Le sujet des élections parlementaires en Pologne fait la Une de la presse polonaise ainsi que celle internationale depuis longtemps. Enfin, après une campagne électorale brutale, intense et pleine d’émotions, le 15 octobre les Polonais ont mis leurs bulletins dans les urnes afin de décider le futur de l’État polonais. Quel parti a reçu le nombre le plus important de votes ? Qui constitue le vrai gagnant de ces élections et qui se sent comme perdant ? Quelle sera la composition du futur gouvernement ?
Résultats des législatives
Tous les 4 ans, les élections législatives se déroulent en Pologne pendant lesquelles les citoyens polonais élisent leurs représentants pour les deux chambres du parlement : le Sejm (la Diète polonaise) comprenant 460 députés et le Sénat comportant 100 sièges. Quant aux élections au Sejm, le pays est divisé en 41 circonscriptions électorales. Pour les élections de cette année, il y avait au total 7 comités électoraux (groupements politiques participant aux élections) enregistrés dans chaque circonscription :
- Les élus locaux non-partisans (Bezpartyjni Samorządowcy)
- La Troisième voie – Pologne 2050 de Szymon Hołownia et le Parti paysan polonais (Trzecia Droga Polska 2050 Szymona Hołowni – Polskie Stronnictwo Ludowe)
- La Nouvelle Gauche (Nowa Lewica)
- Le Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość, ou PIS)
- La Confédération Liberté et Indépendance (Konfederacja Wolność i Niepodległość)
- La Coalition civique – Plateforme civique, Moderne, Initiative polonaise, les Verts (Koalicja Obywatelska PO .N IPL Zieloni)
- La Pologne est une (Polska Jest Jedna)
Afin de participer à la répartition des sièges au Sejm, les formations politiques doivent dépasser le seuil électoral : 5% de voix exprimées pour un parti politique et 8% pour une coalition. Lors de ces législatives, seulement 5 groupements ont obtenu un nombre suffisant de suffrages, et les résultats des élections parlementaires de 2023 en Pologne se présentent comme suit :
- Le Droit et Justice – 35,38% ⇒ 194 sièges
- La Coalition civique – 30,70% ⇒ 157 sièges
- La Troisième voie – 14,40% ⇒ 65 sièges
- La Nouvelle Gauche – 8,61% ⇒ 26 sièges
- La Confédération – 7,16% ⇒ 18 sièges
Courte explication, “qui contre qui”
La Pologne est un pays politiquement polarisé dont la scène politique se caractérise depuis 2005 par la rivalité permanente entre le Droit et Justice – le parti conservateur, eurosceptique et populiste – et la Plateforme civique (à présent faisant partie d’une plus grande Coalition civique avec plusieurs petits groupements), le parti centriste, libéral et européiste. Depuis 2015 c’est le Droit et Justice qui détient le pouvoir. Bien qu’il ait mis en œuvre plusieurs programmes et réformes raisonnables et efficaces, sa politique fait l’objet de critiques de la part de la Commission européenne, des organisations non gouvernementales, des juristes et de l’opposition. D’ailleurs, ce parti est accusé, entre autres, de restreindre la liberté de presse et l’indépendance de la justice, de politiser les médias et les institutions de l’Etat ou de gaspiller les fonds publics.
Les huit ans de règne du Droit et Justice ont déchaîné un mécontentement social important. Les partis politiques d’opposition se sont alors réunis autour de l’objectif commun de battre le Droit et Justice aux législatives du 15 octobre 2023. Déjà bien avant cette date, les dirigeants de la Coalition civique, de la Troisième voie et de la Nouvelle Gauche ont déclaré la volonté et l’empressement de former ensemble un gouvernement après les élections. Surnommée la coalition démocratique, ces trois groupements se sont déjà affrontés au cours de nombreuses élections par le passé, rendant leur alliance électorale de circonstance. On note que le parti pro-russe d’extrême droite Confédération demeure exclu de ce camp, en raison de ses opinions radicales et controversées.
Qui gagne, qui perd ?
Juste après la fermeture des bureaux de vote et l’annonce des premiers sondages, le président de la Coalition civique Donald Tusk a affirmé avec enthousiasme que “La démocratie a gagné, nous les avons chassés du pouvoir. C’est la fin du règne du Droit et Justice et de ces temps obscurs”. Toutefois, c’est le Droit et Justice qui a obtenu le plus grand nombre de voix – 35,38%. Certes, il est indéniable que le parti de droite a remporté une victoire électorale en surpassant les autres partis en termes de sièges gagnés, mais le but ultime reste d’être en mesure de former un gouvernement et donc rester au pouvoir. Il faut au moins 231 sièges au Sejm pour établir un gouvernement majoritaire, et Droit et Justice ne dispose que de 194 députés. Même si la Confédération se décide à le soutenir avec ses 18 représentants, ils en auront toujours trop peu.
Cependant, dès le nouveau mandat du parlement, l’opposition démocratique contrôlera 248 sièges et sera donc en capacité de constituer le nouveau gouvernement. En effet, le 24 octobre pendant une conférence de presse, les trois leaders de l’opposition démocratique ont collectivement assuré leur disposition à former un gouvernement futur avec Donald Tusk comme Premier ministre.
