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Valse avec le cinéma #20 Dune

Dune de Villeneuve est un film qui cristallise l’espoir d’enfin voir une adaptation de Dune, classique de Frank Herbert, au cinéma. Si ce livre est un des plus importants du genre, il n’a jamais eu d’adaptation pour le propulser au sommet de la culture populaire. Ainsi, beaucoup de monde n’est pas familier avec l’univers de Dune, contrairement à Le seigneur des anneaux, ou un Parrain, deux œuvres littéraires à la base, panthéonisé dans la culture populaire par le cinéma. Première chose intéressante à observer, les films ont permis de construire un imaginaire esthétique et sensoriel, dont les codes raisonnent un peu partout.

Dune n’a eu que le film de Lynch, qui n’a pas su trouver son public, ni à l’époque, ni aujourd’hui ; Lynch lui-même n’en est pas satisfait. Autrement, Dune n’a eu qu’à l’écran des séries beaucoup trop obscures pour réunir du public. Jodorowsky s’est tenté à l’exercice sans pouvoir produire son film. Que reste-t-il ? Trois jeu vidéo de stratégie qui ont leur propre communauté de fans, ainsi que divers artistes ayant dessiné Dune de façon plus ou moins fidèle. Tout ce détour pour dire, Dune est l’un des plus grands romans de science-fiction de tous les temps, Dune possède sa base d’initiés, mais Dune n’a pas un imaginaire qui parle au grand public actuel.

Dune, le chef d'oeuvre jamais tourné de Jodorowsky - ZEWEED
Affiche du Dune de Jodorowsky

Le film de Villeneuve incarne beaucoup de rêves : l’adaptation que les fans ont toujours rêvé, le film qui sauve en pandémie, l’imaginaire que n’a jamais eu le grand public. Dès le départ cette intention est la, puisque Villeneuve a déclaré maintes fois que son Dune serait le plus accessible de sa filmographie.

Tout le souci peut être résumé de la sorte : un univers si riche et dense, aux multiples interprétations possibles et picturales, ne se trouve qu’être un énième film victime des codes esthétiques du Hollywood de ces dix dernières années. Dune 2021 avait l’opportunité d’être tant de choses, il n’est qu’un simple produit de son époque. Ce film vit par son image beaucoup trop sombre, ses absences de contraste, la quantité importante de numérique, la musique de Zimmer, la direction d’acteur monoface. Tout est beaucoup trop lisse, très propre, le film ne se permet aucune folie. Le résultat est très impersonnel, car il se repose sur des codes vus et revus, complètement usés ces dix dernières années, qui font que, même si le film peut être « soigneux », ce dernier a peur de surprendre, d’aller au-delà de ce qu’il est, de proposer du neuf. Or, l’univers de Dune même, renfermes-en son sein, beaucoup de folies visuelles, en témoigne les nombreuses gravures sur son univers.

Voici quelques exemples de ce que j’avance.

Tout d’abord, il n’y a absolument rien à retenir de l’acting dans Dune. Tous les personnages n’ont qu’une expression sérieuse forcée tout le long du film. A force de trop faire, cela en devient ridicule. La caméra force les gros plans sur le visage de Chalamet tout le long du film, il s’implique énormément, au point d’en faire trop. Finalement, il reste juste l’impression de voir un acteur qui joue son rôle, plutôt que de voir un personnage. Les choix de Chalamet et Zendaya renforce encore plus cette idée de prendre des personnes pour que le public s’identifie, et non pas par intérêt pour le long métrage.

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L’unique visage de Paul tout le long du film

La musique est bien entendu très oubliable. Zimmer véritable symbole du blockbuster bruyant, modèle de l’uniformisation du cinéma américain contemporain, empêche au film de Villeneuve de se former une personnalité. Son usage incessant et prévisible des cuivres désamorce les scènes de tension ; sa musique suivant le même schéma, elle annonce la suite de ce qui va se dérouler à l’écran.

