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Pourquoi avons-nous besoin de l’art?

En 2019, le rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé « What is the evidence on the role of the arts in improving health and well-being ? », s’appuyant sur plus de 900 publications, affirme que l’art peut être bénéfique pour la santé, aussi bien physique que mentale. Dès le IVe siècle avant J.-C, Aristote évoquait la « catharsis » des pièces de théâtre, comme un moyen de purger les passions des spectateur.ice.s, qui seraient intimement touché.e.s par les émotions véhiculées par cet art. Cela les libéreraient de leurs propres tensions psychiques, et leur permettrait d’en ressortir transformé.e.s, purgé.e.s, voire guéri.e.s. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de l’art.

Un moyen d’aider les artistes

Si l’on pense de nos jours que l’art peut améliorer notre santé, c’est sûrement en raison des multiples exemples d’artistes, pour qui une activité artistique est apparue comme une thérapie, un moyen de s’évader et de s’éloigner de leurs souffrances, aussi bien physiques que psychologiques.

Jazz, Henri Matisse, 1947

La découverte d’une nouvelle technique de découpage et de collage a permis à Henri Matisse de continuer à créer, tout en oubliant son alitement et son incapacité à peindre à la fin de sa vie. L’art a permis à Aloïse Corbaz de devenir aujourd’hui une des figures majeures de l’Art brut, par le dessin et la couture, alors qu’elle était considérée schizophrénique et internée en hôpital psychiatrique. Jean Dubuffet, le premier théoricien de l’Art brut, écrira à son propos « Elle s’était guérie elle-même par le procédé qui consiste à cesser de combattre le mal et à entreprendre, tout au contraire, de le cultiver, de s’en servir, de s’en émerveiller, d’en faire une raison de vivre passionnante ». Les autoportraits ont permis à Frida Kahlo de s’échapper temporairement de ses souffrances, en parvenant à représenter et extérioriser les séquelles dramatiques de son accident sur son corps. L’art a permis la résilience de Niki de Saint Phalle, après le traumatisme de son viol par son père lorsqu’elle avait onze ans, au terme d’un long processus rythmé par la création d’œuvres d’art diverses comme les Tirs ou les Nanas. Elle dira à ce propos : « les Nanas m’ont apaisée ». Cette courte liste – évidemment non-exhaustive – d’artistes « guéri.e.s » par leurs œuvres, nous montre que l’art a un pouvoir libérateur : il est bénéfique pour notre santé.

L’art agit concrètement sur notre corps et notre cerveau

La colonne brisée, Frida Kahlo, 1944

« J’étais arrivé à ce point d’émotion où se rencontrent les sensations célestes données par les Beaux-Arts et les sentiments passionnés. […] je marchais avec la crainte de tomber. » Dans son ouvrage de voyage autobiographique Rome, Naples et Florence, Stendhal évoque les troubles psychosomatiques qui se sont emparés de lui après la visite de la basilique Santa Croce à Florence et l’admiration des fresques de la coupole peintes par Volterrano. Son récit est le premier à décrire ce qui sera nommé plus tard le « syndrome de Stendhal » : une réaction physique du corps humain – hallucinations, malaise, vertiges… – face à un trop-plein d’émotions ressenti par certains voyageur.euse.s face à une œuvre d’art. Si le syndrome de Stendhal n’est pas reconnu officiellement par la médecine, et semblerait être davantage causé par l’intense fatigue ressentie par les touristes au cours de leur périple ; il a cependant été prouvé que l’art pouvait agir concrètement sur notre cerveau.

En effet, en contemplant une œuvre d’art ou en pratiquant une activité artistique, le circuit de la récompense est activé, libérant certaines hormones dites « du bonheur », comme la dopamine, la sérotonine ou l’ocytocine. Ces dernières ont notamment des vertus antidépressives, détendent, revitalisent, et soulagent nos douleurs. Le neurologue Pierre Lemarquis, dans son ouvrage L’art qui guérit, parle également d’ « empathie esthétique » pour désigner la stimulation de nos neurones miroirs face à une œuvre d’art, qui réveillent notre empathie et nos émotions, et nous donnent parfois l’impression de ressentir l’œuvre de l’intérieur. Enfin, pratiquer une activité artistique permet, entre autres, d’activer ses sens, de diminuer son stress, d’être plus concentré, de restaurer la confiance en soi, de stimuler son imagination et sa mémoire, en bref : l’art agit sur notre cerveau et est bénéfique pour notre santé, à tel point qu’il se développe comme une pratique médicale. Selon le docteur Piroska Östlin, ancienne directrice régionale de l’OMS pour l’Europe, l’art peut ainsi proposer « des solutions là où la pratique médicale habituelle n’a pu, jusqu’à présent, apporter des réponses efficaces ».

