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Un bref bilan écologique du quinquennat Macron – entre procrastination et désillusion

« J’aurai un plan ambitieux dinvestissement dont lun des piliers sera l’écologie ».

C’était a priori un objectif central du programme d’Emmanuel Macron. Le président(-candidat) s’était même dit prêt à soumettre au référendum la modification de l’article 1er de la Constitution, qui aurait permis de renforcer la responsabilité de la France en matière environnementale mais qui n’a pas fait consensus au Parlement. Accusé d’ambiguïté, entre soutien aux lobbys et hashtags sur les réseaux sociaux, qu’en est il des applications concrètes de ces apparentes ambitions écologistes ? A-t-il loupé le coche ?

Transports (autrement dit le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France) : l’avion décolle, le train pique du nez 

Un voile

Qu’en est-il du projet de l’ « avion vert », l’avion à hydrogène ? 150 millions d’euros ont été déboursés pour son développement, alors qu’il s’agit d’une innovation controversée : attendu pour 2035, il ne pourra être utilisé que pour des vols régionaux de courte distance ; il n’est donc pas adapté au trafic actuel.

Une coquille vide

Les propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat n’ont pas réellement été appliquées : Le gouvernement affirme avoir repris les mesures; repris, on peut ici l’entendre au sens de « modifier », et surtout « amoindrir » : les propositions ont été tellement allégées qu’elles ne peuvent plus avoir l’impact souhaité, mais seulement un effet dérisoire.

Que prévoyait la convention ? L’obligation de prendre le train plutôt que l’avion dans certains cas : plus précisément, la fermeture des lignes d’avion qui correspondent à un trajet effectué en moins de 4h en train. / L’interdiction de l’extension des aéroports. Qu’en est-il aujourd’hui ? 4h a été réduit à 2h30 et les vols concernés ne sont que les vols domestiques (dont le décalage et l’atterrissage s’effectuent sur le territoire français); finalement, seulement 5 lignes sont impactées. / Des projets d’extension d’aéroports sont étudiés en ce moment, à Marseille, Nice et Lille.

Vélo

10 000 km de pistes cyclables ont été créées ; le vélo est de plus en plus utilisé, mais cette tendance ne peut pas être associée simplement au quinquennat Macron : elle existait déjà avant 2017. Le budget consacré au vélo s’élève à 50 millions d’euros; or, c’est inférieur aux 500 millions nécessaire pour répondre à l’objectif de tripler la part du vélo dans les transports en 2024

Train

Plus de 100 gares ont été fermées depuis 2017.

Une petite incitation à l’utilisation de transports plus propres : le forfait mobilité durable

Un employé qui se rend sur son lieu de travail en utilisant un vélo (électrique ou pas), le co-voiturage ou les transports en commun peut voir ses impôts diminuer de 500€ (maximum). Mais cela s’applique également pour une voiture personnelle si elle est partagée et pour des « engins de déplacement personnel » comme un scooter, ce qui ne semble pas si vert.

Agriculture / alimentation : un renforcement du modèle agro-industriel, « robotique, génétique, numérique »

Agriculture biologique

L’objectif de 15% de surfaces agricoles en agriculture biologique en 2022 a été abandonné et le gouvernement est toujours en retard de paiement de certaines exploitations en agriculture biologique. Restauration collective : la loi EGALIM prévoyait 20% de produits bios dans les cantines en 2022. Les résultats actuels sont loins de répondre aux ambitions fixées : nous sommes en mars 2022 et seul un petit 5,6% a été atteint. Les nouvelles aides à la conversion et au maintien en agriculture biologique ne font que compenser la suppression des aides bios de la PAC (Politique Agricole Commune : à l’échelle européenne, elle subventionne les agriculteurs qui la respectent).

Qu’en est-il du menu végétarien ?

Depuis 2018, il doit être proposé toutes les semaines, à côté des autres menus. Cette obligation rentre dans le cadre d’une expérimentation, qui n’est donc pas censée durer. D’un autre côté, le fait de proposer ce menu végétarien tous les jours n’est qu’une option pour les cantines : elles peuvent faire le choix de ne pas en tenir compte du tout, ce qui limite le poids de cette politique.

