Passer au contenu

Vers un Meloni de saison ?

À quelques jours des législatives du 25 septembre prochain, Giorgia Meloni, cheffe du parti d’extrême droite italien Fratelli d’Italia (FDI), continue de mener, en tête dans les intentions de vote, la coalition de droite aux portes du pouvoir. Un parti autrefois marginalisé en raison de ses racines.

« Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis une chrétienne. » Impossible d’échapper à cette phrase devenue le mantra des meetings de Giorgia Meloni. Suite à l’annonce de la démission de Mario Draghi de la Présidence du Conseil le 21 juillet dernier, elle semble être la favorite pour accéder à la fonction, en cas de victoire de la coalition de la droite.

Selon les dernières estimations IPSOS (du 9 septembre, dernière publication), Fratelli d’Italia devance le parti Démocrate de 4,6 points avec 25,1% des intentions de vote. Ses alliés de la coalition, à savoir la Ligue et Forza Italia, se stabilisent respectivement à 12,5% et 8% des intentions de vote selon l’institut. Comment expliquer cette ascension ? Éléments de réponse avec Luca Tomini, chercheur et professeur en science politique à l’Université Libre de Bruxelles 

Est-ce que la popularité autour de la personnalité de Giorgia Meloni a réellement grandi au fil des années ? Ou est-ce un effet loupe des sondages ?

Depuis les années 90, le centre-droit s’est énormément développé jusqu’à former une coalition quand Berlusconi est arrivé en politique puis au gouvernement. On retrouve trois partis : Forza Italia de (Silvio) Berlusconi, la Lega de Matteo Salvini et l’extrême-droite. Il y a eu des changements de noms, de symboles mais ces trois partis ont toujours été des acteurs centraux dans la coalition de droite. Elle n’aspire rien de nouveau ; juste cette fois-ci, une chose change, c’est l’équilibre entre les acteurs. Avant, c’était Forza Italia, parti de Silvio Berlusconi, le leader de la coalition, le leader de la droite. Le candidat pour être premier ministre, c’était lui. Ça a changé depuis une dizaine d’années, notamment en 2018. Lors des dernières élections, en 2018, le principal parti d’opposition était la Ligue avec Matteo Salvini. Il avait beaucoup de popularité, il était en haut des sondages, que ce soit en 2018 comme pour les élections européennes de 2019.

Maintenant, qu’est-ce que vous avez ? Forza Italia est en déclin et lutte pour survivre avec 6-7% dans les dernières estimations (il représentait 30% en 2007). Matteo Salvini, lui aussi, souffre beaucoup de la compétition de Giorgia Meloni, il a eu sa chance en 2018 mais il a fait beaucoup d’erreurs. Il a aussi fait partie du gouvernement (Vice-président du Conseil des Ministres et Ministre de l’Intérieur de juin 2018 à septembre 2019) avec le Mouvement 5 Etoiles et son parti était dans le gouvernement d’union nationale de Mario Draghi. Sa popularité est en baisse comme son parti depuis longtemps dans les sondages.

Il reste donc Giorgia Meloni et son parti. C’est le seul parti qui n’a jamais gouverné depuis 2011. Meloni n’a jamais pris part à des coalitions ou soutenu un gouvernement. Elle a surtout été une opposition pour tous les autres partis politiques, de Mario Draghi à la gauche, en passant par le Mouvement 5 Etoiles. Les électeurs qui se reconnaissent dans la coalition et qui ont toujours voté pour la droite votent pour Giorgia Meloni car c’est la seule leader nouvelle parmi les leaders. Elle tire réellement parti de sa posture de cheffe de l’opposition des dernières années.

La cheffe du parti Fratelli d’Italia est souvent comparée à sa voisine française, Marine le Pen, candidate du Rassemblement national (ex-FN) à l’élection présidentielle de 2022. Pour prendre exemple, la flamme tricoloresymbole de Fratelli d’Italia, a été adoptée par le fondateur du Front National, Jean-Marie Le Pen. A-t-elle entrepris le même processus de dédiabolisation, notamment au vu de son engagement au MSI (Mouvement social italien, parti néo-fasciste italien) ?

