Passer au contenu

Panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian : aux étrangers la France reconnaissante

Mercredi 21 février 2024 entraient au Panthéon de Paris Missak Manouchian, résistant communiste arménien à la tête d’un groupe de résistants fusillés par les nazis, et sa femme, Mélinée. La cérémonie de plus de deux heures, grave et solennelle, a rassemblé les dirigeants des groupes politiques parlementaires, des familles de résistants, des membres de la diaspora arménienne et de nombreux jeunes, présents aussi dans la foule aux abords du Panthéon. Si plusieurs polémiques avaient émaillé les débats antérieurs à la cérémonie, le moment semble avoir fait taire pour un temps les contingences politiques. 

 

Rue Soufflot, le temps est gris, pluvieux. L’eau bat la toile des parapluies des spectateurs réunis près des grilles. Le vent souffle, agite les drapeaux, et le soir tombe sur les façades de calcaire de la montage Sainte-Geneviève. Ce temps est celui d’une fin-février où un homme et une femme rejoignent l’Histoire. Ce mercredi 21 février 2024, Missak et Mélinée Manouchian entraient au Panthéon de Paris, et avec eux 22 autres résistants et compagnons du « groupe Manouchian », exécutés en février 1944 par les nazis, à titre symbolique. Symbole et fragment d’histoire, ce groupe rejoint les autres résistants honorés jusqu’à ce jour au Panthéon, conjurant enfin l’absence de représentation des résistants communistes dans la crypte du monument. 

Le symbole d’un engagement et d’un sacrifice

Le symbole devait trouver son origine dans un autre symbole : le Président de la République Emmanuel Macron, en marge de la commémoration de l’appel du 18 juin dernier, avait alors exprimé le souhait de faire entrer Missak Manouchian, poète et résistant arménien, et sa femme, Mélinée, au Panthéon. Le couple, incarnation d’un « esprit de résistance », selon les mots d’Emmanuel Macron, devait par son intronisation permettre de rendre un hommage nouveau à la Résistance. Hommage particulier d’une part du fait de l’absence jusqu’alors de toute représentation de la résistance communiste au Panthéon, alors même que celle-ci avait joué un rôle déterminant dans l’effort de guerre intérieur durant la Seconde guerre mondiale. Comme le rappelait Fabien Roussel, secrétaire national du Parti communiste français, sur le plateau de France info mercredi dernier, « Beaucoup de grandes figures de la Résistance étaient au Panthéon, on y trouve tous les mouvements ; les gaullistes, les catholiques, les francs-maçons… Il manquait la résistance communiste ». C’est, selon les mots du dirigeant du « parti des 75 000 fusillés », à la fois une « réparation » que la panthéonisation doit opérer, mais aussi un « honneur » qu’elle fait aux héritiers politiques des résistants communistes.  

Hommage particulier aussi et surtout puisque c’est le « groupe Manouchian » qui était honoré ce mercredi, fraction de la résistance et des FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans – Main d’œuvre immigrée), structure affiliée au Parti communiste français, il est demeuré dans les mémoires par son caractère largement cosmopolite. Dirigé par Missak Manouchian, immigré arménien ayant fui le génocide turc, le « groupe Manouchian » est composé de nombreuses origines nationales et culturelles différentes, notamment des Polonais, Hongrois, Italiens et Espagnols, pour la majorité d’entre eux communistes, et pour certains juifs. Auteur de nombreuses actions contre l’occupant, entre autres attentats et déraillements de train, plus de 200 policiers français sont mis à la tâche pour traquer les 23 membres du groupe. Ceux-ci sont arrêtés en novembre 1943 à la suite de plusieurs mois de filature par la police et de délations internes. Des procès sont organisés en février 1944, en marge desquels une intense campagne de propagande xénophobe et antisémite est organisée par Vichy et le Reich dans toute la France : la célèbre « Affiche rouge » présente le groupe, et en particulier les juifs et les étrangers, comme organisateurs de toutes les violences de « l’armée du crime ». Le 21 février 1944, 22 membres du groupe sont fusillés dans une clairière du Mont Valérien, en région parisienne ; un autre sera décapité dans une prison de Stuttgart quelques semaines plus tard. 

