Dans l’optique du vote de projet d’EPE qui se tient aujourd’hui, jeudi 22 avril, la Manufacture donne la parole aux listes d’élu.e.s étudiant.e.s pour qu’elles puissent mettre en avant leur vision du projet.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’EPE et quelle vision en avez-vous ?
L’EPE, c’est un projet de créer un grand ensemble de l’enseignement supérieur à Lille, en joignant l’Université de Lille et plusieurs écoles. Il se place dans la droite lignée de la fusion des trois universités de Lille faite en 2018. Pour nous le but profond est simple : créer de plus gros ensembles universitaires, pour avoir sur le papier les établissements les plus productifs possibles et ainsi monter dans les classements internationaux tels que le classement de Shanghai. Il s’agit du but affiché du ministère de l’enseignement supérieur, et se place dans la lignée des lois autonomisant l’université telles que la loi LRU de 2007, forçant les établissements à aller chercher des financements ailleurs que directement de l’État. Pour la recherche, des financements dits « d’excellence » s’appuient sur des labels tels que I-SITE ou I-DEX, et ceux-ci servent de chantage à l’université. Elle et l’IEP ont en effet obtenu il y a quelques années le label I-SITE, mais il a été rendu clair par le ministère que nos établissements perdront ces financements si nous renonçons à la fusion ! Nous dénonçons cette course au classement qui est absurde et ne représente aucune réalité dans la qualité de la recherche.
Cette course force des fusions périlleuses qui se ressentent systématiquement dans la vie des usager-e-s. Il a été ainsi déjà de la fusion des Universités de Lille il y a 3 ans, fusion qui a été épinglée par la Cour des comptes, dénonçant « Une fusion avant tout motivée non par une ambition académique, mais par la recherche du label d’excellence » mais aussi que celle-ci a été « poussée par l’État » et « mal préparée » « Le domaine de la gestion n’a pas fait l’objet de la vigilance requise. » (https://www.lavoixdunord.fr/533450/article/2019-02-06/la-cour-des-comptes-epingle-l-universite-de-lille).
Le vote est pour le moment prévu le 22 avril, savez-vous déjà quelle va être votre position et voulez-vous la communiquer ?
Oui. Nous allons évidemment voter contre puisque nous dénonçons ce projet depuis ses premiers moments, nous l’avions annoncé dès début janvier lors de notre communiqué commun avec la plupart des organisations étudiantes de Lille.
Votre position a-t-elle évolué entre le moment où on vous a proposé le sujet et aujourd’hui ?
Non. La base du projet n’a pas changé du tout et s’appuie toujours sur une fusion inutile, bâclée et motivée par la mise en compétition des universités internationales. La faible représentation étudiante dénoncée par d’autres est certes un problème aussi, mais elle n’est que mineure face au reste.
Dans ce projet, est-ce que les plus désavantagés sont vraiment les écoles ou plutôt l’Université ?
La plus désavantagée en tant qu’institution est plutôt clairement l’Université. L’EPE donne dans son fonctionnement une facilité aux écoles qui ont le droit selon les statuts de sortir de l’EPE à tout moment et de se libérer donc de ses contraintes si jamais le projet échoue. Pour l’Université c’est impossible, son organisation deviendra celle de l’EPE et elle sera donc entièrement enchaînée à son nouveau fonctionnement.
Mais, il ne faut pas résumer cet EPE à une opposition entre Université et écoles. Les plus désavantagé-e-s en vérité seront surtout les usager-e-s qui souffriront des redirections de l’argent vers les filières d’excellence au détriment des autres, des coupes budgétaires et du manque de démocratie interne. Par exemple, les statuts de l’EPE autorisent de fixer les frais d’inscription indépendamment en dérogeant au Code de l’éducation. Dans une tendance actuelle où les frais d’inscription pour les étudiant-e-s extra-européen-ne-s ont augmenté à 2700 et 3700 euros en 2018, nous pouvons craindre de nouvelles augmentations…
Concrètement, qu’est-ce que changerait l’EPE pour Sciences Po Lille ?