Le MSI était un mouvement post-faciste fondé au début de la République, qui a changé de nom dans les années 90 pour Alleanza Nazionale (Alliance Nationale). Ce n’était pas dirigé par Giorgia Meloni (qui est née en 1978) mais le parti a changé la plateforme politique par la suite. Il a ensuite disparu car il est entré dans une coalition avec Berlusconi pour se fondre ensuite dans le parti Il Popolo della Libertà (devenu par la suite Forza Italia).

Ensuite Meloni a fondé un nouveau parti d’extrême droite en décembre 2012 avec le même personnel politique, donc c’est clair qu’il y a une continuité avec l’héritage du MSI, du post-fascisme. Mais en 2022, ce côté existe encore notamment au niveau local, où des élus sont liés à des symboles et discours fascistes. Mais c’est vrai, qu’aujourd’hui le parti Fratelli d’Italia est considéré comme un parti d’extrême-droite conservateur, comme peut l’être le Rassemblement National (RN) en France ou le parti Droit et justice (PiS) en Pologne, les démocrates suédois, FPE en Autriche. Ce sont des partis qui se positionnent à droite du Parti populaire européen (au Parlement européen). (…) Mais à la différence de beaucoup de ces partis, Fratelli d’Italia ne fait pas partie du groupe ID (Identité et Démocratie) ; c’est la Ligue qui se positionne aux côtés de Marine Le Pen. Il fait partie des conservateurs (Parti des Conservateurs et Réformistes européens).

Il faut savoir qu’entre les deux groupes, on retrouve beaucoup de similarités mais certains aspects commencent à provoquer des divergences entre les deux : par exemple, au sujet du positionnement sur la politique étrangère. On a pu le voir avec la Russie et la guerre en Ukraine : Meloni est sur une position pro-Ukraine, pro-Etats-Unis et notamment pro-Atlantique. Tandis que Matteo Salvini et Marine Le Pen défendent la Russie. Cela provoque un clivage très important. Et Fratelli d’Italia s’implique dans les commissions à l’échelle européenne, davantage par rapport à la Ligue.

Quelle responsabilité ont les gouvernements précédents dans cette ascension ? Et dans la hausse de la défiance envers la politique dans le pays ?

Chaque fois qu’il y a une opposition, elle en tire un avantage considérable. En 2013 et en 2018, il y a eu un vote fortement protestataire en raison de la crise économique, des incertitudes sur le marché du travail… A l’époque, c’était le Mouvement 5 Etoiles qui avait absorbé la majorité de ce vote (32,7% des suffrages exprimés en leur faveur). Aujourd’hui, ce n’est plus le cas parce qu’il est devenu depuis 5 ans, un parti de gouvernement. Une partie du vote protestataire va vers Giorgia Meloni, c’est clair ! Après c’est très déséquilibré en fonction des régions, certains ont encore un ancrage du Mouvement 5 Etoiles, surtout dans le Sud. C’est difficile pour la cheffe du parti d’extrême-droite de jouer cette carte, d’attirer ce vote.

Ça reste une explication de la montée mais la plus forte explication est que Meloni prend le vote de Salvini et de Berlusconi, surtout de Salvini et un peu de Berlusconi. Pour ce dernier, beaucoup d’électeurs sont partis soit vers la Ligue, soit vers le centre et les libéraux. (…) Le fait qu’elle ait joué la carte anti-système particulièrement depuis le début de campagne, c’est difficile de savoir si cela sera efficace parce que ce qu’elle a fait, cela ressemble à Marine le Pen qui a dédiabolisé son image avant l’élection présidentielle, elle était modérée sans position extrême. Meloni le fait maintenant[1] et cela lui permet de se présenter comme la probable Présidente du Conseil qui ne va pas bouleverser la politique italienne et européenne. Néanmoins d’un côté, c’est un problème pour une partie de son électorat qui préfère la rupture et l’aspect anti-système.

Si Giorgia Meloni arrive au poste de Présidente du Conseil italien, elle va devoir gérer avec d’autres partis. Lorsqu’on regarde les précédents gouvernements, ce sont des gouvernements d’union nationale. Devra-t-elle rappeler des personnalités politiques qu’elle peut conspuer comme celle de la gauche ?

Cela dépend du résultat de l’élection. Si la coalition de droite remporte les élections très nettement avec une majorité à la Chambre ou au Sénat, alors Meloni deviendra Première ministre. Il y a aura des ministres de Forza Italia, de la Ligue et Fratteli d’Italia.