Une thérapie pour quiconque ayant un accès à la culture

En effet, l’OMS affirme dans son rapport de 2019 que les activités artistiques peuvent servir de complément aux protocoles thérapeutiques dans les établissements de santé. L’organisation souligne par exemple que l’écoute de la musique et les réalisations artistiques limitent les effets secondaires des traitements contre le cancer ; ou bien que la danse permet cliniquement d’améliorer les scores moteurs des personnes atteintes par la maladie de Parkinson. Ainsi, l’art peut être envisagé comme une thérapie pour quiconque ayant un accès à la culture. Si cette idée est maintenant officialisée, elle n’est pas nouvelle : chez les Navajos, un peuple amérindien d’Amérique du Nord, la médecine et l’art étaient déjà par exemple reliés depuis longtemps. Il existe en effet de longues cérémonies, appelées les « Voies », qui sont destinées à guérir une personne malade en restaurant son « harmonie intérieure ». Ces cérémonies sont rythmées par des chants, des danses, des prières, et par la réalisation à terre de peintures à base de sable coloré par des pigments naturels, véritables œuvres d’art qui imprègnent le malade tout au long de sa guérison, qui dure plusieurs jours et nuits.

Cette volonté « d’imprégner » les patient.e.s dans l’art pour leur permettre d’aller mieux se retrouve aussi à Montréal depuis 2018, où les médecins de la ville peuvent prescrire une visite au Musée des Beaux-Arts à leurs patient.e.s, dans le cas par exemple de troubles alimentaires, de problèmes de santé mentale, ou de maladies cardiaques. Le musée ouvre ses portes aux patient.e.s pour qu’ils puissent bénéficier d’une visite gratuite avec leurs proches, qui leur permettra d’augmenter leur taux de cortisol et de sérotonine, les hormones responsables du bien-être.

La visite de musées, et plus largement la création artistique, sont des démarches thérapeutiques également employées pour des patient.e.s atteint.e.s de la maladie d’Alzheimer. Ce type d’actions est notamment soutenu par la Fondation Hilgos, une organisation à but non lucratif, qui a été fondée en mémoire de Hilda Gorenstein, une peintre terrassée par la maladie d’Alzheimer à la fin de sa vie et qui avait déclaré « Je me souviens mieux quand je peins. ». Plus récemment, beaucoup d’entre nous se souviennent peut-être de l’émouvante vidéo réalisée par l’association espagnole « Música para Despertar », dans laquelle Marta González, une ancienne danseuse atteinte de la maladie d’Alzheimer, écoute le Lac des Cygnes de Tchaikovski, et se souvient de la chorégraphie qu’elle exécutait lorsqu’elle était ballerine. L’art semble donc permettre à ces malades de se reconnecter avec des émotions ou souvenirs passés et enfouis.


Tower, Keith Haring, 1987

Enfin, l’art se développe comme une forme de soutien aux patient.e.s dans les hôpitaux : à Lyon, en 2019, à l’initiative de l’association « L’invitation à la beauté », des patient.e.s ont pu choisir une œuvre d’art pour venir décorer leur chambre d’hôpital, afin que cette œuvre puisse adoucir leurs souffrances. Si l’on remonte dans le temps, des œuvres ont également pu faire figure de soutien aux enfants hospitalisés à Paris, comme la fresque Tower de Keith Haring réalisée en 1987 dans la cour de l’hôpital Necker-Enfants malades, ou la statue L’Accueillant de Jean Dubuffet, haute de six mètres et placée en 1988 en face du service des enfants malades à l’hôpital Robert Debré. Ces œuvres permettent par leurs couleurs joyeuses d’avoir une action positive sur le psychisme des enfants, et de leur transmettre de l’espoir et de l’énergie.

Le rapport de l’OMS ne peut donc pas être considéré comme l’initiateur du rapprochement entre l’art, la culture, et la thérapie, car de nombreuses initiatives et pratiques artistiques s’étaient déjà développées en amont pour améliorer la santé de certain.e.s patient.e.s. Cependant, ce rapport pose des conclusions et affirme officiellement l’impact bénéfique que peuvent avoir l’art et la culture sur notre santé. Dans des temps où notre santé, aussi bien physique que mentale, ne cesse de se dégrader, il serait peut-être temps de libérer l’art et la culture du carcan dans lequel ils sont coincés. Il nous faut un monde où les musées, les théâtres, les cinémas, les salles de spectacle, les lieux de culture, seraient réouverts. Un monde où l’art pourrait nous aider. Nous en avons plus que jamais besoin.

Sixtine Catrice