Création de la cellule Demeter

Explicitement, l’objectif est de contrôler les « atteintes au monde agricole »; implicitement, il s’agit surtout de faire pression sur les mouvements écologistes qui oseraient défier le modèle agro-industriel. Le tribunal administratif de Paris a jugé le 2 février 2022 qu’une partie des actions de cette cellule de la gendarmerie nationale étaient illégales.

Des mesures à contre sens

Néonicotinoïdes : cet insecticide a été reconnu comme mortel pour les abeilles (rappelons que sans abeille, pas de fruit; à moins que l’homme assure lui même la pollinisation, ce qui ne serait franchement pas rentable); c’est pour cela qu’il avait été interdit en 2018, avant d’être en partie réautorisé en 2020. Le produit, lui, n’a pas changé ; pourquoi ce revirement ? À cause de betteraves sucrières ou plutôt de leurs lobbys : la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves a fait pression sur le gouvernement pour éviter de mauvais rendements.

Glyphosate : un demi tour : l’une des promesses de campagne d’Emmanuel Macron en 2017 était la sortie du glyphosate, au plus tard en 2020 ; en 2020, il affirme : “Ce n’est pas faisable, et ça tuerait notre agriculture. Et même en trois ans, on ne fera pas 100 %, on n’y arrivera pas”. Promesse non tenue.

 Pollution

Le prix du diesel devait augmenter pour atteindre celui de l’essence : le diesel étant moins taxé, les individus sont davantage incités à acheter des véhicules qui roulent au diesel et polluent donc davantage; l’idée était de limiter cette tendance. Ce n’était pas le cas jusqu’à la situation actuelle avec la Russie, qui contraint exceptionnellement les décisions du gouvernement ; juste avant, en janvier, le diesel s’élevait à 1,65€ alors que l’essence atteignait 1,69€ pour le sans plomb 95 E10 et même 1,78€ pour le sans plomb 98.

Tout plastique à usage unique (jetable) devrait être interdit en 2040. Pour l’instant, il n’est plus possible, légalement, de donner des gobelets ou assiettes en plastique jetable ou de distribuer des bouteilles en plastique dans les établissements qui reçoivent du public; de plus, une petite partie n’est plus commercialisée : pailles, confettis, touillettes ; ce diminutif est plutôt significatif : ces produits restent marginaux, comparé au surrembalage actuel. Un des problème de cette échéance lointaine est que si d’ici là la pollution plastique n’est pas limitée ou enrayée, les océans risquent de contenir malgré tout davantage de plastique que de poissons en 2050. Sans oublier que nous ingérons nous-mêmes l’équivalent d’une carte de crédit de plastique par semaine (selon WWF). Il n’y a en fait aucune garantie sur l’avenir pour un objectif aussi lointain : rien ne nous assure que cette décision du Parlement sous le quinquennat Macron sera bien respectée en 2040, son impact pourrait être aussi invisible que le dernier rapport du GIEC dans les médias. Sans oublier que de nouvelles sources de pollution plastique ont vu le jour dans la lutte contre l’épidémie de COVID-19 : masques, tests, gants; depuis de début de la pandémie, 11 millions de tonnes de déchets plastiques ont été générés et se rajoutent ainsi à la montagne de déchets habituels.

Qu’en est il du recyclage ? Le gouvernement affirme tendre vers l’objectif de recycler tout le plastique en 2025. Mais plusieurs problèmes se posent : le plastique peut être recyclé plusieurs fois mais pas indéfiniment, ce qui limite la réutilisation d’un plastique déjà utilisé. Il semble alors plus efficace de se concentrer davantage sur la limitation de la production des la consommation de plastique plutôt que sur le recyclage d’un plastique déjà produit et consommé. Sinon, cela reviendrait à chercher à éteindre un incendie déjà répandu plutôt que de prévenir de nouveaux feux.

La barrière que pose le pouvoir dans les mesures de grande ampleur et la stagnation dans le pédiluve des petites interdictions se retrouve dans les instances de décisions : à l’Assemblée Nationale, un projet de régulation de la vente de produits neufs a été rejeté sans aucune discussion alors que les députés s’étaient confrontés juste avant à la question du lâcher de ballon de baudruche.