Le risque est qu’on ne sait pas, il peut y avoir un changement. Il reste encore une semaine (au moment où l’interview a été réalisée) et les sondages ne sont pas très clairs. Il peut y avoir une situation inédite où la coalition de droite gagne une majorité pour qu’une des deux chambres. Dans ce cas-là, on est dans un monde totalement différent, s’ouvre alors une période de négociations. A partir de ce moment, on ne sait pas où on va et dans ce cas, ça ne pourra pas être Meloni. Sa seule chance, c’est de remporter les élections de manière nette.

Les derniers sondages (datant du 9-10 septembre) montraient le Parti Démocratique comme deuxième à un ou deux points d’écart. Or, il faut savoir qu’en Italie, il est interdit de publier des sondages dans les deux semaines précédant un scrutin. Le parti démocrate ne peut pas gagner les élections surtout qu’il n’y a pas de coalition de gauche. Vu qu’on a une loi électorale qui avantage les coalitions, on a une coalition de droite face à trois à quatre partis à gauche : le parti démocrate avec ses alliés, des petits partis, le Mouvement 5 Etoiles et deux ou trois partis de centre (Italia Viva et Azione réunis au sein d’un « troisième pôle » et dirigés respectivement par Matteo Renzi et Carlo Calenda). En réalité, il y a peu de chance que la gauche remporte les élections.

Elles se jouent entre 3 scénarios : soit victoire nette de la coalition de droite donc Meloni Première ministre, soit résultat ambigu alors pas de majorité ou faible majorité au Sénat, et dans ce cas, gouvernement de coalition et négociations pour le former. Cela pourrait être Draghi qui serait rappelé à la tête du gouvernement, c’est peu probable mais en tout cas ce sera une personnalité politique avec un profil similaire.

Vous qui parliez de loi électorale qui privilégie les coalitions mais qui voit les crises se succéder. Par exemple, le dernier gouvernement (Draghi) a duré 1 an et 7 mois. Est-ce qu’une réforme électorale peut être envisagée au vu de la multiplication des crises ?

Oui tout à fait, il y a toujours eu l’idée de réformer la loi électorale, même pendant le gouvernement Draghi. Mais bon, pour des raisons politiques, le gouvernement est tombé et donc il n’y a eu le temps. La tendance des partis c’était d’aller vers une loi plus proportionnelle qui ne forcerait pas les partis à renter dans des coalitions pré-électorales. On va voir le résultat aux élections mais le sujet de la loi électorale va rentrer dans le débat public après les élections. Pas de tout de suite probablement, mais les partis vont sûrement se pencher dessus, surtout sur le fait qu’il n’y a pas de loi électorale stable : en Italie, depuis les années 90, on a réformé la loi électorale plusieurs fois et cela crée des incertitudes et des ambiguïtés.[2] On a des situations dans lesquelles les règles du jeu changent chaque fois, mais c’est un sujet qui va revenir sur la table.

Interview réalisée le vendredi 16 septembre 2022

Jade SAUVANET

[1] Le 10 août, la cheffe du parti d’extrême-droite a affirmé dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux : « Il y a plusieurs décennies que la droite italienne a relégué le fascisme à l’Histoire, en condamnant sans ambiguïté la privation de démocratie et les infâmes lois anti-juives ».

[2] Depuis 1993, le système électoral a connu quatre réformes (si celle de 1993 appelée « Mattarellum » est prise en compte). La plus récente, qualifiée de « Rosatellum », date de 2017.

 

POUR ALLER PLUS LOIN :

BRUSTIER Gaël, « Élections générales italiennes: la coalition des droites dans un fauteuil? », Slate, 8 septembre 2022 

CASTELLANI Lorenzo, « De quoi Meloni est-elle le nom ? », Le Grand Continent, 25 août 2022

GAUTHERET Jérôme, « De l’héritage fasciste à l’incarnation de la nouveauté, le parti Fratelli d’Italia aux portes du pouvoir », Le Monde, 14 septembre 2022 (Abonnés)

GODIN Romaric, “Italie : comprendre les mécanismes d’une élection à hauts risques », Médiapart, 16 septembre 2022 (Abonnés/Disponible sur le site de la Bibliothèque)