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Cisjordanie : la route de l’apartheid, entre enjeu et polémique

Inaugurée la semaine dernière en Cisjordanie, la route 4370 fait polémique. Apparentée à l’apartheid, cette route qui divise Israéliens et Palestiniens sur 5 km risque fort de devenir un symbole de l’extension coloniale israélienne en Cisjordanie et de la volonté du régime de repousser les Palestiniens hors des murs de Jérusalem.

Originellement composé de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, l’État palestinien tel qu’il était pensé depuis 1949 est aujourd’hui occupé par Israël. Au lendemain de la guerre des Six Jours (1967) la Cisjordanie est morcelée entre des zones d’habitations palestiniennes et des colonies israéliennes, appelées « colonies de peuplement ». Les spécialistes s’accordent à dire que ces « colonies » ont deux objectifs : occuper géographiquement certaines zones-clefs du territoire et préparer le retour des Juifs dans un « Grand Israël » tel que le commande la Bible. Depuis la guerre des Six Jours, les Israéliens s’efforcent d’affirmer leur présence à Jérusalem-est, mais aussi en Cisjordanie. A la suite des accords d’Oslo (1993), celle-ci est divisée en trois types de zones : la zone A, constituant environ 18% du territoire et regroupant les grandes villes palestiniennes, la zone B (21% du territoire) officiellement palestinienne mais dont l’armée israélienne assure la sécurité, et la zone C (61% du territoire) entièrement contrôlée par Israël.
Les colonies israéliennes, ajoutées aux « avant-postes » illégaux se propagent au cœur de la Cisjordanie. Les Palestiniens perçoivent d’un mauvais œil ces installations, qui sont pour eux un moyen pour Israël de s’approprier leurs terres. L’actuel Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahou, est aussi visé, accusé de favoriser la construction de nouvelles implantations israéliennes en Cisjordanie, et de rechercher le soutien des colons et de la droite religieuse et catholique pour rester au pouvoir.

La route 4370 ou la ségrégation56a286bc3cd8c

La “route 4370” est une portion autoroutière longue de 5 km reliant le Nord-Est de Jérusalem aux colonies israéliennes les plus proches, en contournant Jérusalem-est. Elle est pourtant surnommée « route de l’apartheid » par les Palestiniens, en référence à cette période de l’histoire d’Amérique du Sud entre 1948 et 1991 pendant laquelle colons « Afrikaners » et populations noires étaient séparés. Le choix de ce mot n’est cependant pas un hasard, tant il met en lumière l’ampleur de la ségrégation entre Palestiniens et Israéliens qui accompagne la politique expansionniste de l’État hébreu. La route 4370 est divisée en deux en son centre : les véhicules palestiniens et israéliens sont séparés de part et d’autre d’un grand mur surplombé d’un grillage métallique, une installation haute de huit mètres. De plus, seul le côté israélien mène à un « checkpoint » donnant l’entrée à Jérusalem-est, une façon pour eux de garder leurs voisins musulmans à l’extérieur de la ville.
Pour les Israéliens, au contraire, cette construction tend à régler les problèmes d’embouteillages à l’entrée de la ville : décongestionner le trafic devrait bénéficier aux travailleurs israéliens qui travaillent en ville mais vivent dans les colonies de Cisjordanie. Selon les autorités israéliennes en effet, cette construction permet un gain de temps considérable et une plus grande sécurité pour les automobilistes.

Un pas de plus dans la colonisation des terres cisjordaniennes ?

Les Palestiniens considèrent pour la plupart que le système de checkpoint imposé par Israël a pour fonction principale d’interdire l’accès à la ville lors de grands trajets au sein de la Cisjordanie, notamment lors du trajet entre Rammalah (capitale administrative de l’Autorité palestinienne) et Bethléem (à 10km au sud de Jérusalem) sans leur donner d’accès à la ville. Betty Hirschman, directrice de l’association « Ir Amin » explique : “Une barrière au milieu de la route n’aura aucun impact réel sur la sécurité mais c’est une déclaration politique quant à l’intention d’Israël de séparer les Palestiniens des Israéliens” . D’autre part, la route, telle qu’elle a été imaginée, favorise un passage quasi-exclusif aux Israéliens, et donne naissance à une deuxième forme de ségrégation : au-delà de la séparation des automobilistes sur une route, c’est l’appropriation de Jérusalem-est par les Israéliens dont il est question ici.
Loin d’être un ingénieux moyen de séparer les deux peuples, la route 4370 est pour Gilad Erdan, ministre de la sécurité publique israélien « un exemple de ce que l’on peut créer de mieux en matière de vie commune ». Cette déclaration rappelle l’apartheid dans sa conception la plus basique : imposer un “développement séparé” aux différents groupes qu’on ferait mieux de séparer. Le ministre des transports palestinien soutient ce parallèle avec l’Afrique du Sud : la « route de l’apartheid » est une construction inacceptable qui met en lumière la politique « ouvertement raciste » d’Israël à l’encontre des Palestiniens.

 

Lila CHASSAC