A court-terme pour le petit monde des étudiant-e-s de l’IEP, probablement pas grand-chose. Les effets se feront en revanche sentir sur un plus long terme. Beaucoup de décisions stratégiques et d’importance seront prises à un échelon supérieur lointain, très distancées des réalités de Sciences Po Lille. La représentation des usager-e-s dans ces échelons sera relativement minime par rapport à leur nombre total en augmentation constante. Pour les étudiant-e-s, nous disposons de 6 sièges sur 44 au Conseil d’Administration. Or, les personnalités membres de droit et extérieures, généralement dépendantes de l’État, représentent 16 membres, près de 40% des sièges ! Nous pouvons également nous inquiéter de la diversion de financements devant aller vers des services locaux vers le financement de l’EPE, ou des services centraux plus lointains.
Ne peut-il pas y avoir un intérêt à mettre en commun des enseignements, des programmes de recherches et des financements ?
Bien sûr que si ! Nous militons toujours d’ailleurs pour un rapprochement entre l’IEP et l’Université, qui a beaucoup à nous offrir en termes de services ou d’enseignement. Mais ce rapprochement ne doit pas prendre la forme d’une fusion faite à la va-vite, sans préparation financière et qui établit un nouvel échelon anti-démocratique, nous n’en avons pas besoin. Plus que ça, l’EPE pourrait même mettre en danger certains de nos enseignements, la mise en place d’une compétition entre filières pourrait mener à réduire le nombre des filières les moins « rentables » tels que les masters de recherche , réduisant donc l’offre finale !
Ne craignez-vous pas qu’à terme, l’EPE favorise les doubles cursus avec les écoles partenaires (type parcours ESJ aujourd’hui), au détriment des licences “classiques” de l’université de Lille, qui se retrouveraient discréditées ?
Peut-être. Mais on ne peut pas dire que cela soit nouveau, c’est la direction qu’a pris l’IEP depuis des années. Vous le savez les nouveaux double-masters sont avec l’EDHEC, une école de commerce, et Centrale, une école d’ingénieurs, un master est également en projet avec l’ENSAPL, école d’architecture et de paysagerie. Dans tout ça, l’Université est systématiquement ignorée, et les deux pauvres partenariats que nous avons avec elle (le double master en sciences politiques et la préparation à l’agrégation d’histoire) ne sont pas mis en avant. Nous aimerions vraiment que les partenariats de l’IEP se recentrent sur l’Université, en lien avec ses domaines d’expertise et la recherche récente.
Carte blanche (exposez-nous votre discours en vue du vote du 22 avril)
Au moment où nous écrivons ces lignes, nous sommes déjà le 22 avril, jour du vote. Nous savons qu’une grande partie, si non l’entièreté de la communauté étudiante et enseignante est opposée à ce projet et votera probablement contre. A l’Université de Lille, le Conseil Académique, le CHSCT, le Comité Technique ainsi que plusieurs Conseils de Faculté ont déjà exprimé leur opposition au projet. Des référendums organisés parmi les personnels et étudiant-e-s de l’Université ont eu des résultats éloquents : 89% des personnels et 85% des étudiant-e-s consulté-e-s sont opposé-e-s au projet d’EPE. Nos quelques mois de luttes et d’informations, accélérés par la rapidité de l’avancement du projet ont en partie porté leurs fruits, et nous sommes confiant-e-s qu’une majorité d’usager-e-s y sont maintenant opposé-e-s. Nous espérons donc sincèrement que cette opposition se traduira par des votes défavorables des CA des écoles et de l’Université et que nous pourrons continuer de protéger l’enseignement supérieur public. A Lyon il y a quelques années, un autre projet de fusion d’établissements appelée EPEX a été abandonnée sous la pression des usager-e-s mobilisé-e-s, la même chose peut se passer ici !
Propos recueillis par Hugo Jumelin