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Pape Diouf s’en est allé : le monde du football en deuil

Malgré un père qui le destinait à une carrière de militaire, c’est dans le foot que Pape Diouf a décidé de construire sa vie. Journaliste, Agent de joueur, Président de l’Olympique de Marseille de 2005 à 2009, il contribue à bâtir l’équipe championne de France en 2010 et à réunir les supporters dans « l’union sacrée » autour du club. Figure du football français, les hommages pleuvent pour saluer l’homme, qui s’est éteint le 31 mars 2020, victime de la pandémie de Covid-19.

Des salaires avec plusieurs zéros, des scandales financiers, des inégalités entre joueuses et joueurs… C’est parfois résumé à ça le foot. Et c’est un peu ça le foot. Mais le foot, c’est aussi une petite fille de même pas dix ans (moi) qui veut rester devant la télé le dimanche soir avec son papa pour ne pas le laisser tout seul, et qui finit par devenir une supportrice acharnée de l’Olympique de Marseille. Le foot, c’est surtout une langue universelle, qui se partage entre continents et qui fait dialoguer des supporters et supportrices, des journalistes, des joueurs et des joueuses, des agents, des présidents et présidentes de clubs. Et pour incarner tout ça, il y a des hommes et des femmes qui marquent ce sport de leur empreinte, en jouant l’un ou plusieurs de ces rôles et en faisant qu’après eux, ce ne sera plus tout à fait pareil. L’un de ces hommes, c’était Pape Diouf.

Le journalisme comme porte d’entrée

Né au Tchad le 18 décembre 1951, Pape Diouf fait sa scolarité entre la Mauritanie et le Sénégal, avant d’être envoyé en France par son père, qui le voit militaire. Passé par l’IEP d’Aix-en-Provence, il ne finit pas ses études, et, passionné par le football, sera embauché comme pigiste au journal La Marseillaise, plutôt communiste, où il couvrira l’actualité de l’OM pendant douze ans. Le dépôt de bilan du quotidien sportif Le Sport, qu’il a rejoint ensuite, signe la fin de son aventure dans le journalisme. L’organisation du jubilé de Sarr Boubacar au Sénégal en 1986, attaquant star des années 70-80 à l’OM, le fait entrer dans le monde des joueurs, dans lequel il évoluera ensuite en tant qu’agent.

L’agent des grands hommes de l’OM

Un bout de l’histoire de l’OM peut s’écrire avec les joueurs dont il a été l’agent.

26 mai 1993, Munich, deux défenseurs pour broder la première étoile sur le maillot olympien contre le Milan AC. Marcel Desailly d’abord, au marquage de Marco van Basten pour la dernière apparition professionnelle de l’attaquant-vedette, un des meilleurs joueurs du monde, ayant remporté trois fois le Ballon d’or. Basile Boli ensuite, blessé au cours de la première mi-temps mais que Bernard Tapie refusera de faire sortir, et dont le but de la tête à la 43ème minute donne un titre européen à un club français pour la première fois de l’histoire. A jamais les premiers donc.
Le passage au XXIème siècle, de vice-champion de France en 1999 à la lutte acharnée pour le maintien en première division en 2000, obtenu à la faveur de la différence de buts, avec notamment William Gallas sur le terrain.
Puis Didier Drogba, « plus beau but de l’année » lors de la saison 2003-2004. Puis Habib Beye, dans l’équipe-type de la Ligue 1 en 2005. Puis Samir Nasri, le « petit prince du Vélodrome », meilleur espoir du championnat en 2007. Derrière tous ces joueurs, il y a Pape Diouf, qui, dans l’ombre, façonne les belles heures du club phocéen, et lâche tout quand ce club l’appelle pour faire partie de ses dirigeants.