Ces élections mettent probablement fin au règne du Droit et Justice en Pologne dont les controverses ont provoqué une mobilisation sociale énorme lors des élections. La coalition démocratique a réussi à encourager son électorat et beaucoup de personnes indécises à voter pour ses parlementaires. Ce qui saute aux yeux, c’est le taux de participation aux élections s’élevant à 74,38%. Il faut souligner que cela constitue le taux le plus élevé dans l’histoire de la Pologne démocratique, devançant même le pourcentage des Polonais votant en 1989, année de la chute du communisme en Pologne. De plus, en analysant les données statistiques et graphiques électoraux on observe que la croissance de la participation était substantielle dans l’ouest du pays, dans les grandes villes et parmi les communautés polonaises à l’étranger, des circonscriptions traditionnellement dominés par l’électorat libéral, centriste et pro-européen, autrement dit les électeurs en opposition au Droit et Justice.
Les résultats des législatives indiquent non seulement la défaite du populisme mais également l’échec de l’extrême-droite en Pologne. Quoique la Confédération augmente son nombre de députés par rapport à 2019 de 12 à 18, elle prévoyait un meilleur résultat. En effet, un de ses co-leaders Sławomir Mentzen a ouvertement déclaré à la suite des résultats que son parti a essuyé une défaite. “Nous devions renverser la table, mais tout indique qu’on n’a pas réussi” a-t-il ajouté.
Malgré la perte de nombreux siège, passant de 49 (2019) à 26 (2023), la Nouvelle Gauche peut fêter un succès, car après 18 ans, la gauche retournera au pouvoir en tant que membre d’une nouvelle coalition gouvernementale.
Nouveau Premier ministre ?
D’une part, selon les déclarations des représentants de l’opposition démocratique et la répartition des sièges, on peut déduire que le gouvernement sera formé par la Coalition civique, la Troisième voie et la Nouvelle Gauche. D’autre part, la question reste de savoir quand sa constitution formelle aura lieu. Conformément à la loi polonaise, la prérogative de désigner le Président du Conseil des ministres appartient au Président et normalement selon une coutume politico-juridique il nomme le candidat proposé par la majorité parlementaire. Ensuite, pour que la nomination soit terminée, le Sejm doit accorder à ce candidat le vote de confiance à la majorité absolue des voix. Dans les faits, le Droit et Justice, malgré ses déclarations et son statut de plus grand parti de Pologne, ne peut pas assurer la majorité nécessaire pour soutenir son candidat, le premier ministre sortant Mateusz Morawiecki. En revanche, l’opposition démocratique semble réellement capable d’élire son candidat Donald Tusk au sein du parlement. Il semble donc que le président de la Pologne Andrzej Duda devrait désigner Tusk.
Pourtant, il ne faut pas oublier qu’Andrzej Duda a été élu Président en tant que candidat soutenu par le Droit et Justice et qu’il est étroitement lié à ce parti depuis longtemps. Lors de son mandat comme Président il ne montre pas beaucoup d’autonomie d’action tout en restant fortement influencé par son parti d’origine. Dans ce contexte, on soupçonne qu’il pourrait nommer premièrement Mateusz Morawiecki et agir pour retarder la création du gouvernement par l’opposition démocratique.
Le 24 et 25 octobre, le président a organisé des consultations avec chaque formation présente dans le nouveau parlement afin d’examiner la situation politique, avant de prendre sa décision quant à la désignation du Premier ministre. A l’issue des discussions, Andrzej Duda a dit que “nous avons maintenant deux candidats sérieux au poste de Premier ministre. Nous avons deux groupes politiques qui prétendent avoir la majorité parlementaire et qui ont leur propre candidat au poste de Premier ministre”. Il a expliqué qu’il devait réfléchir sur la nomination car “il n’y a jamais eu de situation où un groupement a remporté les élections tandis que d’autres groupements ayant également des représentants au parlement prétendent détenir la majorité sans le groupement victorieux et proposent leur propre candidat au poste de Premier ministre”.
Conclusion
Qui choisira Andrzej Duda : Mateusz Morawiecki ou Donald Tusk ? Pour l’instant ce choix est difficile à anticiper. Il est bien probable que la coalition des centristes et de la gauche, comprenant la Coalition civique, la Troisième voie et la Nouvelle Gauche, formera le gouvernement dans le nouveau mandat parlementaire après les élections législatives du 15 octobre 2023. Elles se sont révélées être une victoire amère pour le Droit et Justice qui, malgré sa position de plus grand groupe parlementaire, ne réussira pas à former une majorité absolue au Sejm. Le 15 octobre les Polonais se sont rendus aux bureaux de votes afin d’opter pour un changement. La nouvelle majorité a été légitimée pendant la plus grande mobilisation électorale dans l’histoire de la Pologne pour assurer un futur démocratique et pro-européen.
Jakub Witczak
Sources:
https://www.csis.org/analysis/polands-election-could-transform-european-union
https://wiadomosci.onet.pl/kraj/wybory-2023-znamy-ostateczny-podzial-mandatow-w-sejmie/2ytm320