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Le projet « Espérance » en Guyane : l’hypocrisie de l’État français 

Après avoir décidé d’annuler le projet minier « Montagne d’or » en 2019 en réponse à la pression de l’opinion publique, le gouvernement français a récemment donné un avis favorable sur un nouveau projet d’exploitation aurifère en Guyane, qui verrait le jour en 2025, baptisé « Espérance ». C’est vrai que cela sonne mieux… mais les deux projets sont très similaires.

 

Contradiction apparente  

La Guyane, département français limitrophe du Brésil et du Suriname, possède une superficie de 83 534 km2 et une population de 296 711 habitants. Ce territoire est en grande majorité couvert d’une forêt tropicale, l’Amazonie, qui reste une des zones de biodiversité les plus riches et les mieux préservées au monde. Cependant, cet équilibre fragile est constamment menacé par l’orpaillage illégal qui participe à la déforestation, au déversement dans les fleuves de produits toxiques comme le mercure ainsi qu’au développement de trafic de drogues, d’armes et de personnes. Cette « ruée vers l’or » s’explique par une flambée du cours de ce métal au début des années 2000. L’État français cherche alors à combattre cet orpaillage illégal, véritable fléau environnemental et social, en déployant des forces armées sur le territoire avec la mission « Harpie » notamment.

Mais en parallèle, le gouvernement donne la permission à deux multinationales (dont l’une est poursuivie pour pollution environnementale) de mettre en place un projet de mine à ciel ouvert au cœur de la forêt amazonienne, à quelques kilomètres de zones protégées. Ce projet prévoit ainsi de creuser une fosse de 300 mètres de profondeur sur 1,5 km de longueur grâce à une pratique de dynamitage des sols et l’utilisation de cyanure, un produit extrêmement toxique, pour en extraire la roche. « Incohérence » serait un euphémisme au vu des annonces faites par le gouvernement de respecter ses engagements écologiques.

Menace pour l’écosystème 

Le 16 octobre 2019, Elisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique et solidaire en remplacement de François de Rugy, publiait sur Twitter : « Notre position est claire : Le projet #MontagnedOr est incompatible avec nos exigences environnementales. » En effet, le collectif citoyen guyanais « Or de question », qui s’était fortement mobilisé contre la mine, mettait en avant la dangerosité de celle-ci sur l’environnement et sur les populations locales. Le projet ambitionnait de déforester 1500 hectares de forêt primaire, nécessitait la consommation de 140 000 litres d’eau par heure ainsi que l’utilisation de cyanure dans des bassins à ciel ouvert. Ces bassins, situés dans une région extrêmement pluvieuse et boueuse, pouvaient déborder ou céder, risquant de provoquer une véritable catastrophe environnementale comme il y en a déjà eue dans le passé.

Mais crier victoire aurait été prématuré. Alors que la pression populaire semblait avoir détourné le gouvernement de son objectif initial, la commission départementale des mines a délivré, le 29 avril 2020, un avis favorable au projet de mine de la Compagnie Espérance en partenariat avec l’entreprise américaine Newmont Mining. Ce nouveau projet est relativement semblable au précédent. En effet, dans une question écrite adressée au ministère de la transition écologique, le sénateur Fabien Gay soulignait que « Comme Montagne d’or, Espérance reposerait sur l’utilisation de cyanure pour l’exploitation des sources primaires d’or. ».

Précisons tout de même que ces compagnies doivent attendre la décision du Conseil d’État et obtenir une autorisation administrative avant de débuter les travaux. Cependant, si la France autorise ce premier gisement, d’autres projets de ce type devraient voir le jour dans les années à venir : cela permettra donc à l’industrie minière et à des multinationales de s’implanter durablement, essorant et épuisant toujours plus cette région de ses ressources naturelles pourtant indispensables à l’équilibre planétaire.

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L’or, une « espérance » pour les Guyanais ? 

Mais alors, quelles peuvent bien être les raisons qui poussent le gouvernement à accepter un nouveau projet minier tout aussi désastreux pour l’environnement et les populations locales ? Plusieurs arguments sont mobilisés par ses défenseurs afin de répondre aux inquiétudes.

Tout d’abord, cette nouvelle exploitation aurifère doit être vue comme un moyen de lutter contre l’orpaillage illégal selon eux : elle permettrait une meilleure surveillance de la zone et d’embaucher les travailleurs précaires illégaux. Mais comme le démontre François-Michel Le Tourneau, géographe spécialiste de l’Amazonie brésilienne et guyanaise, ces deux exploitations aurifères pourront subsister l’une à côté de l’autre sans que la mine industrielle n’affaiblissent les ressources des orpailleurs illégaux, les deux n’ayant pas les mêmes techniques d’extraction du minerai précieux. De plus, il est difficilement imaginable que ces entreprises souhaitent investir suffisamment pour surveiller une zone aussi étendue que la forêt amazonienne. Ce premier argument ne tient donc pas la route.

En réponse à cela, un autre argument est mobilisé : cette mine industrielle serait une chance pour les Guyanais. Elle permettrait la création d’emplois directs dans un département touché par la pauvreté et par un taux de chômage deux fois plus élevé que dans l’hexagone, atteignant 32 % chez les jeunes. Cependant, le nombre d’emplois créés est minime et il n’y a aucune garantie pour les locaux, les entreprises pouvant embaucher des travailleurs originaires du Brésil et du Suriname. En outre, ces emplois ne dureront que quelques années et ne sont donc pas pérennes. Le gouvernement continue donc dans une voie court-termiste, délaissant le bien-être et la santé des Guyanais au profit d’intérêts privés. Finalement, avec les mêmes investissements, l’État français pourrait développer des filières dont le territoire a réellement besoin.

Durabilité 

Afin de ne pas rester dépendante de l’exploitation aurifère par des entreprises étrangères, la Guyane doit développer des filières économiques durables. Pour cela, elle possède des atouts naturels inégalés : son environnement, son climat, sa biodiversité… Ainsi, son développement économique pourrait se baser sur des secteurs comme l’artisanat, l’élevage et l’éco-tourisme. Ce dernier a un énorme potentiel de croissance comme le souligne un rapport de WWF intitulé « Vers un développement soutenable de la Guyane » publié en 2017. Avec les investissements publics nécessaires, le secteur du tourisme pourrait générer à terme 4500 emplois directs, donc six fois plus que le projet Espérance.

En outre, la Guyane possède les capacités pour devenir auto-suffisante en alimentation et en énergie. Pourtant, elle importe dix fois plus qu’elle n’exporte et dépend des importations d’hydrocarbures venues de France, sa position de département l’empêchant de commercialiser directement avec les pays voisins comme le Brésil. Ainsi la grande majorité des biens de consommation sont importés de France, contribuant à la cherté de la vie en Guyane, déjà touchée par une pauvreté endémique et limitant l’émergence de filières locales de production.

Le gouvernement français se doit d’être exemplaire dans sa politique environnementale avant de pouvoir donner des leçons à des dirigeants ouvertement écocidaires tels Jair Bolsonaro. L’Union Européenne, en menant des politiques écologiques réellement ambitieuses, pourrait ainsi se permettre de critiquer voire d’user de sanctions.

Si nous voulons respecter nos engagements climatiques, il est alors urgent d’abandonner les politiques court-termistes polluantes et de faire des choix de société permettant de préserver le bien commun.

Moe-Léna Lefebvre