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Manucipales (3/5) : A Roubaix, “on veut retrouver la fierté d’être roubaisien”

J-4 avant le premier tour des municipales, la Manufacture continue son tour d’horizon des villes de la MEL pour sonder le terrain en vue des élections du 15 et 22 mars prochain. Troisième épisode aujourd’hui dans la cité roubaisienne, une des villes les plus pauvres de France qui possède néanmoins des marqueurs de diversité prononcés et un véritable potentiel de dynamisation. Tenue par la droite, les gauches espèrent bien y reprendre le pouvoir… mais à la veille du scrutin, les forces socialistes apparaissent plus divisées que jamais. 

Je dirai qu’un maire idéal à Roubaix, c’est un maire qui porte des idées de gauche“. 17h30 ce mardi 10 mars, Boulevard du Général Leclerc à Roubaix. L’équipe de campagne de Christiane Fonfroide réalise, dans le froid, une ultime opération tractage avant le premier tour des municipales du 15 mars. La tête de liste du projet “Unis pour Roubaix“, coalition des gauches (Génération.s, PCF, PS entre autre) sait que le projet de reconquête de la ville, tenue par la droite depuis 2014, ne sera pas chose aisée.

En 2014, Guillaume Delbar (DVD) avait été élu en profitant des divisions des gauches, incapables de s’accorder sur une vision commune pour l’avenir de la cité du textile. Le maire sortant a décidé de rempiler pour un second mandat, mais sa tâche – en cas de réélection – s’annonce ardue pour une ville qui connaît un fort taux de chômage, où 43% de la population vit sous le seuil de pauvreté et 75% dans des quartiers dits prioritaires.

Après six années de mandature, Christiane Fonfroide pointe du doigt l’immobilisme de la situation et se remémore le traumatisme de la défaite des gauches en 2014, ”on a eu le sentiment de laisser partir la ville à cause des distensions et de nos difficultés à nous entendre. Roubaix n’est pas une ville de droite évidemment”.

“La Redoute, Auchan… ils sont tous partis”

Véritable place forte de l’industrie du textile à partir du XVIIe siècle, au point d’être renommé “le Manchester français“, Roubaix connaît une lente et douloureuse période de désindustrialisation à partir des années 1970. La concurrence des ateliers d’État du Tiers Monde provoque la vente du matériel dans ces pays et une baisse drastique de l’emploi. “Roubaix c’est l’origine des grandes fortunes aussi bien la Redoute que Auchan. Mais maintenant qu’ils ont fait leur fortune ici, ils sont tous partis” abonde Véronique Parain, 59 ans, informaticienne retraitée.

Et les conséquences de cette désindustrialisation sont encore bien visibles, en témoigne le nombre conséquent d’anciennes friches industrielles totalement laissées à l’abandon. “A Roubaix il y a plein de friches inoccupées, il faut en faire quelque chose” assure Christiane Fonfroide en pointant du doigt un garage Midas désaffecté et le bâtiment de la Banque de France, à l’agonie depuis maintenant 3 ans. Tous ne comprennent pas que la maire n’ait pas pris de mesures pour réinvestir ces bâtisses, aujourd’hui encore conservées en bon état. Tous pointent du doigt le décalage entre les préoccupations des roubaisiens et roubaisiennes avec la gestion presque absurde de la municipalité.

A cela s’ajoute une “tradition de clientélisme” fustige Véronique Parain, qui pointe du doigt les nominations de proches du maire à des postes convoités au sein de la ville.

“Il y a des possibilités, on est une ville jeune mais on en tire rien. Des gens créent des choses mais, globalement, un jeune qui réussit à Roubaix, il pense partir vivre ailleurs”

Au taux record de délinquance, s’ajoute le déclassement d’une population dont plus de la moitié n’est pas inscrite sur les listes électorales. Pour rappel en 2014, le maire a été élu avec près de 3000 voix pour une ville qui compte 96000 habitants. Ce ne sont pourtant pas les opportunités de développement qui manquent à Roubaix, mais le fait est que la ville “n’est pas attractive par rapport à l’image que l’on s’en fait” estime Véronique Parain. La municipalité éprouve les plus grandes difficultés à retenir les jeunes en âge de travailler et les habitants aux emplois qualifiés. Alors la solution passe par la formation et l’accompagnement “pour faire en sorte qu’il y ait du travail non délocalisable dans la ville“.

