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Sciences Po Lille dévoile ses représentants pour le prix Mirabeau 2020

Hier soir, se tenaient en amphi B les sélections pour le prix Mirabeau. Ce sont douze candidates et candidats pré-sélectionnés en amont qui se sont affrontés pendant plus de deux heures avec l’objectif  de représenter Lille lors du célèbre concours d’éloquence inter-IEP. Et ce sont finalement Clémentine Schmitt, Martin Dumont (tout deux discoureurs) et Matthieu Slisse (débatteur) qui l’ont emporté et qui défendront donc les 22 et 23 janvier prochains à Saint-Germain-en-Laye le titre remporté l’année passée à Toulouse. La Manufacture vous propose en exclusivité de lire les discours des deux sélectionnés en catégorie discours pour faire leur connaissance par le verbe. 

C’est sur le sujet du second tour « Peut-on aimer à n’en savoir que dire ? » que Clémentine Schmitt, et Martin Dumont – défendant tout deux la positive- sont parvenus à se démarquer et à séduire le jury du soir composé de Pierre Mathiot, Cécile Chalmin, David Delfolie ainsi que de Martine Filleul (sénatrice PS).

Discours de Clémentine Schmitt

« Un regard, un geste, mais pas un mot. L’amour est chose due et non pas à acquérir. L’amour ne s’avoue pas, il se vit, il se ressent, il se partage mais il ne se parle pas. Une seule personne ici présente serait capable de me regarder et de me dire qu’il sait parler l’amour, je n’y croirais mot.

Il faudrait déjà, pour la plupart d’entre nous savoir ce qu’est l’amour.Cela reste cependant un autre sujet. (Pour ma part, je vais vous parler d’une chose dont je ne connais l’existence mais il me semble cependant que l’amour est sujet universel.)

Il semblerait que dans chaque domaine existant, il est toujours plus simple de parler clairement et explicitement pour se faire comprendre. Mais l’amour n’en fait pas partie.

L’amour ne se parle pas. Je pense que rien ne peut-être aussi évident. Qui n’est pas capable de prononcer ces trois petits mots qui paraissent si fort et qui sont pourtant de simples mots que nous sommes tous physiquement capable de prononcer.

Jean Ferrat, l’a dit quand l’amour est vrai de simples mot ne suffisent pas. Ces trois petits mots ne suffisent pas à faire comprendre le vrai amour.

Nous vivons dans une société où il apparaît comme impossible d’avouer son amour, et quand nous le faisons, souvent il n’est pas vrai, superficiel, invraisemblablement faux. Parce que le vrai c’est celui qu’on avoue pas mais que nous faisons comprendre.

Ce qui est évident c’est que lorsqu’on aime aucun mot ne peut sortir, aucune phrase ne peux valoir ce que l’on ressent vraiment.

Si aujourd’hui je me tiens devant pour parler de ce sujet qui semblerait stupide, c’est que ce sujet nous concerne tous, aussi nombreux que nous sommes aujourd’hui. C’est que nous nous cachons tous derrière ces images de personne non-aimante, on ne cherche plus à aimer, nous avons peur de cette perte de contrôle sur nous-même. Nous avons peur de ce saut dans le vide, de ce changement radical, de cette situation où ne nous sommes plus un mais deux. Quand un individu aime il ne sait plus quoi faire, quoi dire, comment se comporter, quand un individu aime la seule chose qu’il est encore capable de faire c’est aimer à n’en savoir que dire.

Connaissez-vous cette peur du non-dit. On pense que lorsque l’on exprime pas ce que l’on ressent cela est un acte de paresse, de faiblesse. Si l’on ne parle pas, que pensent les gens ? Que nous n’avons pas de conversation, pas de complicité. Et pourtant tout se construit dans le silence…Le silence permet à toutes ces choses de s’exprimer librement, quand bien même elles ne sont pas dites. Le silence est le meilleur allié de l’amour. Tout amour non silencieux n’est pas réellement amour. Aucun amour ayant peur du silence, peut se répliquer amour vrai. L’amour se construit sur le silence, et le silence permet de construire l’amour.