Responsabiliser le consommateur, créer des éco-citoyens ?

Par exemple, un indice de réparabilité doit apparaitre sur certains appareils électroniques et électroménagers; ces informations données au potentiel acheteur lui permettent d’être davantage conscient de l’impact environnemental des produits qui lui sont proposés et de prêter davantage attention à l’impact de chaque produit dans ses choix.

On se concentre donc ici sur le côté citoyen consommateur. Mais du côté des lobbys producteurs, le Parlement est plus timide. Par exemple, pendant ce temps, Total poursuit son projet de forage de puits de pétrole et de construction d’un oléoduc de 1400 km en Afrique de l’est (projet EACOP).

Bâtiment 

Emmanuel Macron avait dit en 2017 qu’il diviserait par 2 le nombre de passoires énergétiques en 2022; mais nous sommes encore loins du compte. Qu’est ce qu’une passoire énergétique ? C’est un bâtiment très mal isolé; il laisse donc passer une grande partie de l’énergie thermique, ce qui suppose donc une consommation d’énergie très importante pour chauffer l’intérieur du bâtiment; éviter cette surconsommation par des rénovations est donc bénéfique à la fois pour la planète et pour le porte monnaie de ses occupants. (À noter qu’il faudrait 300 000 rénovations de logements de plus pour respecter le plan de la stratégie nationale bas carbone.)

Bien-être animal 

2022 devait marquer la fin d’un dispositif d’élevage intensif. Voilà ce que l’on peut lire dans le programme d’Emmanuel Macron de 2017 : « en 2022 , oeufs de poules élevées en batterie seront interdits à la vente au consommateur ». Or, nous sommes en 2022, et vous pouvez toujours trouver des oeufs de poules élevées en batterie dans les supermarchés (les batteries sont des cages métalliques où les animaux sont entassés).

 Déforestation 

La Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), adoptée en 2018, devrait permettre d’interdire toute importation qui aurait participé à la déforestation d’ici 2030. Incohérence : tant que cette date limite n’est pas atteinte, rien n’empêche les entreprises de continuer à importer ce genre de produits ; et certaines n’en tiennent effectivement pas compte : c’est le cas de Total; le gouvernement l’a autorisé à importer 550 000 tonnes d’huile de palme dans une usine des Bouches-du-Rhône (ce qui représente d’ailleurs plus de la moitié des importations françaises d’huile de palme.

Océans

La protection des aires marines n’est pas à la hauteur des préconisations de l’UICN, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature; Emmanuel Macron est également favorable à l’extraction minière en haut profonde, désastre écologique (extinction d’espèce, destruction des sédiments qui avaient piégé de grandes quantités de CO2 ce qui pourrait donc aggraver le réchauffement climatique, …).

Énergie

France fait partie de ces quinze pays européens qui soutiennent davantage les énergies fossiles que les énergies renouvelables, en leur octroyant davantage de subventions.

Le César de l’illusion perdue : les centrales à charbon

« Dans le quinquennat, nous devrons fermer toutes les centrales à charbon qui existent encore dans notre pays. » Mais la centrale de Cordemais est une centrale à charbon, et elle est toujours en marche; son influence a été renforcée durant l’hiver; les alternatives énergétiques n’étant toujours pas assez développées pour que nous soyons capables de sortir du charbon, cette dernière centrale devrait continuer de fonctionner au moins jusqu’en 2024.

L’augmentation du prix du carbone a été subitement stoppée : les contestations des gilets jaunes ont amené le gouvernement à freiner sa stratégie fixée par la « loi de transition énergétique pour la croissance verte ».

Un refus radical

L’une des propositions de la Convention citoyenne qui a été directement rejetée par Emmanuel Macron est le principe de taxation des dividendes climaticides : concrètement, il s’agissait de taxer les milliards d’euros que les entreprises qui participent à la pollution et à l’exploitation des énergies fossiles- versent à leur investisseurs.