Et Véronique Parain veut bien croire que LA solution passera par la jeunesse, qui est à ses yeux le meilleur levier pour mettre en valeur les atouts et le potentiel de Roubaix. C’est en effet la ville la plus jeune de la MEL. “Il y a des gens qui font de la musique, du street art. Il y a des gens à mettre en valeur” assure-t-elle. Mais le principal défaut reste celui des moyens d’accompagnement : beaucoup d’élèves ne trouvent ni stages ni alternances, et à cela, vient s’ajouter de la discrimination à l’emploi : “Les gamins qui sont dans un quartier très populaire et qui ont un nom, non francophone d’origine, ont des difficultés de tous ordres“. Et d’ajouter “C’est tellement plus simple de gagner de l’argent en vendant et en faisant du trafic qu’il y en a qui le font“. C’est pourtant bien par l’éducation que l’on construit un parcours de vie social et professionnel clame l’informaticienne retraitée de 59 ans, qui déplore l’absence de bibliothèque universitaire qui pourrait permettre de mettre en valeur le potentiel humain inexploité de la ville.

“On peut réussir même en étant de Roubaix”

Solidarité, fraternité et justice sociale“. Voilà les trois maîtres-mots que Christiane Fonfroide aimerait remettre au goût du jour à Roubaix en permettant à la ville et ses habitants de retrouver un minimum d’espoir et un droit élémentaire, celui de “vivre dans des quartiers dignes“.

Le pari de la tête de liste de “Unis pour Roubaix” est de renouer avec le lien social de la ville en tablant sur une remise à niveau de la mixité sociale. Et cela passe dans un premier temps par une rénovation de l’espace urbain entre le centre et les quartiers. “Piétonniser est le meilleur moyen de favoriser la mixité sociale” assure la potentielle future maire. Le retour de la voiture en centre-ville proposé par le maire actuel, n’est pas de son goût.

“Il faut permettre à cette ville d’être accueillante et agréable avec des bancs pour y discuter, rencontrer des gens. Le lien social dans cette ville est puissant et il faut pouvoir le remettre à l’ordre du jour”

Renouer avec le lien social suppose aussi de redynamiser le centre ville de Roubaix. La majeure partie des roubaisiens et roubaisiennes prennent le tram jusqu’à Lille pour aller faire leurs achats, et ne prennent plus de plaisir à venir acheter à Roubaix. Pour renouer à ce problème, “il faut permettre aux classes plus défavorisées d’être dans des endroits de vie agréable dans le centre et aux personnes plus aisées de continuer à venir à Roubaix pour y effectuer leurs achats. Ça s’appelle la mixité sociale“.

Du côté de l’environnement, la ville de Roubaix cumule les difficultés. Plus polluée que Lille, Roubaix compte une population dont une grande partie possède de vieilles voitures roulant au diesel et polluant davantage, “c’est une catastrophe” s’alarme Christiane Fonfroide. Face à l’abandon de certaines friches industrielles, l’idée est aussi de faire – par exemple – de la Banque de France (évoquée plus haut) un espace d’incubateur de start-up destiné à la sensibilisation à la cause écologique. “Elles vont initier des projets en développer et proposer“.

La façade de la Banque de France à Roubaix. Abandonnée depuis 3 ans, Christiane Fonfroide veut en faire un incubateur de start-up promouvant l’écologie

Et alors qu’elle sera sa première grande mesure en tant que future maire ? Christiane Fonfroide avoue qu’elle a “plein de projets dans pleins de directions“. Mais il y a bien un projet qu’elle aime particulièrement mettre en avant c’est celui de la démocratie participative. Pour ce faire, elle souhaite remettre des moyens humains et financiers dans les mairies de quartiers. “Tant que les gens ne se sont pas réappropriés leur citoyenneté, avec une parole audible et entendue, on y a arrivera pas“.

C’est donc cela Roubaix, “un potentiel non exploité“, “un manque d’accompagnement et de volonté politique“. L’on voudrait croire les bonnes paroles de la liste “Unis pour Roubaix” si et seulement si les forces de gauches arrivaient à ce scrutin en ordre de bataille. Et ce n’est pas le cas. Car en plus de cette union des gauches, il faut compter 3 listes qui ont décidé de faire cavalier seul : Europe Écologie les Verts de Christian Carlier, La France Insoumise de Paul Zilma et le Nouveau Parti Anticapitaliste de Marc Dubrul. Et derrière cet éclatement des forces socialistes se profile la crainte d’un remake de 2014 pour un scrutin qui comporte de nombreuses inconnues.

Baptiste COULON


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