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Entrez dans l’Arène #1

Pour inaugurer la collaboration entre La Manufacture et l’Arène de l’IEP, nous avions posé la question suivante aux présidents des différents groupes parlementaires : Quelle position la France devrait-elle adopter face à Bachar el-Assad maintenant que Daesh a été défait ? Les six représentants nous ont fait part de leur position sur le sujet.

La fin de la bataille de Raqqa à la mi-octobre 2017 après la victoire des forces de la coalition a amené  la chute et la fuite de Daesh de son ancienne capitale autoproclamée. Cependant cette victoire de la coalition amène un goût amer pour les habitants de la ville, qui se retrouvent face à un véritable champ de ruines. Alors que Raqqa était auparavant l’une des plus grandes villes du pays, ce poumon économique syrien s‘est essoufflé. Les djihadistes ont défendu avec ferveur chaque mètre carré, laissant derrière eux une ville où il est difficile de circuler et où les réseaux électriques et d’alimentation d’eau courante ne sont plus qu’un souvenir. De plus, la victoire n’efface pas le danger d’une ville piégée par les mines anti personnelles, où les habitants redoutent tout déplacements.

La Nouvelle Gauche représentée par Tristan R. et Miléna Wittman, une gauche modérée et Combative : l’ambitieuse ligne de la stratégie occidentale, notamment française, visant à lutter contre Daesh et le Président de la République arabe syrienne, a montré ses limites. Malgré son passé et les liens étroits qui unissaient la France à cette partie du monde, notre pays semble s’être fait entièrement refoulé de la région au profit de la Russie. Nous ne sommes pas en mesure d’intervenir politiquement ou diplomatiquement dans cette région que nous avons si bien connu par le passé et où se joue désormais le sort de nos ennemis. Alors si nous sommes en guerre, la priorité, la seule et l’unique, est de livrer la guerre à cet ennemi que de nombreuses nations ont en commun, sans la laisser être livrée par des régimes que nous déconsidérerions. Si le Président syrien est l’instigateur du chaos sur lequel prospère l’Etat islamique, il est important de saisir que le timbre de notre voix ne porte plus. Nous pouvons alors poursuivre nos vaines injonctions en attendant que l’affreux dictateur détruise ceux qui ont juré notre perte, ou intervenir en appui, pour réaffirmer notre présence dans la région et pour peser dans les discussions visant à rétablir la paix, une fois que tout cela sera terminé.

Le Front pour la Tradition et la Gloire, association pour la Reconnaissance et la Consécration de l’Empire : convaincu que la France est et a toujours été une grande puissance émancipatrice pour les peuples de la région, le Front pour la Tradition et la Gloire croit en notre rôle pacificateur. De ce fait, en mémoire de la grande campagne de Syrie 1799, une reconquête de territoire tenu par les islamistes et autres faiseurs de troubles, commençant au Mont Camel, s’impose. Les forces françaises se doivent d’assurer la sécurité du pays de par nos racines communes. Au vu du pouvoir en place, profondément anti-démocrate, nous proposons un protectorat temporaire, avant l’organisation d’un plébiscite pour que les Syriens demandent eux-mêmes leur rattachement à la France. Au-delà, pour en effacer les stigmates à long terme, l’éradication systématique de tout sympathisant de DAESH s’impose, par leur envoi en camp de rééducation pour en faire de bons citoyens. Afin d’en prévenir les causes, les grandes puissances facteurs de troubles, américaines et tsaristes doivent être progressivement éloignées de ce terrain d’opération français. Nous revendiquons le monopole d’influence de notre nation sur la zone, et sommes convaincus que tout règlement de la paix ne peut qu’inclure notre pays comme solution du problème.

