« Skolstrejk för klimatet », cette inscription en suédois qui signifie littéralement « grève scolaire pour le climat » est devenu l’expression de ralliement pour tous les étudiants du monde entier qui souhaitent lutter contre les inactions gouvernementales en matière d’environnement. Apparue pour la première fois sur la pancarte de Greta Thunberg, elle décrit l’action de la jeune suédoise qui a décidé à l’été dernier, alors que la Suède est en proie à d’importants incendies et vagues de chaleur, d’initier des mobilisation tous les vendredis pour forcer les pouvoirs publics à respecter les engagements pris lors de la COP21. Elle utilise alors le terme de « grève » pour signifier qu’elle séchera les cours tous les vendredis, jusqu’à ce qu’un changement soit entrepris. En effet, la grève est un des plus anciens moyens de contestation, un des plus efficaces et un des plus universels, à travers le monde entier. Pourtant en est-il pareil, une fois qu’on lui accole l’adjectif d’ « étudiant » ?
Droit de grève pour qui ?
Si il est inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 que “le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent”, il n’est pourtant rien précisé au sujet de la grève étudiante précisément. Cette généralité ou imprécision a déjà posé problème, pour d’autres raisons, au moment de son adoption. En effet, le premier projet de constitution prévoyait que ce droit soit « reconnu pour tous ». Or cette première version fût désapprouvée par référendum. La seconde supprima alors cette distinction pour éviter qu’un mouvement paysan ne vienne accentuer la pénurie des denrées alimentaires et freiner la reconstruction du pays après la Libération. Ainsi la formulation constitutionnelle adoptée amène à porter toute l’importance sur l’expression « dans le cadre des lois qui le réglementent » plutôt que sur le droit de grève en tant que tel.
Le flou juridique
La formulation paraît alors vague, puisqu’il est simplement fait mention de la « grève » qui pourrait concerner de nombreuses actions, pas forcément professionnelle. C’est pourquoi, on pourrait penser qu’il s’agit d’un flou juridique dans lequel la grève étudiante pourrait venir se nicher. Mais qui dit « flou », dit diverses interprétations. La grève désigne en effet une cessation de travail dans le but de faire valoir des revendications. Il convient donc d’abord de savoir si le fait d’être étudiant s’apparente à un travail. Pour certains (et surtout dans l’esprit de la loi), être étudiant c’est profiter d’un service. En n’allant pas en cours, les étudiants ne cessent donc pas leur travail mais se privent simplement du bénéfice d’étudier. Pourtant d’autres, et notamment les organisations syndicales étudiantes, considèrent qu’étudier constitue bien un travail intellectuel, en rendant des travaux notamment (devoirs, exposés, etc…), et donc que les étudiants peuvent très bien cesser d’effectuer leur travail pour protester. Par exemple, l’article premier de la Charte de Grenoble de 1946 réalisée par l’UNEF (Union nationale des étudiants de France), déclare que « L’étudiant est un jeune travailleur intellectuel ». Vision qui légitime la création de syndicats étudiants, il est donc normal qu’elle soit portée par ceux-ci. Malgré cela, le droit ne reconnaît pas de grève étudiante et reprend largement le premier point de vu.
L’appel à la grève étudiante lancée pour le 15 mars est donc avant tout symbolique. Le répertoire d’action étant relativement restreint, la grève se trouve être l’outil le plus connu et le plus facile à communiquer à travers le monde. C’est donc avant tout une action symbolique pour cesser son activité quotidienne qui menace l’environnement. Une journée où l’on montre que d’autres modes de vie sont possibles et ainsi les rendre visibles.
