté de la frontière. Cette destination lui donne accès à des cours différents de Sciences Po Lille mais lui permet également de pouvoir rentrer chez lui dans la région de Lille tous les week-ends et pour les vacances. Cette année, pour lui, présente tout de même des inconvénients en particulier sur le plan financier. Bruxelles reste une capitale où le prix des loyers et des transports sont conséquents pour un étudiant. « J’aurais préféré continuer une année tranquillement à Sciences Po » affirme-t-il.
Vous l’aurez compris vivre dans un pays étranger n’est pas chose aisée. Il suffit d’échanger rapidement avec certains étudiants pour se rendre compte que la plupart ont vécu, ou vivent, de durs moments et de longues périodes d’acclimatation. Cela s’explique de multiples manières, mais la plus frappante est le manque de préparation au départ. Certains se sont sentis malades avant de partir, sous un stress compliqué à gérer jusqu’à la veille du départ. Pour d’autres, leur séjour à l’étranger n’a pas de sens : « La veille du départ m’a paru insurmontable. Je ne cessais de me répéter inlassablement la même question : pourquoi partir ? Pourquoi laisser derrière moi tout ce que je chéris ? Je n’ai pas besoin de partir pour vivre “ma meilleure vie” », précise Pierre Lechat. « On laisse tous des trucs derrière nous. Pour certains “la meilleure vie” n’est pas à l’étranger, mais chez soi, dans sa petite routine avec ses proches et ses activités. »
La première solution : en parler !
Il n’est donc pas anormal de ressentir le mal du pays. Cependant il ne faut pas en venir à se culpabiliser car vous ne parvenez pas à vivre la “meilleure année de votre vie”. Il est important de savoir aborder le sujet et de ne pas nier ce possible mal-être même si ça peut être difficile comme l’exprime Coline : « Je n’osais pas trop dire quand ça n’allait pas, surtout quand je voyais que les autres étudiants passaient une superbe année. »
La question qui se pose à présent est donc : Que faire lorsqu’on ressent le mal du pays ? Avant même cela il faut savoir évaluer sa propre sensibilité et ses besoins pour définir la destination idéale pour soi sans se soumettre à un impératif de prestige ou de dépaysement total. Le plus important et donc de savoir s’entourer de ses proches afin d’être soutenu dans ces changements de vie. Il est essentiel d’aborder le sujet avec l’interlocuteur que vous jugerez adéquat à la situation : ce peut être des personnes que vous rencontrerez lors de votre mobilité, vos amis, d’anciens troisième année ou des professionnels de la santé.
Parmi les conseils possibles : ne pas vivre seul, les colocations à l’étranger sont l’occasion de rencontrer des personnes qui sont souvent dans la même situation que vous, soit en échange universitaire et disponibles pour visiter le pays ou la région du monde où vous serez. Participez ou non aux activités proposées par votre université, que ce soit des soirées ou voyages : le premier pas peut être le plus dur. Bien sûr chaque expérience est différente, et certains peuvent trouver du réconfort en s’offrant du temps pour eux : un bon livre ou un chocolat chaud peuvent très bien être des alliés de taille.
Si l’on devait résumer, il s’agirait donc de trouver ce qui nous relaxe au mieux, que ce soit seul ou accompagné, et de faire tomber les barrières que représentent la pression de cette “année parfaite”. N’hésitez pas à demander de l’aide à Sciences Po Lille, certains professeurs ou personnels administratifs sont à l’écoute et peuvent être d’un grand réconfort ainsi qu’une aide précieuse dans les moments difficiles. Si vraiment la situation est insoutenable et que vous n’avez qu’une envie : rentrez, ils seront là pour vous aider.
Il faut du courage pour vivre une année comme celle-ci, mais le plus grand des courages est d’oser en parler quand la situation n’est pas optimale afin de trouver les solutions.
Iloé Fétré & Juliette Soulignac