Alors, comme notre chère Jean l’a dit, on peut aimer à n’en savoir que dire, car il est impossible de parler l’amour, quand bien même nombreux auraient essayé, on ne réussit jamais correctement.

Domptez le silence pour exprimer l’amour que vous ressentez, ne cherchez plus dans ses longues déclarations avec peu de sens, ne cherchez plus à forcer votre destin amoureux, laissez le silence vous guider, vous amener vers la découverte de l’amour silencieux.

L’amour est un long chemin, où il faudra être patient, exigeant, et courageux. Restez silencieux, ne parlez plus, ne cherchez plus de sens à toutes vos paroles inutiles et futiles que vous vous obligez à prononcer à votre être convoité. Nombreux sont ceux qui ne retiendront jamais ce que je dis aujourd’hui et qui continuerons sûrement toute leur vie à chercher à assimiler amour et paroles. Pour vous qui, une fois que je me tairais, retiendront ce que je vous dis aujourd’hui, pour vous les plus courageux qui tenteront de vivre le vrai amour, celui qui terrifie, ne laissez jamais la parole vous submerger. Ne laissez jamais les mots prendre le dessus, vous risquerez de tout cacher. Ayez le courage de vous taire, et d’admirer ce silence. (*silence*)N’ayez plus peur du silence, écoutez le, admirez le mais surtout partagez le. Le silence est beau à deux.

Vous m’excusez si je vous ai profondément ennuyé avec mon serment car l’amour est souvent peu interessant. Mais il semble que l’amour est sujet peu convoité et quand bien même on ne parle pas l’amour, il semble important de parler de l’amour. J’espère au plus profond de mon cœur que même si je ne vous ai pas fait rire, nombreux d’entre vous retiendrons ce que je vous ai dit en ce jour, et nombreux d’entre vous réaliseront le rêve de beaucoup, aimer à n’en savoir que dire…»

Discours de Martin Dumont

« « Je suis plein du silence assourdissant d’aimer » disait Aragon

L’amour, Mais qu’est-ce l’amour ?

Rien que le mot, le mot « amour », rien que ce simple mot nous plonge dans les profondeurs insondables du frisson que l’on ressent toujours face à un mot que l’on connaît mais que l’on a jamais compris.
N’est-ce pas étrange d’ailleurs, un mot sur lequel on ne peut en poser d’autres ?
Ah monde cruel, avant de te rencontrer ma douce j’avais l’impression, oh vois-tu, d’être un véritable lyriciste, un véritable poète à la plume aiguisée, cynique, sombre et déprimé comme il se doit, maniant avec habileté prose, rimes et sonnets

Mais maintenant vois-tu, face à toi, le poète a disparu, son visage sombre et ténébreux aussi, laissant place à un ridicule sourire niais et ébahi. Le poète a bel et bien disparu et devant toi je suis analphabète.

Je vais vous faire une confidence, le soir, seul dans ma chambre, au coucher du soleil ou au clair de lune, je m’imagine avec les plus grands poètes de ce monde, lui écrivant des sonnets de sommets d’où l’on ne revient pas, attendant d’une ardente mélancolie le prochain moment où je pourrai lui dire, … je t’aime

Je m’imagine, le soir au clair de lune seul avec Prospère et je m’écrie : « Mais rimez Prospère ! Rimez donc ! J’en veux à chaque ligne, des rimes riches et pas des pauvres surtout »

Je m’imagine, à la lueur de la lanterne de Rimbaud et Verlaine, une plume à la main, seul, assis, un encrier à la main, une bouteille d’absinthe dans l’autre. Je vois alors Rimbaud qui s’approche de moi, s’accroupit et me dit : cher ami, où se trouve donc ce joli cœur qui fait battre le vôtre ?