Si les étudiants n’ont pas le droit de grève, des actions de leur part sont quand même tolérées. Ainsi, chacun peut décider de « cesser le travail », en ne venant pas en cours. Cependant, puisque ce droit n’est pas formellement édicté, il peut entraîner des inégalités. En effet, les étudiants boursiers participants à une mobilisation peuvent d’avantage en subir les conséquences, puisque leurs présences en cours sont pour certains contrôlées et conditionnent ainsi l’obtention de leur bourse. Valérie Piau, avocate spécialisée en droit de l’éducation, interrogée par Le Monde sur ce sujet, relativise pourtant ce constat, en indiquant qu’ « il arrive que les présidents d’université décrètent des suspensions d’obligation d’assiduité lors des occupations, pour éviter de pénaliser les étudiants boursiers »(1).
De fait, si le droit de grève pour les actifs a depuis été reconnu comme un principe à valeur constitutionnelle, ne pouvant s’appliquer au cas étudiant, il demeure inexistant ou très flou pour eux. On voit donc que le droit de se mobiliser pour les étudiants est bien souvent apprécié au cas par cas par les présidents d’universités ou directeurs d’écoles.
Un droit de grève à Sciences Po ?
Sciences Po Lille ne fait pas exception. La possibilité donnée aux étudiants de participer à des mouvements sociaux, qui se matérialise par des justifications d’absences, se fait essentiellement de manière discrétionnaire. En effet, si il est fait mention dans le règlement des études des justifications d’absences pour des évènements associatifs (2), les participations aux mobilisations politiques ne rentrent pas dans ce cadre et ne sont pas formellement abordées. Pourtant, le responsable de la scolarité, Alexandre Desrumaux l’affirme : « Dans certains cas, notamment de mouvements sociaux, la direction de l’école peut apporter une suite favorable à la demande exprimée par une organisation étudiante ou un collectif étudiant d’excuser des absences ponctuelles liées à la participation à une manifestation et/ou à une mobilisation ». Cette justification des absences se fait alors au cas par cas à l’appréciation des membres de la direction. Par exemple, la demande de justification d’absence d’un étudiant qui souhaiterait s’absenter dans le cadre d’une manifestation alors qu’il doit présenter un exposé en conférence de méthode sera plus problématique car elle pourrait désorganiser le fonctionnement de sa classe.
Toujours est-il que cette demande doit donc s’effectuer de manière collective auprès de l’administration. C’est ce qu’indique Chloé Lebas, membre du syndicat Sud Solidaire étudiant, pour qui, c’est une des fonctions d’un syndicat étudiant de porter des actions collectives pour les rendre plus fortes. Ainsi, si rien n’est écrit, c’est par l’intermédiaire de la négociation ou du rapport de force, que des organisations ou collectifs peuvent obtenir la justification d’absences pour la participation à des manifestations. Par exemple les absences qui ont pour cause la participation aux actions du 8 mars, en faveur du droit des femmes, ou du 15 mars autour du climat peuvent être justifiées suite aux revendications collectives de certains étudiants. Pas de banalisation en revanche, qui signifierait que tous les cours de la journée seraient annulés, mais une justification à postériori. En effet, les absences sont comptabilisées mais peuvent ensuite être “annulées” dès lors que l’étudiant concerné fait savoir à l’administration qu’il participait aux actions prévues. L’objectif est d’éviter autant se faire que peut, les effets de « passager clandestin » (théorisé par Mancur Olson) qui inciteraient les étudiants à profiter de la banalisation sans pour autant participer au mouvement social concerné. Alexandre Desrumaux légitime le présent système en précisant qu’ « il est préférable que des élèves participent effectivement à un mouvement puis voient les effets négatifs de cette participation (en l’occurrence une ou des absences) annulés ».
Finalement, si il n’existe pas de droit de grève étudiant en soit, il existe cependant des moyens de mobilisation pour les étudiants. Cependant du fait de ce « vide juridique », ces possibilités sont bien souvent accordées de façon discrétionnaire par les différentes administrations universitaires. Le mouvement de grève inédit prévu ce vendredi au sujet de l’environnement permettra peut-être d’introduire un débat sur la reconnaissance d’un droit de grève étudiant. Cependant, si un aménagement du règlement des études est prévue à Sciences Po, le responsable de la scolarité indique qu’aucune modification est aujourd’hui envisagé sur ce sujet.
Alban Leduc