Mille quatre cent cinquante-six jours après le séisme provoqué par l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche, les Américains sont de nouveau appelés aujourd’hui aux urnes pour confirmer, ou non, ce changement de cap politique majeur. Une élection atypique par l’effervescence qui l’accompagne, au cœur des mouvements de protestation antiracistes et d’une pandémie du Covid ayant décimé tant la population que l’influence américaine. La Manufacture vous livre un petit guide pratique pour tout comprendre, accompagné de faits souvent méconnus ainsi que ses pronostics.
Topo sur le mode de scrutin
Les élections pour la présidence des Etats-Unis sont indirectes, un collège de 538 « grands électeurs » élisant plusieurs semaines après le vote populaire de ce mardi 3 novembre le futur locataire du Bureau Ovale. Il faut ainsi au moins 270 votes d’électeurs pour remporter la Présidence. Chaque grand électeur – ou « delegate » – est rattaché à un État et vote en fonction de la décision populaire. C’est la règle du « winner takes all », soit le gain pour le candidat arrivé en tête de tous les grands électeurs de l’État.
Ajoutées aux trois électeurs attribués à la ville de Washington D.C., deux exceptions à cette règles existent : les États du Nebraska et du Maine, fonctionnant avec la méthode des « congresionnal districts ». Ces États attribuent un grand électeur par district – 3 pour le Nebraska et 2 pour le Maine – ainsi que 2 électeurs pour le gagnant du vote populaire de l’État, ce qui permet le partage des électeurs de l’État entre plusieurs candidats, impossible ailleurs. Cette situation est arrivé par deux fois dans le passé, en 2008 avec le gain par B. Obama du 2ème district du Nebraska et en 2016 avec le gain par D. Trump du 2ème district du Maine.
Fait surprenant : derrière Trump et Biden, 1222 autres candidats sont aussi en lice ce soir. Parmi eux des représentants pour les Verts, d’autres pour le Parti Libertarien
Si le mode de scrutin tente de respecter une égalité entre les États, la réalité est à nuancer : un grand électeur du Wyoming représente ainsi 193 000 voix, soit 4 fois moins qu’un électeur de la Californie – plus de 700 000 voix. Cette disparité est expliquée par l’attribution d’un nombre de grands électeurs à chaque État égal à son nombre de « Congresspeople » – de parlementaires. Et si le nombre de siège à la Chambre des Représentants alloué à chaque État dépend de sa population – 53 pour la Californie et 1 pour le Wyoming – le nombre fixe de sénateurs, deux par État, ne respecte aucunement la proportionnalité de la population et mène à ces disparités d’équivalence de voix. La Californie, État possédant la plus grande population – près de 40 millions – obtient ainsi 55 « delegates » contre 3 pour le Wyoming, et ce malgré une population 70 fois supérieure.
Fait surprenant également des élections de ce mardi : ce ne sont pas deux candidats qui s’affronteront… mais 1224 inscrits, de tous bords, selon la Commission Fédérale des Élections. En dehors de D. Trump et J. Biden, deux autres candidats se détachent – sans pour autant prétendre à un résultat : Howie Hawkings pour les Verts, et Jo Jogensen pour le Parti Libertarien.
C’est aussi aujourd’hui l’élection d’une partie des gouverneurs et des schérifs, des 435 députés et d’un tiers des sénateurs.
Comme à chaque grande élection, le vote de ce mardi est traditionnellement multiple puisque chaque votant a l’occasion de choisir dans l’isoloir, en parallèle de son candidat à la présidence, un gouverneur ou un shérif. Sont également en jeu, comme d’habitude, 35 sièges de sénateurs (renouvellement d’un tiers) -majoritairement républicains-, tout comme l’ensemble des 435 sièges de députés à la Chambre. Pourtant, l’édition 2020 des élections présidentielles américaines connaît une particularité, due à la pandémie actuelle : l’explosion du vote anticipé, à distance. Mercredi dernier, à 6 jours des élections, 71.5 millions d’Américains avaient déjà voté – soit 51 % de la participation totale de 2016, et 142 % de la participation anticipée de 2016. Et si aucune élection depuis 1968 n’a connu un taux de participation supérieur à 60 %, cette tendance du vote anticipé pourrait permettre une augmentation marquée de la participation en 2020 et atteindre ces niveaux historiques.
Corollaire également de cette explosion du vote à distance, les résultats définitifs ne seront pas connus avant plusieurs jours, et les premières tendances devraient donner D. Trump en tête dans la plupart des États-clés. Culturellement, les électeurs républicains sont plus attachés au vote en présentiel, ce qui permettra le dépouillement de leurs votes dès cette nuit. Au contraire, les électeurs démocrates votent beaucoup plus par correspondance. Lors des premiers sondages visant les Américains ayant déjà voté par anticipation, plus de la moitié d’entre eux se déclaraient démocrates, contre un quart de républicains et un quart de non déclarés. Et pour ces votes à distance – par courrier – il faudra attendre leur acheminement par les services postaux américains avant de connaître les résultats… services dont le budget a été coupé il y a quelques semaines par le Président Trump.
Les pronostics de la rédac : “D. Trump annoncera sa victoire vers 6 heures du matin sur Twitter, rapidement démentie par l’équipe de campagne de Joe Biden.”
Cette nuit, lors des premiers résultats qui tomberont vers 2 heures du matin – 20 heures sur la côte Est, Donald Trump arrivera en tête comme annoncé plus haut. Les résultats partiels dans les États-clés de l’Est – Pennsylvanie, Floride, Michigan, Wisconsin – le donneront devant de 1 à 3 points durant les premières heures de la soirée électorale, à l’exception du New Hampshire qui tombera démocrate très tôt. Vers 4 heures, au dépouillement des États de la Côte Ouest, Joe Biden verra son nombre d’États gagnés rapidement augmenter, avec la Californie mais aussi de manière plus surprenante le Nevada et le deuxième district du Nebraska qui passeront bleus, contrairement à 2016. Il restera cependant derrière le candidat sortant.
Et avec ces premiers résultats favorables au camp républicain, D. Trump annoncera sa victoire vers 6 heures du matin sur Twitter, rapidement démentie par l’équipe de campagne de Joe Biden. Le Président sortant pourrait demander la validation des résultats anticipés à la Cour Suprême, désormais républicaine à 6 contre 3.
Il est possible que les résultats définitifs ne soient pas disponibles avant plusieurs semaines
Vendredi, lors des résultats quasi-définitifs – il est possible que les résultats définitifs ne soient pas disponibles avant plusieurs semaines, Joe Biden sera élu 46ème Président des Etats-Unis d’Amérique, et ce malgré un score moins favorable qu’annoncé dans les sondages : encore cette année, de nombreux « électeurs fantômes » trumpistes feront mentir les estimations nationales.
Le camp démocrate récoltera finalement 286 grands électeurs, avec ajoutés aux États traditionnellement bleus, les États clés du Wisconsin, de la Pennsylvanie, du Michigan, du New Hampshire, du Nevada et de l’Iowa, ainsi que les districts Nebraska-2 et Maine-2. Donald Trump fera mieux qu’espéré avec 252 électeurs, dont les États-clés de la Floride, de l’Ohio, et de la Caroline du Nord. Et malgré les sondages défavorables, il conservera le Texas et ses 36 électeurs. Reste à savoir, ce qui est plus difficile à prédire, si le Président sortant acceptera ces résultats ou incitera ses supporters à manifester dans les rues – désertes et barricadées depuis ce weekend – de Washington. Réponse cette nuit.
Romain Cauliez