La République En Marche représenté par Gabriel Bluet avec une approche progressiste et social-libérale ancrée dans son temps: s’il est vrai que la défaite militaire de Daesh semble actée, Daesh n’en est pas moins une réalité menaçante. Daesh, c’est une idéologie. Et une idéologie ne se vainc pas par les armes. Daesh survivra donc à la défaite militaire. Les anciens combattants djihadistes, la génération née et élevée sous le régime islamiste et les jeunes occidentaux radicalisés continueront de s’offrir à l’ignoble doctrine. C’est pourquoi nous ne devrions ni parler d’une défaite de Daesh ni mésestimer le défi que l’organisation constitue encore. Pour réfléchir sur la position de la France face à la Syrie de Assad, il convient donc de ne pas éluder totalement la question de Daesh. Puisque Daesh pourrait renaître de ses cendres, il nous faut fonder notre réflexion sur l’impératif de stabilité. Par conséquent, la France doit discuter avec Assad, aussi ignoble puisse-t-il être, et ne pas travailler à sa chute pour l’instant. Mais aujourd’hui, comme tous les acteurs du conflit, il doit être interlocuteur. Les forces militaires qui s’expriment sont trop importantes pour que la France puisse considérer une autre option que celle de la discussion. La France doit donc négocier principalement avec les 3 grands acteurs du conflit : la Russie, Assad, et l’opposition politique dont on doit espérer à terme la victoire. Pour cela, aucun acteur du conflit ne doit être ignoré. Tous doivent participer à la négociation. Exclure Assad, c’est éloigner toute solution politique.

Le Front Internationaliste Républicain et Ecologique représenté Jean-François Collec, une union de la gauche autour des vraies valeurs du socialisme et de l’écologie : la position de la France en Syrie a clairement été celle d’une politique d’ingérence. Pour autant, les valeurs humanistes de la France ne doivent pas entrer en contradiction avec la volonté du peuple syrien et lui retirer tout pouvoir de décision, surtout avec une volonté d’imposer une vision démocratique occidentalisée. Aujourd’hui là n’est plus la question de la remise en cause de l’intervention de la France en Syrie mais celle du soutien ou non au régime tyrannique de Bachar El-Assad. Le soutien de la France à ce régime est inconcevable, cela constituerait aussi un déni de la volonté du peuple syrien, très largement défavorable au régime. Toutefois, l’expérience de l’intervention américaine en Irak, ayant mené à l’effondrement de cet Etat, et à l’apparition de Daesh, nous a appris que la chute d’un régime, si autoritaire soit-il, ne doit être menée que par son peuple, ou tout du moins avec le concours et l’implication de ce dernier. La position de la France doit donc être celle de l’instauration d’un dialogue entre les différentes coalitions et forces armées en Syrie, sans oublier de reconnaître l’importance des coalitions kurdes et de leurs revendications ; une position de médiateur, garant de la paix, tout en restant extérieure aux débats et décisions politiques.

Le Rassemblement de la Droite et du Centre représenté par Emilie Caron, une droite rassembleuse et par-dessus tout ouverte :  après la « victoire » en Syrie contre Daesh, la France n’a d’autres choix que d’épouser la réalité. La paix n’est pas qu’une étape, elle est plutôt une succession d’étapes. Il conviendra dans un premier temps de dialoguer avec le régime en place, le régime de Bachar el-Assad. Il faut non seulement dialoguer avec lui mais aussi avec les oppositions qu’elles soient en Syrie ou exilées pour reconstruire le pays et gagner la paix de manière durable. Bien entendu, Bachar el-Assad devra répondre de ses actes devant son peuple et devant les juridictions internationales en l’espèce. Nous ne pouvons concevoir une quelconque impunité. Il faut, je pense, adopter une approche résolument pragmatique, réaliste du conflit et des modalités de la paix. Si nous ne voulons pas voir Daesh renaître de ses cendres, l’enjeu majeur reste le cap de la reconstruction et de la stabilisation. Finissons-en. Six années, six années de trop pour le peuple syrien et pour une communauté internationale impuissante ; pour un conflit où la France a perdu toute sa place.

Nous espérons que ce premier numéro de la collaboration entre La Manufacture et l’Arène de l’IEP vous aura convaincu et vous encouragera à poursuivre sa lecture. Nous publierons un article une fois toutes les deux semaines et vous pouvez dès maintenant nous proposer en commentaire des questions d’actualités que vous souhaiteriez voir être abordées.

Yulia Sakun et Gwendoline Morel

La position concerne celle de son auteur et n’engage pas tous les membres des groupes, qui, rappelons-le, ne sont pas tous affiliés à un parti.

Image à la une: Les Forces démocratiques syriennes célèbrent la fin du califat de Daesh à Raqqa, Le Monde, REUTERS/Erik De Castro.