La semaine dernière, Ségolène Royal annulait quelques heures avant son passage sa conférence à Sciences Po Lille. Les déçus de cette décision ont pu rapidement se réconforter puisque le lendemain, dans la soirée, l’essayiste et penseur de gauche Raphael Glucksmann se trouvait dans nos locaux. Venu présenter son ouvrage Les enfants du vide, de l’impasse individualiste au réveil citoyen paru en 2018, sa visite fût l’occasion pour lui d’exposer sa thèse sur l’individualisme et le vide idéologique de notre société, mais aussi de débattre autour des solutions à apporter aux crises qu’il juge inhérentes à notre système. Sa solution, il l’annonce en novembre dernier lorsqu’il décide de lancer le mouvement Place publique aux côtés de l’écologiste Claire Nouvian et de l’économiste Thomas Porcher. Depuis, il multiplie les apparitions publiques pour présenter ce mouvement et donner de la voix à son nouveau combat politique : la refonte idéologique de la gauche.
Un nouvel horizon politique pour contrer les tendances nationalistes
La création de Place publique résulte de plusieurs constats et interrogations. Pourquoi les leaders d’extrême droite sont aussi populaires en Europe ? Comment les idées nationalistes et xénophobes se sont-elles imposées comme unique réponse aux crises qui frappent nos sociétés européennes ? Glucksmann explique que ces mouvements sont aujourd’hui les seuls à fédérer des individus autour d’une idéologie commune. Ce sont les seuls à porter une idéologie claire. Ce sont les seuls à générer un « nous », quand la mondialisation, elle, consacre l’Homme dans son individualité. L’unique rempart aux crises actuelles – chômage, immigration, écologie, terrorisme – c’est le collectif. La seule solution au gouffre de la mondialisation réside dans la croyance en un projet commun de société. Or la gauche ne rassemble plus. Raphael Glucksmann l’accuse d’avoir failli dans la lutte des idées. Selon lui, elle a participé à l’individualisation de la société en acceptant l’économie libérale, celle qui célèbre l’individu dans sa solitude. Comme si il n’ y avait pas d’alternatives, la gauche s’est inclinée. Elle a abandonné ses bastions idéologiques comme la question sociale, le modèle d’intégration ou les inégalités et a laissé les extrêmes s’emparer de ces sujets. L’idéologie de gauche s’est cristallisée autour de la défense des droits individuels et des minorités, encore une fois dans une logique individualiste. Ces combats sont certes nécessaires, mais pas suffisants selon Glucksmann. Il faut selon lui redonner un horizon politique global à la gauche.
Repenser la politique
Place publique a été lancé pour palier à ce vide idéologique et contrer la vague des idées nationalistes en Europe. Avant d’être un mouvement ou même un parti politique au sens tribal du terme, il se veut être une plateforme de discussion. Raphael Glucksmann accuse le débat politique d’être miné sans cesse par des calculs électoraux qui occultent les débats essentiels. Il affirme que les différents partis de gauche aujourd’hui peuvent se mettre d’accord sur des bases idéologiques, à la condition que l’enjeu électoral ne rentre pas dans les débats. Place publique se veut être l’outil de création d’une nouvelle idéologie de gauche, réincarnée. Une liste de dix points a été proposée comme base idéologique du mouvement. C’est notamment pour faire passer l’écologie avant l’austérité, pour rendre le pouvoir aux citoyens et aux parlements ainsi que pour contrer l’Europe des lobbys que le mouvement souhaite faire émerger une nouvelle force. Il revendique également une nouvelle façon de faire de la politique. Quatre pôles – écologie, démocratie, Europe et justice sociale – sont représentés par des groupes de travail qui marchent par capillarité et composés d’acteurs locaux qui partagent leurs expériences de terrain dans toute la France. Ils sont des « porteurs de cause ». La finalité de cette démarche réside dans la structuration de places publiques locales, partout en France, pour débattre et construire une idéologie commune. Ce n’est pas par hasard si le nom choisi pour le mouvement fait une référence claire au « mouvement des places ». Ces moments d’émulsions idéologiques et de pratiques démocratiques ont surement dû inspirer Raphael Glucksmann, pour qui la manière de faire de la politique doit être réinventée de manière plus démocratique. Les réponses aux attentes politiques sociales économiques et écologiques actuelles doivent être trouvées au coeur d’expériences de terrain et non plus par la pensée unique d’élites intellectuelles et de bureaucrates. Le citoyen doit retrouver un rôle d’acteur politique.
L’union des gauches : une tentative vaine ?
Invité lundi 28 janvier sur le plateau de Quotidien, Glucksmann renouvelait son pari, qu’il assume audacieux, de rassembler les gauches pour les européennes. Si quelques ralliements au mouvement – comme celui d’Anne Hidalgo – peuvent être notés, la désunion de la gauche semble prendre le pas sur les belles promesses de l’essayiste. Olivier Faure, qui tente de nouer des alliances pour porter ce qu’il reste du Parti socialiste aux européennes semble prêt à rejoindre Place publique. Mais pour beaucoup, cette gauche PS qui à deux reprises s’est retrouvée à la tête du pouvoir et n’a pas su tenir ses promesses, celle là même qui coopère avec la droite au Parlement européen, cette gauche là n’inspire plus confiance. Benoit Hamon refuse donc pour l’instant l’alliance de Génération.s avec Place publique. Quant aux Verts portés par Yannick Jadot, ils ne sont pas convaincus. Si des discussions ont eu lieu entre la tête de liste des Verts et des membres de Place publique, ces dernières n’ont pas culminées par un accord. Le flou idéologique dans lequel évolue les partis de gauche invite les Verts à jouer le jeu de la clarté. « Il faut un bulletin vert pour élire des députés verts qui siégeront dans un groupe vert», a souhaité rappelé Yannick Jadot récemment. Enfin, Jean-Luc Mélenchon, qui a pourtant rencontré plusieurs fois Raphael Glucksmann, semble résolu à mener la campagne européenne en solitaire.Au terme des rencontres et débats débutés en novembre et qui devraient se poursuivre jusqu’à la fin du mois
de février, sera publié un rapport qui servira peut être de programme pour une possible liste aux européennes. Pour le moment, écouter les voix de Place publique reste frustrant. Un mouvement qui repose essentiellement sur des paris, au moment où gronde le peuple d’impatience, demeure très risqué.
Jeanne Cerin