Je lui dis alors : Ma promise est à Soissons, au nord, dans L’Aisne mais je ne sais quand pourrais-je la revoir. Rimbaud me lance dans la folie de son âge alors tout d’un coup : Mais qu’attendons-nous, lâchez votre plume nous partons dès maintenant ! Où allons-nous demanda alors Paul, ce à quoi Rimbaud lui répondit, Vers l’Aisne Paul, Vers L’Aisne Paul allons y en chemin !

Et ce à quoi d’ailleurs Verlaine lui répondit : Rimbaud Arthur Rimbaud… Oui que voulez vous, Paul Verlaine était moins créatif lorsqu’il avait bu

Ah mais j’ai beau voyager avec tous les poètes de ce monde, écrire mille poèmes, mille discours, mille déclarations. Mais dès que j’aperçois de nouveau son sourire, aucun ne sort de ma bouche.

Voyez-vous, c’est comme si avant de la voir, je me disais : Oui je sais j’ai ici de quoi faire rougir Baudelaire ! Et qu’une fois arrivé devant elle je me disais : Mais non ça va pas on dirait du Vincent Delerm !

Pour toi, pourtant, je me perds dans l’univers amoureux et bavard de la poésie, j’écris des quatrains en décasyllabes, je coupe à l’hémistiche, des rimes riches et embrassées, j’y passe des heures, j’efface tout, je recommence et finalement ça sera des quintils en hendécasyllabes, ou bien non même des sixains en alexandrins, des sonnets, deux quatrains, deux tercets, des ballades et j’enjambe. 

Puis… je tombe. Devant toi, plus rien. Douze syllabes ne suffiront jamais

Décidément, face à toi, le plus beau des poèmes c’est le silence, le doux son de l’amour qui se tait parce que les mots ne sont plus assez forts. Douze syllabes ne suffiront jamais
L’amour, le vrai, l’unique, le pur amour, celui qui vous prend aux tripes !

L’amour ! Le vrai ! Celui qui vous fait dire… (soupir) non l’amour, le vrai c’est celui qui ne vous fait pas dire, celui qui vous fait dire finalement, (*ne dit rien*)

Cet amour qui vous fait dire, que finalement, seul le chatoyant silence de deux cœurs amoureux pourra assez rendre hommage à une âme si précieuse. Et si le silence n’était tout simplement pas la plus belle preuve d’amour ?

Si aucun mot ne pourra jamais dire l’amour, le silence lui le peut oui je le crois ! Le problème du mot, voyez-vous, c’est qu’il est réactionnaire, il est enfermé dans sa signification, dans une coquille de sens là dans son petit confort de petit mot égoïste alors que le silence lui est simplement libre, il n’a aucune limite

On ne peut le toucher, ni l’attraper, ni le saisir. L’amour est insaisissable est pourtant on le saisit sans rien. Ni dieu, ni maître, oui, l’amour est anarchiste et face à toi mon amour je n’ai rien à te dire, même pas je t’aime,

Alors oui je sais que tu aimes mes petits mots doux lorsque par exemple je te dis : « tu es la cerise sur le gâteau de mon cœur, tu es la clé de sol sur la partition de mon amour, tu es le paratonnerre sur lequel est tombé mon coup de foudre ! »

Mais la véritable preuve d’amour, c’est le bête balbutiement qui se transforme bien vite en quelques mots inutiles et ridicules pour combler le gêne puis bientôt en silence … et là ! On sait qu’on aime…

La véritable preuve d’amour c’est d’arriver devant toi, mille poèmes dans les poches de mon pantalon, et puis finalement de n’arriver à en prononcer aucun, complètement muet, complètement incapable d’en réciter un seul, complètement bloqué dans ce corps incapable de venir couper cet ineffable silence, complètement paralysé. 

Face à toi je suis un peu, oui, le Vincent Lambert de l’amour

Il va falloir conclure. Mesdames, Messieurs le jury. Face à la faiblesse critique des mots et du sens, je préfère opter, en amour, pour la sémantique du silence. Je n’ai donc plus qu’un mot à vous dire … (*silence*)

Cher public, cher jury,…je crois que je vous aime »


crédits photo : Anzil Tajammal