L’après-guerre s’empare du sacrifice des 23 ; le poète Louis Aragon, écrit en 1955 dans ses Strophes pour se souvenir un poème en s’inspirant de la lettre d’adieu de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, qui sera repris en 1961 par Léo Ferré, faisant passer les membres du « groupe Manouchian » de résistants à martyrs. Les 23 « étrangers et nos frères pourtant », d’après les vers d’Aragon, sont devenus par la popularisation des deux œuvres le symbole français d’une contribution internationale à la Résistance. 

Un moment de mémoire hors du temps

Si deux cercueils franchissaient les larges colonnes du Panthéon ce mercredi, c’est donc tout un cortège qui entrait avec eux. Un cortège auquel plusieurs centaines de passants de tous âges sont venus rendre un dernier hommage aux abords de la rue Soufflot, parapluies dehors, qui sous un ciel gris et dans le silence donnent à l’allure de l’évènement les atours d’un moment d’Histoire. 

La nuit tombe alors sur les immeubles haussmanniens du 5ème arrondissement, illuminant la piste blanche qui a été installée le long de la rue jusqu’au monument. La complainte d’un duduk, instrument traditionnel arménien, résonne alors et le silence se fait. Installés au bout de la rue, devant une reproduction massive de « l’Affiche rouge », les noms des 23 membres du « groupe Manouchian » font face au monument. Le chanteur Patrick Bruel lit, devant les portes du monument, la dernière lettre de Missak Manouchian à sa femme Mélinée, et les cercueils des deux époux sont soulevés par des soldats de la Légion étrangère. Accompagnée d’un chœur d’enfants, la procession se fait au rythme du récit de la vie de Missak et Mélinée Manouchian. Ponctuée d’applaudissements du public, leur histoire est projetée sur la façade du Panthéon dans ses épisodes successifs ; l’arrivée en France, la découverte des lettres françaises et arméniennes de Missak Manouchian et leur engagement commun dans la résistance. Dans la foule, quelques dizaines de spectateurs entonnent l’Internationale au passage du cercueil, maigre référence à leur engagement communiste, puisque les drapeaux rouges ont été interdits aux abords de la rue Soufflot. 

Arrivés devant la colonnade du Panthéon, les cercueils sont installés devant les images des membres du « groupe Manouchian », avant que le groupe Feu! Chatterton n’interprète « l’Affiche rouge » de Léo Ferré. Le pas lent des soldats de la Garde républicaine marque ensuite l’entrée des époux Manouchian dans la grande salle du Panthéon, où les attendent un parterre de responsables politiques de tous bords, de familles de résistants, et aux côtés d’Emmanuel Macron, le Premier ministre d’Arménie Nikol Pachinian. Là, le Président de la République prend la parole. Reprenant les vers d’Aragon, « est-ce ainsi que les Hommes vivent ? », il revient sur la vie et l’engagement des 23, l’amour pour les lettres et pour Mélinée de Missak, le dévouement suprême de tous pour un pays qui n’était alors pas le leur. 

La cérémonie semble élever l’atmosphère de ce pluvieux soir parisien ; l’élever au-dessus du froid et de la pluie qui tombe depuis plusieurs heures, au-dessus aussi des polémiques. Celle notamment de la venue de Marine Le Pen du Rassemblement national (RN), largement contestée par les familles des résistants et les formations politiques de gauche, avait depuis quelques jours comme entamé la solennité du moment par la froideur des stratégies d’images. « Inspirée de ne pas venir », selon les mots d’Emmanuel Macron, c’est peut-être un manque d’inspiration qui a conduit la leader du RN, héritier du Front national, parti fondé par des anciens vichystes et Waffen-SS, à se présenter au Panthéon ce mercredi soir. 

Mais le vent, l’eau et la lumière qui battent les colonnes du Panthéon semblent avoir réduit à néant l’air du temps, pour enfin honorer ceux pour qui la vie n’était « pas dans le temps mais dans l’usage » d’après le mot de Manouchian, un usage qu’il dédièrent à la lutte pour la liberté. Dans le caveau XIII de la nécropole du Panthéon reposent désormais deux Arméniens, et avec eux tout un cortège d’ombres enfin mis en lumière. Une lumière et un héritage qui semblent vaciller en France et en Europe, et qui lient une jeunesse largement présente sous la nef du Panthéon ce soir, et sur les trottoirs pluvieux de la rue Soufflot. 

Robin Fernez-Michel

 

Légende de la photo : Illumination de la façade du Panthéon, mercredi 21 février 2024.  Crédit : Elysée 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.