Le président d’un OM vers le sommet

Manager général, puis président du directoire et enfin président de l’Olympique de Marseille sous l’influence de l’actionnaire majoritaire Robert Louis-Dreyfus, Pape Diouf devient à partir de 2005 un homme fort du football français. Il impose son caractère et sa vision du football, notamment par des épisodes qui resteront gravés dans la mémoire des supporters. Le plus célèbre d’entre eux : le « match des minots », face au PSG. Début mars 2006, le Clasico se profile dans une ambiance des plus tendues. Pape Diouf dénonce les quotas de places accordées aux supporters marseillais dans le parcage visiteurs du Parc des Princes ainsi que les mesures de sécurité prévues, et est en conflit ouvert avec la Ligue professionnelle de Football (LFP).

Trois jours avant la rencontre, il annonce qu’il n’enverra pas les titulaires habituels, mais des remplaçants et des membres de la réserve qui évoluent en cinquième division. Dans le contexte d’un Clasico, il se met ainsi à dos une partie des supporters de foot français, le diffuseur du match Canal + et la LFP. Les « minots » signeront un héroïque 0-0 devant 44 000 spectateurs, s’attribuant même quelques applaudissements parisiens. Par cette décision, il unira autour de lui l’ensemble des supporters marseillais, à propos desquels il déclarera en 2017 à So Foot : « Ils ont vu, pour parler trivialement, que je ne les ai jamais pris pour des cons ». Pour les supporters, l’OM de Pape Diouf c’est celui qui résiste aux institutions et qui croit en sa grandeur, en remportant un bras de fer avec l’autre Olympique de Jean-Michel Aulas pour Ribéry, en rejouant la Ligue des Champions.

 

Menant l’OM dans le Top 5 du championnat pendant tout son mandat, il est remercié en 2009 à la suite de luttes internes au sein de la direction du club. Participant malgré tout au recrutement à l’intersaison, il est considéré comme l’un des bâtisseurs de l’équipe marseillaise championne de France en 2010 sous Didier Deschamps, qui remporte également la coupe de la Ligue contre les Girondins de Bordeaux, club rival qui lui avait ravi le titre en 2009. Alors seul Président noir d’un club en Europe, il restera aussi le symbole de ce « constat pénible » (ce sont ses mots) qui l’a suivi à chaque étape de sa carrière dans le monde du monde du football.

Fait Chevalier de la Légion d’honneur en 2012 par François Hollande, Pape Diouf s’est imposé comme une figure respectée et populaire du football français. Malgré la fin mitigée de son aventure à l’OM, il habitera longtemps à Marseille, ville qu’il aura peu quittée en quarante ans, et se présentera même aux élections municipales en 2014, où il obtint plus de 5%. Mis en examen dans une l’affaire des transferts douteux de l’OM, avant d’être reconnu témoin assisté par la Cour d’Appel d’Aix en Provence en 2018, il rejoint une partie de sa famille au Sénégal. Hospitalisé à Dakar, il est décédé le 31 mars 2020 sur le sol sénégalais avant de pouvoir être rapatrié à Nice où l’attendait sa famille, ajoutant son nom à la (longue) liste des victimes du Covid-19.

Les hommages qu’il reçoit renvoient à l’ensemble de sa carrière, et saluent tant le journaliste que l’agent, le président de club que l’homme. Christian Catalso, le leader des Dodgers, un des principaux groupes de supporters de l’OM, résume son sentiment ainsi : « On a perdu quelqu’un de notre famille. ». « C’était un sage. Quand tu parlais avec lui, tu avais l’impression de ressortir plus intelligent. C’était un monument à Marseille. Les gens vont se lever avec la gueule de bois. » dit quant à lui Eric di Meco, joueur de l’OM entre 1988 et 1994.

Oui, on va se lever avec la gueule de bois, un peu comme au lendemain de la mort de Michel Hidalgo le 22 mars, inhumé dans un survêtement de l’OM, un peu comme tous les matins en ce moment. Et dans ces moments-là, même si tout n’y est pas non plus très heureux, ça fait du bien de reparler de choses aussi simples que le football.

 

Chloé Michel