Lorsqu’on pense à Dune, la première chose qui vient en tête est le désert d’Arrakis, comme annoncé dans le titre. Or celui-ci est bien oubliable. Villeneuve a comme base une idée très honorable, qui est d’arrêter d’esthétiser le désert, de le rendre beau avec des plans larges qui laissent le temps d’admirer le paysage. Surtout qu’Arrakis est une planète très dangereuse, avec peu de chance de survie pour une personne qui ne maitrise pas les environnements. Lorsqu’on écoute Villeneuve, on entend un cinéaste attaché à la matière, tournant dans des conditions « naturelles », afin d’avoir l’image la plus « réelle » possible. De ce fait, le désert idéal pour Villeneuve serait celui qui est sauvage, impitoyable. Pourtant le film échoue. Cinématographiquement, le défi du désert est la gestion de la lumière. En photographie, lorsqu’on prend des photos avec un soleil qui tape fort, l’image possède un contraste extrêmement fort. Le ciel apparait presque comme brûlé, avec une lumière blanche qui frappe toute la photo. Ce genre d’image n’existe pas dans le film de Villeneuve. Comme ses homologues hollywoodiens, le contraste n’existe pas, l’image saturée n’existe pas. Sur le spectre de couleur, Dune ne dépasse pas le gris, le beige et le noir. Évidemment, le film s’appelle Dune, donc tout doit être forcément de cette couleur. Cette excuse n’explique pas pourquoi, plusieurs artistes avant Villeneuve, ont tous proposé des interprétations graphiques différentes…Le summum de ce refus de couleur réside dans l’exploit de rendre les Harkonnen, encore plus caricaturaux et maléfiques qu’ils ne le sont. Absolument chaque scène chez eux(nuance), tout est plongé dans les ténèbres, pour ne distinguer que quelques ombres. Je pense qu’en 2021, il existe d’autres procédés esthétiques pour rendre méchants des personnages, autrement que par une plongée dans le noir. Dune est un film ou on ne voit rien.

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Ce rapport à la matière est d’autant plus paradoxal, car Villeneuve ne veut justement pas jouer avec le vivant. Ainsi, il ignore complètement que ses acteurs, sont avant tout des corps, mais ces derniers ne subissent rien du désert, aucune trace de transpiration, d’insolation, de douleur. Le rapport du corps des personnages au lieu traversé n’existe qu’à travers cette fameuse distille, dont l’intérêt n’est qu’exposer un élément de l’univers. Puis bon, il suffit de voir à quel point son désert est sombre pour comprendre que ses personnages ne subissent rien. Ce contraste est d’autant plus fort que le film aime insister sur son cadre, Villeneuve aime filmer son Paul passer sa main dans le sable autant que possible, dans l’unique but de caractériser le lieu ou il se trouve ; même chose lorsque Paul s’émerveille devant les palmiers. En clair, Dune montre les évidences pour se donner une matière et une caractérisation dont il n’a pas besoin. Le film semble même être un genre, dans le registre stylistique. Pour faire son film de désert, Dune a besoin de rappeler sans cesse qu’il y’a du sable, ou que les dunes sont beiges. Voici donc tout le paradoxe, s’enfermer dans un genre éloigne du réel des conditions de tournage…Dune est victime de ses propres codes esthétiques, trop sombre, trop sérieux.

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Le gris désert

En revanche, tout ce que j’ai énuméré ne représente en rien le réel défi d’une adaptation de Dune. Villeneuve le sait mieux que nous, adapter un roman fleuve dont l’apanage est son exposition. Un livre peut se le permettre et a les outils pour. Au cinéma, il est un aveu d’échec de transposer un tel univers par des paroles littéraires, et non par l’image…Dune tombe dans le panneau. Les exemples ne manquent pas, l’exploitation de l’épice n’est jamais montrée, mais à la place succinctement expliqué au gentil Paul, qui, comme le spectateur, ne connait rien. Le pire exemple doit sûrement être ce moment où Paul regarde un documentaire sur Arrakis et les Fremen. Comme le héros, les spectateurs ont le droit eux aussi, a un petit exposé très documentaire et littéraire, pour décrire l’univers du personnage. Dune ne montre pas, le film préfère expliquer ou sortir des noms propres.

Quand au choix d’adapter telle ou telle scène, Villeneuve est encore victime de son “trop sérieux”. En clair, tous les moments de joie et d’allégresse n’ont pas été conservés ; tous les passages qui demandent un travail plus prononcé sur la direction d’acteurs, les couleurs et différents registres esthétiques sont passés à la trappe. Les évènements scénaristiques qui demandent une certaine « folie » n’existent pas. Bonne chance à Villeneuve s’il veut adapter la suite, car ce sera bien plus dur.

A force d’être cloisonné dans ses propres codes, Dune devient fatigant à regarder. Son trop plein de sérieux dégoûte. Sans aucune personnalité, Villeneuve avait pourtant en main, le meilleur univers pour surprendre et se permettre quelques folies visuelles. Dune n’est qu’un film formaté par son industrie, un bien techniquement propre, mais très vite oublié.

Amir Naroun

PS : pour finir, voici quelques illustrations qui montre la diversité d’interprétations de Dune

 

Rare Dune art from Omni reveals Frank Herbert's original vision | Dune art, Science fiction art, Science fiction artwork
Le baron Harkonnen par John Schoenherr dans The Illustrated Dune (1978)

 

 

Japanese Movie Poster (1984): dune
Une affiche japonaise du film de Lynch
Illustration de Schoenherr pour l’omni magazine de Juillet 1980

Pour plus d’informations et d’images de Schoenherr https://vocal.media/futurism/dune

ArtStation - Leto II Atreides, Wyatt Dabbs
Leto II par Wyatt Dabbs
ArtStation - Death of a Sandworm, Wyatt Dabbs
Le ver de sable par Wyatt Dabbs