Hydrocarbures

Explicitement, Emmanuel Macron a permis d’interdire la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures sur son territoire ; ce qu’il ne précise pas, c’est que 99% des hydrocarbures consommés en France sont importés de l’étranger : ainsi, même si l’on interdit les exploitations d’hydrocarbures en France, la consommation d’hydrocarbure ne sera (pratiquement) pas modifiée, ce qui limite considérablement l’impact et la portée de cette législation (alors qu’elle pouvait sonner comme une mesure révolutionnaire); pendant ce temps, à l’étranger, les projets d’exploitation des énergies fossiles se multiplient en toute légalité : par exemple, on peut penser au projet Coral South FLNG : il vise à extraire, liquéfier et stocker du gaz au Mozambique (et pourrait émettre la même quantité de CO2 qu’émet la France en 7 ans et le Mozambique en 49 ans) ; sans oublier que l’Etat a continué de délivrer des permis d’exploitation d’hydrocarbure sur le territoire national, malgré l’interdiction.

Énergies renouvelables et énergie nucléaire

Les objectifs du mandat étaient les suivants : doubler la capacité en éolien et en solaire photovoltaïque pour 2022, atteindre 23% d’énergies renouvelables en 2020 et 50% d’énergie nucléaire en 2025 (pourcentage dans la consommation totale d’énergie). Ces deux premiers objectifs n’ont pas été atteints, et le dernier parait difficilement atteignable étant donné que le nucléaire correspond aujourd’hui à 77% de la consommation énergétique totale; pour se permettre de ne pas respecter son engagement tout en gardant la face, Emmanuel Macron a déplacé l’échéance à 2035.

L’affaire du siècle, le gouvernement condamné en justice pour inaction climatique

Le Tribunal de Paris a reconnu que le gouvernement n’avait pas respecté ses engagements et lui laisse jusqu’au 31 décembre 2022 pour prendre de nouvelles mesures, dans le but de réparer le préjudice écologique engendré; d’où l’importance des prochaines élections, du prochain gouvernement.

Ainsi, ce quinquennat se caractérise par de petites avancées symboliques dans la décision, sans que de réels effets soient perceptibles en pratique; l’utopie du monde d’après semble n’être qu’une simple réplique, un mauvais remake du monde d’avant. Les échéances sont trop lointaines, la majorité des promesses n’a pas été tenue et pour ce qui est des objectifs respectés, la plupart du temps, c’est parce qu’ils ont entre-temps été modifiés. Si les mesures ne sont pas à la hauteur des objectifs pour lesquelles elles ont été mises en place, elles semblent dès lors futiles : on voit la vague arriver, on sait qu’il faut construire une digue pour l’empêcher d’ensevelir la côte; mais on va prendre la décision de poser une pierre tous les jours, tout en sachant que la vague atteindra la côte bien avant.

Il y a un fossé entre paroles et actes, entre affirmation et actions, entre engagement et mouvement. Alors que 94% des français « estiment que le réchauffement climatique est un enjeu capital », Emmanuel Macron, lui, « ne croi{t} pas au modèle amish », un aperçu symbolique de la priorité donnée aux puissants groupes de pression privés.

« L’heure est grave », disait Emmanuel Macron en réponse à la décision de Trump de sortir de l’Accord de Paris ; il semblerait que les pendules y soient bloquées et que, pendant ce temps, l’horloge climatique s’accélère et s’emballe.

Joséphine Rossignol

Sources :

https://www.greenpeace.fr/ecologie-climat-bilan-emmanuel-macron/

https://tnova.fr/ecologie/transition-energetique/un-bilan-ecologique-du-quinquennat/#1-biodiversit-eacute-nbsp-la-grande-oubli-eacute-e-du-quinquennat-8239

https://reporterre.net/Cinq-ans-de-Macron-ses-proches-vantent-le-vert-les-ecolos-voient-rouge

https://reseauactionclimat.org/bilan-demmanuel-macron-sur-le-climat-un-pas-en-avant-deux-pas-en-arriere/

https://reporterre.net/Le-bilan-ecologique-de-Macron-89-mesures-negatives-depuis-2017#1