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Aujourd’hui Camus est mort

J’ai reçu une notification aujourd’hui, ou hier je ne sais plus… Elle disait « Voilà 60 ans que Camus est mort ». Quelle fin tragique pour cet amoureux des tragédies par un accident de voiture aux alentours de Villeblevin le 4 janvier 1960 avec son ami et pilote Gallimard. Le prix Nobel aura signé humblement mais d’un style indélébile le livre d’or de la littérature française. L’histoire dit que son roman autobiographique inachevé, Le Premier Homme, fut retrouvé dans la poche de son imperméable après l’accident. Et si nous nous laissions imaginer que ce livre était en réalité accompagné d’un deuxième carnet comme Camus avait l’habitude d’en porter sur lui ? Un carnet composé de citations de son œuvre y mêlant son rapport à la vie. Et si nous ouvrions ce carnet et le lisions ensemble ?

Note 1 : « Je fus placé à mi-distance de la misère et du soleil. »

Cette phrase que l’on retrouve dans son premier ouvrage L’envers et l’endroit résume en elle-même l’éthique de son auteur. Né privé de père à Mondovi, élevé dans la misère de la banlieue d’Alger par une mère ne sachant lire mais porté par son professeur, Louis Germain, Camus parvint à rentrer au lycée Bugeaud d’Alger en 1924. L’auteur n’oublia jamais cette enfance et parfois même on pourrait penser que son œuvre entière est dédiée à la sensibilité que sa mère ne put avoir. Dans Noces, il écrit « A certaines heures la campagne est noire de soleil ». C’est spécifiquement ce soleil noir qui fait la spécificité de l’auteur. En effet sa plume semble être guidée par deux volontés, la défense des opprimés et la représentation de la beauté du monde. Le mépris pour l’injustice et la sensibilisation du réel. Un envers et un endroit.

Note 2 : « L’intelligence dans les chaînes perd en lucidité ce qu’elle gagne en fureur. »

Si Camus décrit à travers cette image le marquis de Sade enfermé dans son donjon, elle représente également l’essence de la révolte selon l’auteur de l’Homme révolté. Aujourd’hui et de tous temps, comme dirait l’autre, les Hommes ont considéré la révolte comme un acte violent visant à s’émanciper d’une contrainte. Camus lui l’explicite comme une lutte intérieure visant à s’absoudre de sa qualité d’homme absurde. L’absurde Camus le définit lui-même comme « une révolte de la chair », « une confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde qui l’entoure ». Ainsi la révolte est plus une volonté propre à l’homme de changer sa conception de la vie plutôt qu’une ambition révolutionnaire. Cette partie de son œuvre constituera d’ailleurs une des causes de sa rupture avec Sartre et le milieu intellectuelle parisien qui y voyaient une critique du modèle soviétique. Le cycle de la révolte, L’Homme révolté, Les Justes, L’État de siège, La Peste, fait directement écho au cycle de l’absurde composé de L’Étranger, Le Mythe de Sisyphe, Caligula, Le Malentendu. Ces deux cycles auront propulsé Camus au sommet de la montagne.

Note 3 : « Bien entendu, le véritable amour est exceptionnel, deux ou trois fois par siècles à peu près. Le reste du temps, il y a la vanité et l’ennui. »

Savez-vous que le mot Amour prend son pluriel au féminin ? Camus lui sûrement… Marié une seconde fois à Francine Camus avec qui il aura eu deux jumeaux, Catherine et Jean, (toujours en vie) et deux chats, Cali et Gula, c’est pourtant avec l’actrice Maria Casarès qu’il vivra son véritable amour. En témoigne sa correspondance flamboyante et fournie qui est récemment paru aux éditions Gallimard bien sûr. Cependant il ne faut pas remettre en cause l’attention qu’il portait à sa femme Francine. En témoigne cette note tirée de son meilleur livre selon Sartre, La Chute. Ce récit racontant le suicide d’une femme et nourri de réflexions incroyablement lucides sur le réel fut dédiée à sa femme. Ce fut la dépression de sa femme qui inspira l’histoire à Camus. Elle eut dit pour cela « ce livre tu me le dois ».

Note 4 : « Chaque génération sans doute se croit vouée à refaire le monde. »

Comment parler de l’héritage de Camus en omettant son célébrissime Discours de Suède prononcé pour son prix Nobel de Littérature le 10 décembre 1957. Par ce discours Camus chercha à expliquer sa conception du rôle de l’écrivain par des formules stylisées tout en établissant un constat net sur le ressenti populaire de la situation d’après-guerre. Ainsi si sa génération sait « qu’elle ne refera pas le monde » comme il le dit pourtant « sa tâche plus grande consiste à éviter qu’il ne se défasse ». Aujourd’hui encore les paroles de Camus paraissent pleines de sens pour des générations confrontées aux problèmes écologiques et à la montée des extrêmes. Ironie du sort ou clin d’œil de l’Histoire, il n’en reste pas moins que l’œuvre de Camus est toujours plus lue même 60 ans après sa mort.

 

Gabriel Caillat