Alors que Saïd Makhlouf déclare servir “d’escabeau pour la dernière étagère » dans ce procès ; la Cour se demande, en ce vendredi 9 octobre, quelle est son implication dans les attentats de Janvier 2015.
Image mise en avant : Saïd Makhlouf, debout et appuyé sur la barre du box des accusés, le 9 octobre 2020 au procès des attentats de janvier 2015. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO).
Saïd Makhlouf : l’accusé du jour
Les journalistes sont plus nombreux que la fois précédente. Sans doute parce que l’audition d’un accusé attire plus qu’une expertise scientifique ou que le compte-rendu d’une enquête judiciaire. Nous pensons voir, à l’écran, Maryse Wolinski, Sigolène Vinson et Simon Fieschi qui doit s’appuyer sur une béquille depuis l’attentat.
La Cours entendra S. Makhlouf, soupçonné d’« association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste », d’avoir « participé intentionnellement à la préparation d’assassinats et de séquestrations » et d’avoir fourni « un soutien logistique » à A. Coulibaly. Il risque jusqu’à vingt ans d’emprisonnement.
À travers le box en verre, on aperçoit S. Makhlouf, les mains libres, entouré des autres accusés et de quelques policiers cagoulés. Il est massif, vêtu d’un polo gris, d’un jogging de la même couleur, de grandes lunettes noires et semble porter une alliance. Ses cheveux sont réunis dans un chignon, plaqués par une grosse couche de laque. Son ton est clair, il ne tremble pas mais transpire à grosses gouttes.
Le matin : le temps de l’accusé
L’audition commence, S. Makhlouf se lève et le Président de la Cour prend la parole. A la première question « Comment expliquez-vous ces accusations ? », l’accusé affirme qu’il « ne les comprend pas » car il n’a « jamais eu de lien avec A. Coulibaly », avant de revenir sur ses mots et d’affirmer qu’il l’a vu « une demi-fois à tout casser ». Il est le cousin éloigné d’Amar Ramdani, entendu la veille, lui aussi accusé d’avoir été l’un des complices d’A. Coulibaly. Au cours de l’audience, on comprend qu’ils étaient très proches, liés par une relation bien plus forte qu’une simple amitié. Ils ont tout fait ensemble : de la “vente de stup” aux petites escroqueries, « simples, rapides et efficaces ».
La Cour lui demande d’abord quelles sont les raisons de ses allers-retours dans le Nord de la France, non loin de la Belgique et des suspects. Il assure qu’il y allait pour ses escroqueries et pour voir des prostituées afin de « profiter du retour tranquille ». S’en suit une autre interrogation : pourquoi avait-il autant d’argent et que faisait-il avec ? Il prétend être un grand dépensier qui « flambe », notamment au cours de ses nombreux et luxueux voyages ; affirmant qu’il n’est pas « le mec à aller en vacances avec une tente Quechua et 1000€ ».
On apprend que S. Makhlouf et A. Coulibaly se sont rencontrés une fois, « deux trois semaines avant l’attentat » au restaurant chinois mais ne se sont pas adressé la parole. A. Ramdani et son cousin éloigné étaient en train de dîner lorsque A. Coulibaly est arrivé. Ils se seraient alors levés et auraient simplement marché vers la sortie, se saluant puis se quittant. La version de S. Makhlouf, lors premières auditions, n’était pas celle-là. Il affirmait alors avoir dépanné A. Coulibaly et avoir dû monter à l’avant de sa « clio blanche » pendant qu’il poussait la voiture. Il précisait même avoir enclenché la mauvaise vitesse.
A la question que se pose la Cour depuis une semaine « pourquoi a-t-on retrouvé de l’ADN de S. Makhlouf sur la lanière d’un taser retrouvé dans une allée de l’Hyper Cacher ? », la réponse est celle-ci : A. Ramdani se serait rendu avec A. Coulibaly chez S. Makhlouf, le 6 janvier, sans que ce dernier soit au courant. A. Coulibaly se serait étendu sur le canapé-lit et aurait ainsi été en contact avec l’ADN de S. Makhlouf qu’il aurait transposé sur la lanière du taser en question. On a du mal à y croire mais c’est pourtant ce qu’affirme l’accusé qui ne « dor[t] qu’en caleçon » et est décrit par son cousin éloigné comme « un gros bonhomme » : « il transpire, il bave quand il dort ».
Qui est S. Makhlouf ?
Il était ambulancier et se dit “vacciné” contre la radicalisation. Cependant, on le soupçonne d’avoir participé à l’élaboration des attentats : il habitait à quelques mètres de chez A. Coulibaly à Gentilly, l’a rencontré, se rendait dans le Nord de la France, possédait beaucoup d’argent et utilisait plusieurs dizaines de lignes téléphoniques. Pour sa défense, l’accusé déclare que lorsque A. Ramdani lui apprend que celui qu’il a vu au restaurant chinois n’est autre que l’auteur des attentats du 9 janvier 2015, il était « choqué, sur le cul ». Et qu’égoïstement, « ils ont pété [leur] puce » de téléphone afin de ne pas être reliés à A. Coulibaly.
Lorsqu’il ne se souvient plus d’un visage, d’une date ou d’un événement (ce qui arrive souvent), S. Makhlouf déclare que c’est parce que sa « mémoire c’est pas trop ça ». L’assesseur rappelle d’ailleurs, en lisant un de ses procès-verbaux, qu’il avait déclaré avoir « une mémoire de merde ». Ce qui expliquerait pourquoi, lors de ses auditions et interrogatoires passés, il a menti à de maintes reprises et est revenu plusieurs fois sur ses déclarations.
