Invité par le Canari Espol à Lille, le co-responsable du pôle enquête de Mediapart a pu aborder ce journalisme d’investigation qui lui est chevillé au corps. La Manufacture vous raconte cette conférence du 23 novembre dernier.
“On est tous des êtres bizarres.” Fabrice Arfi est l’illustration parfaite de son affirmation. Journaliste phare de Mediapart, il a débuté au Figaro Lyon, antenne rhodanienne du quotidien conservateur. Il est revenu sur son petit bonhomme de chemin dans le journalisme, armé du seul baccalauréat. Et c’est avec plaisir qu’on l’écoute raconter ce “choc professionnel ” que fut sa rencontre avec Gérard Schmitt, au Figaro Lyon, qui lui fait découvrir un journalisme empreint de littérature. Il n’a eu de cesse de bourlinguer de rédaction en rédaction avant de débarquer à Mediapart qu’il n’a pas quitté depuis son lancement en 2008. Quittant la province tel “Lucien de Rubempré”, Fabrice Arfi arrive à Paris, ses “illusions perdues” dans les bagages, au contraire du personnage balzacien. Le lancement de l’hebdomadaire Tribune de Lyon en 2005 avait tourné au “naufrage”, la faute à une indépendance de la rédaction tout sauf garantie.
Vers le journalisme “artisan”
Ce que nous décrit Fabrice Arfi lorsqu’il nous raconte le journalisme, c’est surtout la fin d’une époque. Journaliste indépendant à l’ère de l’ultra concentration des médias, Arfi nous rappelle comment le métier de presse s’est vu transformé par le temps, les événements, les triomphes ou les tragédies. Comment la presse s’est lentement libérée de l’emprise de l’Etat et de sa censure lors d’une lutte qui a duré presque tout le XIXème siècle, jusqu’à la sacro-sainte loi de 1881 qui institue, sans exception, la liberté des imprimeries et des librairies. Comment cette même presse s’est vue embrigadée et corrompue dans les luttes politiques acharnées de la IIIème République. Et comment elle a collaboré avec l’occupant nazi et son pantin de Vichy, entre juin 1940 et juin 1944, jusqu’à l’application du programme du CNR et l’épuration.
Arfi décrit ce moment comme le renouveau du journalisme français, marquant une période où l’Etat et les intérêts privés perdent leur mainmise sur la presse et où le journalisme “artisan” (Arfi récuse le terme “d’investigation”, trop masculiniste et cow boy à son goût) prend son envol.
Ce journalisme artisanal, c’est le journalisme dans sa forme la plus pure. La presse a une mission : rendre l’information d’intérêt publique accessible à tous, “rendre public, c’est rendre au public ce qui lui appartient”. Elle a un devoir de qualité, d’indépendance, de véracité. Elle est responsable, car un article “ça fait des bleus”. Arfi applaudit l’idée que les journalistes soient tenus comptables de leurs paroles, de leurs écrits. Car le journalisme est un service, mais aussi une arme.
De la dépendance de la presse
Et c’est là, précisément que toutes ces valeurs journalistiques, l’indépendance, la responsabilité, la véracité des faits rapportés, prennent une importance capitale. Comment le Figaro peut-il écrire en toute objectivité un article sur l’Égypte, le Qatar ou l’Arabie Saoudite quand leur propriétaire Dassault, leur vend des rafales à la pelle. Peut on considérer aujourd’hui encore une seule seconde que le JDD est un journal indépendant depuis le rachat par Vincent Bolloré et la démission de 90% de ses journalistes.
Ce qu’ajoute Fabrice Arfi, c’est que l’Etat finance ce modèle. Aujourd’hui, les trois médias les plus subventionnés par l’Etat en 2021 sont, respectivement, Le Parisien (propriété de Bernard Arnault) qui a reçu environ 13 millions d’euros, le Figaro (propriété de la famille Dassault) qui a reçu 7,7 millions en aides et Libération, dont le statut de journal indépendant a été en quelque sorte garantie par l’adoption d’un modèle à dotation non lucratif, ressemblant à celui de Médiapart, mais qui est régulièrement alimenté en fonds par Altice France, propriété du milliardaire Patrick Drahi, qui a reçu environ 6,7 millions en argent public.
Un attachement sans faille à sa profession
Ici, le danger est clair, c’est la disparition de la presse indépendante, de l’enquête d’intérêt public, la dégradation et le dévoiement de ce qu’était autrefois une sorte d’âge de l’espérance. Un âge où les promesses sociales et démocratiques issues des grandes réformes du journalisme ont été accomplies tant par le pouvoir politique, avec la fin de l’ORTF, que par les démarches des journaux eux-mêmes, comme la création de Charlie Hebdo malgré la censure d’Hara-Kiri.
C’est sous la marque de la nostalgie et de l’inquiétude que Fabrice Arfi termine sa conférence. Il nous a montré pendant une heure son attachement à sa profession, à ce qu’elle représentait et représente encore aujourd’hui. Il regrette la fin de “l’impartialité” des grands journaux comme le Figaro ou Libération, l’incapacité de ces monuments de la presse à aider leur propre camp idéologique en étant durs avec les sapeurs de l’intérieur, qui décrédibilise leur famille politique en trichant, en trompant les citoyens, en se croyant au-dessus des lois. Il blâme enfin la relation malsaine que le pouvoir entretient avec les médias, organisant des “Etats Généraux” qui ferait passer le président pour le “rédac-chef de la Nation”. Pour lui, la solution doit venir d’ailleurs et des citoyens, pour préserver une presse intrinsèquement liée à la démocratie.
Tout au long de cette conférence, Fabrice Arfi s’est démené pour nous vendre un abonnement à Mediapart, la série d’Argent et de Sang et un de ses ouvrages. On n’a rien acheté mais on l’a écouté et on a rudement bien aimé.
Maël Castagnoli et Mathis Hardouin
Sources :