Il s’exprime bien, de façon posée et ses expressions, parfois décalées, provoquent de légers rires dans la salle. Mais le Président de la Cour et les assesseurs, eux, ne rient jamais. Ils ont ce ton neutre qui leur permet de prendre de la distance avec tout ce qu’ils entendent, même quand cela prête aux rires ou aux larmes. L’ambiance de cette séance est singulière. Au cours du procès, l’assesseur reprend Ramdani qui, camouflé derrière son masque dans le box des accusés, ne cesse de rire : « Je ne sais pas ce que vous avez aujourd’hui » , « c’est l’arrivée du week-end qui vous met dans cet état ? » « Pourtant ça ne doit pas vous changer grand-chose… ». Le Président de la Cour et les assesseurs en ont fini avec leurs questions pour la matinée.
L’après-midi : le temps des témoins
La séance reprend à 14 heures. Le Président de la Cour prend la parole et annonce qu’une personne ayant été convoquée pour témoigner à la barre ne donne aucune nouvelle et ne s’est pas présentée. Il rappelle qu’une convocation à un procès est obligatoire. Un mandat d’arrêt sera ainsi émis contre ce témoin. Cet événement illustre l’importance des témoins lors d’un procès, lesquels représentent une pièce indispensable de ce puzzle complexe. Nous avons pu le ressentir tout au long de l’après-midi. Six personnes se sont succédées face à la Cour. Chaque propos de S. Makhlouf a pu être confronté à leurs témoignages. Leur venue a été exigée par la défense de l’accusé.
La parole des témoins : infirmer ou confirmer les paroles de l’accusé
Le premier témoin est un ami de longue date de S. Makhlouf. Il le décrit comme un homme “impressionnant et intimidant” mais qui en réalité est très “avenant, chaleureux, respectueux” et “généreux”. Le Président lui pose quelques questions, en particulier sur leur relation en 2014. Il explique qu’ils ont fait plusieurs activités et quelques voyages ensemble, ce qui confirme les propos de S. Makhlouf. Il le contredit toutefois en affirmant que ce n’était pas du tout un “flambeur”.
Un second ami de S. Makhlouf lui succède. Ils ont grandi ensemble. Après avoir donné quelques détails sur leur relation, il finit par révéler une information importante qui décrédibilise l’accusé : il explique que celui-ci ne dort jamais sur son canapé, mais toujours dans son lit. Cela semble remettre en cause les arguments que S. Makhlouf utilise pour justifier le fait qu’on a retrouvé son ADN sur la lanière du taser.
Un nouvel ami d’enfance de l’accusé s’avance à la barre. S. Makhlouf lui aurait livré des vêtements au cours de l’année 2014 lorsqu’il était incarcéré dans le Nord de la France. Les explications de l’accusé sont une nouvelle fois mises à mal. Ce troisième témoin assure qu’il aime les motos et les voyages mais que ce n’est pas un “flambeur”, qu’il est plutôt économe. Cependant, il confirme que S. Makhlouf a pu lui faire parvenir des vêtements en prison. Ils sont assez proches pour qu’il puisse lui rendre ce genre de services.
Le quatrième témoin n’apporte pas grand chose à l’enquête. Il n’a pas de souvenirs précis et ne peut répondre précisément à aucune question de la Cour. Une femme lui succède. Elle n’apporte pas de nouvelles et précieuses informations. Cependant, nous somme frappées par son émotion et étonnées de la voir à la barre. Cette assistante de gestion se distingue des accusés et des autres témoins : ce sont tous des hommes et pour beaucoup des délinquants. Elle semble mener une vie ordinaire.
Le dernier témoignage : le plus marquant
L’interrogatoire des témoins s’achève avec la venue d’un homme. Il est plus qu’un ami de S. Makhlouf. Il se présente comme le mentor de ce “petit du quartier [qu’il a] essayé de sortir de la merde”. La Cour lui pose des questions sur des évènements familiaux au cours desquels S. Makhlouf aurait pu rencontrer des accusés. Il confirme le voyage de l’accusé dans le Nord pour donner des vêtements à un ami en prison. Il était au courant qu’un “petit était incarcéré à Lille” alors il a mis en relation S. Makhlouf et Fares, un autre accusé vivant à côté de Lille. Puis il n’a plus eu de nouvelles de cette livraison.
Ce témoin a longtemps été considéré comme suspect par les enquêteurs en raison de ses nombreuses omissions mais a finalement été écarté de l’enquête. Il est plus fermé que les précédents. Il répond aux questions avec véhémence et se braque souvent. L’assesseur lui fait remarquer qu’il n’a pas décroisé les bras une seule fois et qu’il est constamment dans une position défensive.
Une des avocates de Fares se montre compréhensive avec ce témoin. Sa prise de parole, qui contraste avec celles des autres avocats, nous a surprises et interloquées. Elle l’invite d’abord à se calmer et à respirer avant d’entamer un plaidoyer ; elle dénonce la perquisition au domicile du témoin, devant ses deux enfants en bas âge, très tôt le matin et sa garde à vue de plus de 60 heures. Elle s’excuse au nom de la Justice française. Selon elle, la présomption d’innocence a été bafouée puisque cet homme ne peut pas être suspecté seulement parce qu’il connaît deux suspects. Le témoin est touché, ne cesse de la remercier et dit : “Vous êtes la première qui dit ça, qui me comprend”. Il semble se détendre. Elle peut alors lui poser quelques questions sur la relation entre son client, Fares, et S. Makhlouf.
Ce dernier témoignage a duré près d’une heure et demi. Les questions se sont multipliées, sur des points de détail dont nous ne mesurions pas toujours les enjeux. Nous avons eu le sentiment que ce dernier témoin était plus important que les autres ; et parfois même qu’il était considéré comme un accusé.
Enora Quellec et Madeleine Kullmann